La Chronique Agora

Les jours du dollar sont comptés

** Les jours du dollar sont comptés. Nous commençons à avoir pitié de lui… comme de toutes les causes perdues. Le problème, c’est que nous ne savons pas s’il reste un grand nombre ou un petit nombre de jour avant la fin du billet vert.

* La semaine dernière, la décimale a semblé changer de place. Un panel de conseillers des Nations unies a suggéré qu’il était peut-être temps de trouver un meilleur moyen de gérer le système monétaire mondial. Meilleur, c’est-à-dire utilisant autre chose que le dollar américain comme devise de référence planétaire.

* Quasiment tous les prix du monde sont liés au dollar d’une manière ou d’une autre. On peut acheter une orange à Grenade, où nous nous trouvons en ce moment, et la payer en euros. Mais le marché mondial des oranges est évalué en dollars. Si bien que lorsque les gens calculent la valeur de quelque chose — en termes mondiaux — ils le font généralement en dollars. Lorsque les pays veulent s’assurer qu’ils ont assez de fonds pour régler leurs dettes envers d’autres pays, assez d’argent pour acheter des oranges de Floride ou du pétrole pour faire fonctionner leurs usines — ils le font en dollars.

* Mais si la valeur de tout est référencée en dollars, en quoi est référencée la valeur du dollar ? En fin de compte, sur quel roc repose le système financier mondial ? Ah… c’est bien là le point faible… il n’y a pas de roc. Si l’on regarde les fondations du système monétaire de la planète, on n’y trouve que de la boue.

** La semaine dernière, les Chinois y ont planté un bâton pour voir à quel point le sol était mou… Eux aussi disent qu’il est temps de changer… avec un nouveau système monétaire pour lequel le FMI fonctionnerait comme une sorte de super-banque centrale… accordant aux pays des "droits spéciaux" sur l’or.

* Cette semaine, le G20 se retrouvera à Londres. Ils doivent "un rendez-vous avec le destin", selon les journaux. Le monde est confronté à un immense défi. Les gens se tournent vers les politiciens, espérant qu’ils le relèveront. Les historiens conteront cet événement comme ils l’ont fait du concile de Trente ou du traité de Westphalie.

* Du bla-bla… pour autant que nous puissions en juger. En réalité, nos dirigeants ne peuvent rien faire, sinon aggraver la situation. Les marchés doivent s’éclaircir… et s’adapter à la nouvelle réalité post-bulle. Plus les gouvernements réussissent à empêcher cela — c’est-à-dire plus leurs renflouages sont efficaces — plus la correction sera longue et profonde.

* Sur le sujet du dollar, au moins, le G20 pourrait faire quelque chose qui en vaille la peine. Ils pourraient renoncer au système monétaire de Nixon, basé sur la confiance… et revenir à un système basé sur l’or. Ils ne le feront pas, cependant. Pas encore. Pas avant que le système basé sur le dollar n’ait explosé.

* Quand est-ce que cela arrivera ? Nous aimerions bien le savoir. Mais d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard, un nouveau système devra émerger. Il sera très probablement basé sur l’or. Pourquoi ? Parce que durant les milliers d’années de l’expérience humaine, on n’a jamais trouvé mieux. Non que nous écartions complètement la possibilité d’un meilleur système ; les humains peuvent être rusés. Mais la devise est précisément la sorte d’activité où l’on ne veut pas de ruse. On veut de la solidité bête et honnête… quelque chose que la ruse ne peut saper ou contourner. De l’argent que les gens rusés ne peuvent bidouiller.

** Et en ce moment, les banques centrales bidouillent tout ce qu’elles savent. Rien qu’aux Etats-Unis, le coût total de tout ce bidouillage est de l’ordre des 14 000 milliards de dollars. Dans de telles circonstances, on pourrait s’attendre à ce que l’inflation soit acquise… et que le dollar soit condamné à disparaître.

* Pas si vite. L’inflation n’est pas facile à créer ou contrôler. Il pourrait se passer des mois… ou des années… avant que les prix à la consommation grimpent. Comme nous l’expliquions la semaine dernière, les gens qui s’attendent à voir les prix à la consommation grimper immédiatement pourraient être profondément déçus.

