▪ Aux Etats-Unis, les actions ont atteint cette semaine un niveau record sur les 10 derniers mois. N’y cherchez pas d’explication rationnelle ; vous n’en trouverez pas. Les actions montent parce que les actions montent.
C’est une bonne chose, même si ce n’est pas complètement logique.
Avant-hier, nous avons appris que 550 000 Américains se sont inscrits au chômage la semaine dernière. C’est bien, nous a-t-on dit, parce que ce nombre aurait pu être plus important. C’est cette analyse qui a fait les gros titres pendant plusieurs semaines, modifiant les perceptions des investisseurs et engendrant des ordres d’achat.
Une fois encore, nous n’avons rien à redire de ces bons résultats ; mais nous ne demandez pas d’accepter la logique douteuse qui produit ces bons résultats.
Les investisseurs pleins d’espoir, les analystes haussiers et les politiciens intéressés ne cessent de répéter que l’économie américaine (et mondiale) se remet. Ce contingent du verre à demi plein fournit toujours plus de données "moins mauvaises" pour soutenir ses affirmations… sans oublier de mentionner que le cours des actions ne fait qu’augmenter (ce qui implique évidemment que rien ne peut aller mal puisque la Bourse va si bien).
Peut-être que les haussiers ont raison d’être haussiers, à la fois pour la Bourse et pour l’économie. Mais votre chroniqueur ne parvient pas à se débarrasser de ses doutes tenaces. Bien sûr, il voit que le prix des actions augmente. Et il voit également que l’économie américaine n’est pas tombée dans un précipice. Mais il n’arrive pas à détecter le moindre signe de véritable reprise économique dans le monde réel là où les vrais gens essayent de conserver leur emploi et de ne pas perdre leur maison.
▪ Il ne parvient pas non plus à détecter le moindre signe démontrant que les individus et les PME ont de nouveau accès au crédit.
Cette apparente contradiction perturbe votre chroniqueur depuis plusieurs semaines. Certes, les grandes entreprises ont vendu de nouvelles émissions de dettes pour la somme record de 926 milliards de dollars au cours des huit premiers mois de cette année.
Et pourtant… et pourtant… les financements restent difficiles à obtenir pour ceux qui n’ont pas engagé de banquier d’investissement. M. et Mme Tout le Monde ne peuvent pas obtenir de financement si facilement.
"Comment est-ce possible ?" se demande votre chroniqueur. "Comment les marchés du crédit peuvent-ils faire étalage des caractéristiques de la normalité quand, simultanément, la plupart des Américains ne peuvent pas obtenir de crédit ?"
Nous ne connaissons pas la réponse, mais nous avons une théorie : les marchés du crédit ne se remettent pas, ils font seulement semblant.
Deux tendances visibles se développent en même temps dans les marchés du crédit… et elles semblent se contredire mutuellement. Tout d’abord, les spreads du crédit se contractent. Ce qui signifie que les rendements sur la dette à haut risque, par rapport aux rendements du Trésor, ont chuté de façon catastrophique depuis l’automne dernier. A première vue, ce phénomène signifie que les créditeurs sont de plus en plus enclins à financer les emprunteurs à haut risque.
▪ Mais voilà le problème, avec cette analyse simpliste : les spreads du crédit décrivent seulement la valorisation des obligations qui existent déjà ; les spreads ne vous disent rien en ce qui concerne le volume ou les termes des nouvelles émissions. Ce sont les bilans des banques qui racontent cette histoire.
Quand les bilans s’allongent, le prêt s’étend lui aussi. Quand les bilans se contractent, le prêt aussi. Devinez quoi ? Les bilans se contractent. Cette contraction résulte en partie des événements tels que les saisies et les pertes sèches. Mais cette contraction résulte également d’un fait très simple : les banques ne prêtent pas… de leur propre aveu.
"Les banques ont durci leurs critères pour tous les types de prêt au cours du dernier trimestre", a récemment expliqué Bloomberg News, "et affirment espérer maintenir des critères stricts pour les prêts au moins jusqu’à la seconde moitié de 2010, a annoncé la Fed dans son enquête trimestrielle Senior Loan Officer publiée le 17 août. La plupart des banques ont cité une réduction de la tolérance au risque et ‘des perspectives économiques plus incertaines’ comme étant les principales raisons de la restriction des crédits accordés aux entreprises, et 35,2% d’entre elles déclarent s’être ‘durcies ». Le montant des prêts à effet de levier, par exemple — celui que les sociétés de private equity utilisent pour financer les achats d’entreprises — a diminué et a atteint les 67,7 milliards de dollars cette année, contre 311,2 milliards en 2008 et 962,9 milliards en 2007.
Idem pour toutes les catégories de prêts à la consommation. Le crédit devient rare. Mais même si les banques n’avaient pas avoué leur durcissement en matière de crédit, nous l’aurions constaté de nous même.
▪ La quantité de prêts et d’emprunts sur les bilans des banques américaines diminue depuis des mois. Pourtant, dans un même temps, les spreads du crédit ont rétréci. Comment est-ce possible ?
Voici ce qu’en pense votre chroniqueur : les banques d’investissement comme Goldman Sachs et JP Morgan, avec de nombreux fonds de couverture, empruntent de l’argent à des taux d’intérêt très bas et achètent des dettes d’entreprises à plus haut rendement. Pendant que cet effet de levier se produit, les prix des obligations à haut rendement et leurs rendements chutent.
C’est un simple carry trade, mais c’est un carry trade qui fait rétrécir les spreads du crédit… et qui pousse les analystes de Wall Street à déclarer que les marchés des instruments à taux fixes fonctionnent normalement. Mais cette déduction simpliste est peut-être trop simpliste… et fausse. Les spreads rétrécissent parce que les spéculateurs spéculent et les arbitragistes arbitrent. A la fin de toute cette spéculation et de tout cet arbitrage, Goldman Sachs annonce des bénéfices solides, mais M. et Mme Tout le Monde ne peuvent toujours pas obtenir de crédit automobile.
En d’autres termes, les marchés du crédit ne fonctionnent peut-être pas aussi normalement qu’ils en ont l’air.