La Chronique Agora

L’euro effectue une descente digne de Lindsay Vonn !

▪ Wall Street a retenu son souffle à deux heures de la clôture. Les échanges se sont mis à tourner au ralenti alors que les écrans géants des salles de marché avaient basculé du grand cirque financier vers le grand cirque blanc des Jeux olympiques : la descente féminine était l’événement le plus attendu car la favorite n’était autre que la ravissante championne américaine au physique de top model, Lindsay Vonn.

Après la couverture du magazine Sports Illustrated (et une série de photos en bikini pour des marques de maillots de bain), la couverture de Vogue USA lui semble désormais promise. Elle vient en effet de remporter bien plus qu’un prix de beauté avec la médaille d’or décrochée au bas de la descente glacée de Whistler Mountain.

Même les amateurs de football américain, de basket ou de hockey les plus blasés ont laissé tomber leurs fiches et leurs écrans pour assister à la course et contempler les larmes de joie de la première championne olympique de ski alpin de nationalité américaine.

Après une telle victoire, Wall Street ne pouvait que terminer dans la joie et la bonne humeur. Les indices américains terminent en hausse, de 0,4% (Dow Jones) à 0,5% (Nasdaq et S&P 500), pratiquement dans les plus hauts du jour. Ils n’ont cependant pas réussi à améliorer les meilleurs niveaux affichés peu après l’ouverture.

Wall Street avait pris un bon départ mais les acheteurs se sont rapidement démobilisés pendant l’intervention télévisée de Barack Obama, venu défendre son plan de relance de 787 milliards de dollars. Ceux qui espéraient l’annonce d’un redéploiement budgétaire ou de réaffectations au profit de tel ou tel secteur économique en sont restés pour leurs frais. Le président américain n’a rien dévoilé que les marchés ne sachent déjà, d’où une frustration perceptible une heure après l’ouverture.

▪ Beaucoup d’Américains — pas seulement dans les rangs de l’opposition républicaine — doutent de l’efficacité du plan Obama, compte tenu de la progression inexorable du nombre de chômeurs. Le président se défend en affirmant qu’une hausse de près de 6% du PIB américain au quatrième trimestre serait la preuve que « quelque chose se passe ».

Nous mettons en doute le taux de croissance tel qu’il ressort de la comptabilité publique américaine. Nous l’estimons au maximum à 2% ou 2,5% en 2010 (hors artifices statistiques), ce qui s’avère beaucoup plus proche des prévisions économiques actualisées divulguées par la Fed ce mercredi.

Ben Bernanke et ses collègues anticipent une croissance comprise entre 2,8% et 3,5% cette année aux Etats-Unis ; elle pourrait s’accélérer l’an prochain pour atteindre entre 3,4% et 4,5%, puis se maintenir à rythme similaire en 2012.

Cette projection ne tient pas compte du scénario de second « choc de la dette ». Il combinerait une vague de pertes sur les activités de crédit aux particuliers puis aux entreprises, sur fond de crise de la dette souveraine de nombreux pays occidentaux ayant volé au secours de leur système bancaire en 2008 (cela fait pas mal de monde).

La Fed estime en outre que taux de chômage devrait se situer entre 9,5% et 9,7% cette année avant de reculer graduellement en 2011 jusque vers 8,2% à 8,5%. Un pronostic jugé optimiste par de nombreux économistes, qui affirment qu’une hausse de 5% du PIB américain durant plusieurs trimestres serait nécessaire pour créer les conditions d’une embellie mesurable sur le marché de l’emploi.

Il faudrait tout d’abord que l’activité se redresse dans le secteur immobilier… Wall Street a pu croire mercredi matin à un frémissement avec une hausse de 2,8% des mises en chantier de logements neufs au mois de janvier… mais les demandes de permis de construire (qui préfigurent la conjoncture sous 3 à 6 mois) ont rechuté de -5%, ce qui augure mal de la reprise tant attendue depuis mars 2009.

▪ La seule véritable bonne surprise est venue de la hausse de 0,9% de la production industrielle américaine en janvier (contre 0,7% à 0,8% anticipés). Ce chiffre était effectivement favorable au dollar mais nous doutons qu’il explique à lui seul une progression de 1,25%, jusque vers 1,3600/euro.

Il y a une semaine, une telle descente de l’euro, digne de Lindsay Vonn, aurait fait reperdre 2% au CAC 40. Le marché parisien a pourtant bien résisté, ne cédant que 0,5% sur les 2% de gains affichés au meilleur niveau du jour vers 16h30 (à 3 747 points), pour en terminer sur une hausse 1,53% dans un volume de 3,75 milliards d’euros.

Les mesures additionnelles annoncées mardi par les ministres des Finances européens concernant le dossier grec semblaient avoir rassuré les cambistes… Cependant, la lourde rechute de l’euro invite à se poser des questions sur le niveau d’endettement global des pays du sud de l’Europe.

▪ La dette grecque n’est pas la seule à avoir explosé. Un engin de fabrication artisanale a en effet détruit une partie de la façade d’une succursale de la banque américaine JP Morgan située dans le quartier de Kolonaki, en plein centre d’Athènes, avant-hier en début de soirée.

Certains y verront peut-être un symbole, d’autres se garderont d’établir des liens de cause à effet… mais il est tout de même rare qu’un client mécontent plastique les locaux d’une banque américaine, surtout lorsqu’elle ne traite qu’avec des institutionnels, et pas de simples particuliers.

La liste des banques accusées d’avoir spéculé contre la dette souveraine grecque tient en trois noms… et JP Morgan, gros émetteur de polices d’assurance contre un défaut de paiement (les fameux CDS à l’origine de la ruine d’AIG) figure en bonne place parmi les principaux suspects.

Beaucoup d’observateurs estiment que l’attaque des spéculateurs déclenchée contre Athènes (et qui vise plus largement l’euro) évoque par de nombreux aspects l’histoire du Cheval de Troie. Elle est entachée de forts relents de délit d’initiés.

Apparemment, les banquiers qui avaient mis au point dès 2001 les montages financiers sophistiqués permettant à la Grèce de réduire fortement le niveau apparent de son endettement — de façon à respecter fictivement les critères de Maastricht — se seraient retournés contre leur client (qui n’en est peut-être plus un depuis l’époque)… en toute connaissance de cause.

Un parfait mélange de complicité et de trahison, comme il sied à toute bonne tragédie grecque.

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