* Pour commencer, la dépression aspire l’argent hors du système plus rapidement encore que les autorités l’y remettent. C’est la vieille question du "paradoxe de l’épargne". Lorsqu’une économie recule, les gens économisent leur argent. Ce qui fait chuter les prix… rendant l’épargne plus précieuse. Les gens épargnent ensuite plus encore. Au lieu de circuler, l’argent reste dans les poches, les coffres et les bas de laine ; de côté pour les mauvais jours… et les prix plus bas.

* Ensuite, "le multiplicateur monétaire… s’est effondré", comme le disait un économiste dans le Financial Times. Normalement, lorsque les banques obtiennent plus d’argent, elles le "multiplient" en prêtant plus encore. C’est ainsi qu’est censé fonctionner le système bancaire à réserve fractionnelle. Mais aujourd’hui, les banques ne prêtent plus. Elles reconstruisent leurs propres réserves… tout comme les citoyens ordinaires. En plus, elles ont peur de prêter — qui sait ce que vaudra le nantissement lorsque la dépression en aura terminé avec lui ! Le multiplicateur a oublié son arithmétique.

* Et enfin, il y a ce que les keynésiens appellent un fossé de production. Ce qui signifie que l’économie fonctionne à moins que sa pleine capacité. En fait, Goldman Sachs estime ce fossé à 8% du PIB. Tant qu’un secteur peut fournir plus de choses — en utilisant sa capacité excédentaire — sans avoir besoin de production supplémentaire majeure, il ne peut pas fixer les prix.

* Les gens peuvent acheter… mais cela ne fera pas grimper les prix.

** Il y a également l’expérience japonaise. Il est vrai que les Etats-Unis ne sont pas le Japon. Les choses sont différentes. Et nous avons le pressentiment que les choses se termineront différemment aussi. Mais il vaut la peine de garder le Japon à l’esprit. La Banque du Japon tente de faire grimper les prix depuis plus de 10 ans — injectant d’immenses quantités de cash dans le système. Mais au lieu de faire grimper les prix, l’argent a été emprunté et a été réinvesti aux Etats-Unis et dans les marchés émergents. Ca n’a rien fait pour augmenter les prix à la consommation au Japon.

* Que faut-il en conclure, vous demandez-vous probablement…

* Nous aussi. Ce que nous retenons de notre soliloque, c’est que l’inflation est plus difficile à provoquer qu’on le pense généralement. Injecter des liquidités supplémentaires dans le système ne fait pas nécessairement grimper les prix.

* En revanche, la boue soutenant le système financier mondial rend la structure intrinsèquement instable. Et à mesure qu’on rajoute de l’eau, elle devient de plus en plus branlante.

* Ce n’est pas comme si les liquidités supplémentaires faisaient grimper directement le niveau des prix à la consommation… un dollar pour un dollar. Non, c’est plutôt comme si les flots montaient derrière un barrage de terre. Le risque de crue augmente… une inondation qui noiera le dollar et enverra les investisseurs et les épargnants courir vers les hauteurs.

* Oui, cher lecteur… voilà la surprise que nous cherchions. L’"assouplissement quantitatif" de la Fed ne causera pas d’inflation. Du moins pas une inflation sérieuse des prix à la consommation liée directement aux augmentations de la masse monétaire. La Fed gonflera bel et bien la masse monétaire. Mais l’inflation des prix à la consommation restera relativement basse — comme cela a été le cas au Japon. Cela poussera les investisseurs à croire qu’ils peuvent tenir le coup… pensant qu’ils pourront toujours grimper un peu lorsque les prix à la consommation finiront par grimper. Ils envisageront d’acheter de l’or, mais ils retarderont le moment — attendant que l’IPC grimpe.

* Puis les investisseurs verront la menace. Peut-être que les Chinois seront les premiers à se précipiter. Peut-être que les investisseurs privés feront le premier geste. Peut-être seront-ils poussés par une soudaine augmentation de l’IPC. Peut-être que ce sera plutôt un pic inattendu du cours de l’or… ou du pétrole. Voire peut-être un geste de la part de la Fed ne laissant aucun doute quant à ses intentions. Alors, tout à coup, les gens réaliseront que ce qu’ils ont entre les mains n’est que du papier… rien de plus… et ils essaieront de s’en débarrasser aussi vite que possible.

* Mais il sera trop tard. Une fois que la digue aura cédé, en quelques heures, le dollar coulera comme les actions Lehman.

* Voilà pourquoi nous maintenons notre Drapeau d’Alerte au Krach du Dollar… tout en reconnaissant que ça pourrait ne pas se passer tout de suite.

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