La Chronique Agora

Les liquidités deviennent rares

** La semaine qui débute sera placée sous le signe des performances de la grande distribution américaine lors du long week-end de Thanksgiving ainsi que des anticipations relatives à l’attitude de la Banque centrale européenne. Cette dernière va en effet tenir jeudi sa prochaine réunion du conseil des gouverneurs à Bruxelles — et non à Francfort.

La BCE devrait une nouvelle fois abaisser son principal taux directeur de 50 points, peut-être même de façon plus agressive, c’est-à-dire de 75 points de base. Elle en avait déjà discuté il y a trois semaines mais elle avait rejeté une telle initiative, ce qui avait provoqué une vive déception sur les marchés.

Soulignons qu’en dix ans d’existence (eh oui, dix ans déjà !), la BCE n’a jamais été plus loin que 50 points… mais s’est-elle jamais retrouvée confrontée à une crise d’une telle intensité ?

** Nous vivons des moments exceptionnels, et les gains hebdomadaires de Wall Street (+12%) ou de l’Eurotop 300 (+12,5%) ne le sont pas moins. Le S&P a même connu sa plus forte hausse depuis une trentaine d’années.

Paris s’est envolé de 13,25% la semaine dernière grâce à un ultime coup de reins (+0,38%) survenu au moment du fixing. Cette hausse ramène la perte mensuelle à -6,45% alors qu’elle dépassait encore les -20% une semaine auparavant.

Le CAC 40 n’a débordé les 3 250 points qu’à l’arrachée mais c’est un signe positif. Cela pourrait augurer d’une poursuite de la hausse en direction des 3 400 points à très court terme… et pourquoi pas d’ici jeudi.

Peut-être que le mois de décembre offrira aux valeurs françaises une opportunité de réduire la perte annuelle — qui est de 42% à ce jour. Pour l’instant, la pire année boursière depuis 1930/1931 demeure 2002 avec une chute verticale de 33,75%.

Si le CAC 40 égalait ce repli d’ici le 31 décembre, cela induirait une valorisation de 3 700 points, autrement dit, un retracement des plus hauts des 14 octobre et 4 novembre dernier — 13,25% de plus, autant que de gains engrangés au cours des cinq dernières séances.

Les volumes d’échanges ont tout juste atteint les 3,3 milliards d’euros à Paris vendredi dernier. Peut-être va-t-il falloir s’habituer à des chiffres d’affaires quotidiens ne dépassant pas les quatre milliards d’euros en moyenne. En effet, beaucoup d’opérateurs — de hedge funds notamment — ont été balayés de l’échiquier financier ou ne sont plus en mesure d’apporter l’animation à laquelle les marchés étaient accoutumés lorsque les liquidités étaient surabondantes et les possibilités de spéculer presque sans limites.

** Le pétrole a probablement été le dernier support d’une bulle d’actifs de la décennie 1998/2008, et le principal événement de la fin de semaine écoulée fut la spectaculaire rechute du baril de l’or noir (-5,5% à 52,85 $). L’OPEP semble difficilement en mesure d’imposer une réduction supplémentaire de l’offre mondiale à partir du 17 décembre prochain.

En effet, certains pays exportateurs — frappés par la crise — ont un grand besoin de maintenir leurs exportations pour équilibrer leur budget alors que de nombreux investisseurs battent en retraite ou se retrouvent en difficulté (notamment dans le secteur immobilier).

Le plus grand promoteur immobilier de Dubaï, le groupe Nakheel, qui s’est rendu célèbre en construisant trois îles artificielles en forme de palmier, licencie 15% de son personnel.

Cela tombe mal puisque Nakheel a entamé les travaux pharaoniques devant donner le jour à une "île monde" et à une tour de plus d’un kilomètre de haut. Décidément, aucun projet n’apparaissait trop démesuré depuis que les milliardaires du monde entier affluaient vers ce paradis fiscal. Mais cette clientèle privilégiée a vu fondre son patrimoine de façon spectaculaire en 2008 : les quatre premières fortunes de Russie se sont retrouvées amputées de 20 à 25 milliards de dollars en 12 mois.

** L’argent est devenu plus rare, la fausse monnaie s’évapore ; c’est ce qui explique la flambée du dollar. Il est repassé au-dessus des 1,27 euro (+2,2% à 1,2675 euro) alors qu’aucune statistique publiée aux Etats-Unis ne justifiait une telle fermeté en fin de semaine dernière.

Les marchés européens ont clôturé en hausse de 0,1% vendredi et ont finalement bien digéré les dernières mauvaises statistiques de l’emploi dans l’Euroland. Le taux de chômage corrigé des variations saisonnières s’est établi à 7,7% dans la Zone euro en octobre 2008, contre 7,6% en septembre — révisé d’une estimation initiale de 7,5%. Eurostat rappelle que ce taux était de 7,3% en octobre 2007.

En France, le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 2,4% au mois d’octobre, soit +46 900 personnes (+4,4% en rythme annuel), selon les données corrigées des variations saisonnières publiées par l’ANPE. Fin octobre 2008, le nombre de demandeurs d’emploi s’établissait à 2 004 500.

Les seules bonnes nouvelles viennent des prix. L’Insee a fait état d’une baisse de 0,9% des prix à la production dans l’industrie en France en octobre. De même, le taux d’inflation de la Zone euro s’établirait à 2,1% en novembre 2008, contre 3,2% en octobre. En Allemagne, l’inflation est retombée de 3,5% à 2,5% en rythme annuel — et de -0,5% par rapport au mois de septembre.

** Cela redonne des marges de manoeuvre à la BCE… mais nous doutons qu’elle ait opéré une révolution copernicienne en seulement trois semaines. Alors que le navire est en train de faire naufrage depuis six mois, elle n’a jamais cessé de revendiquer "l’ancrage" des anticipations inflationnistes. Même confrontée au gel du crédit, à l’explosion du chômage et aux faillites de petites entreprises, elle ne consent qu’à évoquer des "incertitudes extrêmes".

Nous doutons qu’elle fasse référence à celles que ressentent — concernant leur propre sort — ceux qui voient leur usine fermer pour quelques semaines (ou quelques mois) ou reçoivent leur lettre de licenciement.

Philippe Béchade,
Paris

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