La Chronique Agora

Les capitalistes sont trop gâtés

** Le Pays de la Liberté est en train de devenir "Le Pays de la Gratuité" — en particulier pour les membres de l’élite millionnaire qui font des erreurs de plusieurs milliards de dollars… avec l’argent des autres. Cette déplorable situation met en danger la valeur du dollar, ainsi que son statut durement gagné de devise de réserve.

– Fut un temps ou le capitalisme à l’américaine ressemblait à un combat à mains nues — un match de boxe thaï où les compétiteurs se frappaient mutuellement jusqu’à ce qu’un vainqueur émerge. Mais le capitalisme à l’américaine moderne ressemble plus à un atelier d’arts plastiques dans l’une des luxueuses écoles maternelles de Manhattan. Toutes les créations "artistiques" des enfants dorlotés — peu importe qu’elles soient ineptes ou laides — attirent les félicitations de la maîtresse d’école. En fait, le moindre grognement justifie des louanges… et le moindre bobo fait apparaître un sparadrap.

– En dehors des murs de la crèche, le capitalisme est aussi brutal et darwinien qu’il l’a toujours été — sinon plus. Mais à l’intérieur, les petits privilégiés ne versent jamais une larme sans recevoir immédiatement un câlin, assorti d’un "là, là… tout va bien. Ce n’était pas de ta faute… et même si ça l’est, oncle Ben va tout arranger".

– Quant à la discipline, oubliez ça. Les capitalistes choyés de la haute finance américaine ne recevront jamais ne serait-ce qu’une tape sur la main pour leurs mauvaises actions, quelles qu’elles soient. Ce serait infliger de mauvais traitements aux enfants ! Pas plus qu’on ne les mettra au coin lorsqu’ils se comportent mal. Dans le pire des cas, la punition arrive sous la forme d’indemnités de licenciement se montant à plusieurs millions de dollars.

– Qui sont ces "capitalistes d’école maternelle" ? Ce sont ceux qui reçoivent chaque année des millions de dollars pour présider les grandes entreprises et/ou spéculer avec les capitaux des actionnaires.

– Les entreprises américaines grouillent de ces sangsues. Utilisant l’argent des autres, ils se lancent dans des spéculations crétines, sachant que le succès multipliera radicalement leur valeur nette… et que l’échec ne produira que des conséquences négatives négligeables. Et parfois, mêmes les échecs produisent des succès, grâce au penchant bien établi de la Fed à renflouer les spéculateurs.

** Parce qu’on dorlote sans arrêt les spéculateurs privilégiés, ils n’apprennent jamais vraiment à se comporter correctement. Ainsi, lorsque les gestionnaires multi-millionnaires (et titulaires du Prix Nobel) de Long Term Capital Management se sont fait bobo en 1998, la Réserve fédérale d’Alan Greenspan n’est ruée à leur secours avec abondance de pansements et de doses d’urgence de mercurochrome financier. Greenspan a baissé les taux, tout en cajolant les grandes banques de Wall Street afin de leur faire cracher une aide de plusieurs milliards de dollars.

– Tout le monde a appelé ça un plan de sauvetage pour les marchés. Sauf que les marchés de 1998 n’avaient pas besoin d’être sauvés. Ils avaient parfaitement fonctionné : ils séparaient des idiots de leur argent.

– Mais puisque les idiots en question provenaient des plus grandes institutions financières — et parce que ces institutions elles-mêmes risquaient de perdre des milliards de dollars, on n’a pas permis à LTCM de faire faillite. Le sauvetage de 1998 n’a donc rien été de plus qu’une association financée par le gouvernement pour protéger les spéculateurs des conséquences de leurs paris malavisés.

– Cette opération de secours a cependant réussi à déclencher un robuste rebond de fin d’année, ce qui a rendu pas mal de gens très heureux… et Alan Greenspan très populaire. Bien peu se souciaient de savoir que cela mènerait directement à la plus grande bulle boursière en 60 ans — une bulle qui produirait un krach épique, lequel effacerait des centaines de milliards de dollars des comptes bancaires d’investisseurs individuels qui ne se doutaient de rien.

– Durant les premières années du 21ème siècle, la Fed a continué à dorloter les happy few de Wall Street en réduisant les taux d’intérêt à des niveaux inutilement bas. Qui en a profité ? Beaucoup de banques, beaucoup de spéculateurs… et beaucoup de banquiers spéculateurs.

– Les spéculateurs ont inventé de nombreuses manières de capitaliser sur le financement de court terme ultra-bon marché. Ils sont donc devenus du jour au lendemain des génies de l’investissement en empruntant à court terme et spéculant à long terme. Mais les génies qui dépendent du financement à court terme finissent souvent par périr à maturité. Seul un crétin fini emprunterait à court terme pour investir à long terme sans préparer un plan de secours ou une stratégie de sortie. Un crétin fini… ou un capitaliste trop gâté. 

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile