** Nous avions conclu notre Chronique de mardi par un clin d’oeil à la flambée des indices boursiers chinois (qui se sont empressé de battre de nouveaux records historiques, avant même que notre texte soit mis en ligne). Nous avions qualifié le miracle boursier quotidien de mascarade orchestrée par des bookmakers de matchs truqués.
Une affirmation que nous n’avions pas développée — la place pour exposer nos arguments devenait un peu restreinte compte tenu de la densité des chapitres précédents — mais qui n’avait rien de gratuit. En effet, le G7 (qui se réunira ce week-end) formule déjà des reproches à Pékin concernant la manipulation de sa devise. De son côté, l’Europe, par la voix de Jean-Claude Juncker, durcit le ton au sujet de la volatilité des devises — comprendre le dollar — et des déséquilibres commerciaux — comprendre le dumping chinois.
Que l’Empire du Milieu maintienne sa devise au plus bas par rapport au billet vert ou au yen, c’est de bonne guerre (commerciale !)… Mais il y a beaucoup plus choquant : l’inflation caracole à 6,5% tandis que l’argent sorti des robinets de la Banque Centrale chinoise est facturé un peu moins de 2,9% — et 3,9% à un an.
Même lorsque la Fed avait réduit son taux directeur à 1%, la dérive des prix n’a jamais excédé 2,5% (soit un écart de 150 points en termes réels). Lorsque les taux furent abaissés à zéro au Japon au milieu puis à la fin des années 90, le pays était en déflation (inflation négative jusqu’à -1,5%)… Alors comment la Chine peut-elle tolérer un différentiel de 350 points, qui dépasserait probablement les 500 points si les prix des carburants, du fuel, du charbon, de certaines céréales, du ciment, de l’acier étaient débloqués ?
Plus les spéculateurs empruntent, plus leur fortune s’arrondit en bourse, tandis que les sociétés d’Etat croulent sous les dettes et les banques chinoises sous les créances douteuses. Plus les fondements de l’économie deviennent malsains, plus les excédents qui font notre admiration s’accumulent — et sont convertis en dollars afin de maintenir le yuan dans un système de parité artificiel qui condamne l’Europe à voir des pans entiers de son économie voués à la faillite.
Mais la Chine détient aujourd’hui la plus gigantesque masse de dettes libellées en dollars et susceptibles de ne pas être remboursées (combien les banques de Hong Kong ou Shanghai ont-elles perdu avec la crise du subprime ?). Les tarifs du fret maritime mondiaux ont pratiquement doublé en un an, mais les prix des produits exportés vers l’Occident n’en sont pas augmentés pour autant : il y a forcément quelqu’un qui triche, ne croyez-vous pas ?
Moyennant quoi, et selon les derniers calculs de Lazard Frères, le PIB chinois vient de dépasser en valeur celui de la Zone Euro (soit 15,1% du PIB mondial contre 14,7%). Il se place sur la seconde marche du podium derrière les Etats-Unis, qui revendiquent 19,7% du PIB mondial, à la veille de l’année olympique (le Japon est loin derrière avec moins de 9%).
La Chine s’impose comme le moteur de la croissance mondiale. Un moteur qui carbure à la dette américaine — c’est-à-dire un mélange de nitro-méthane et d’éther (hyper détonnant) auquel aucun alliage connu ne saurait résister très longtemps. Il en résulte une accélération économique digne d’un dragster… mais dès que la vitesse critique sera atteinte, il faudra couper les gaz et envoyer le parachute !
** Idem pour les indices boursiers déjà chauffés au rouge, et dont les pistons menacent de faire exploser les cylindres. Tant que Shanghai et Shenzhen sentent qu’il y a encore un potentiel d’accélération, les boursicoteurs continuent d’écraser le champignon !
Sans évoquer ouvertement le risque d’explosion du moteur chinois, le FMI annonce comme prévu la révision à la baisse de -0,4% de la croissance mondiale 2008 (l’estimation précédente publiée au mois de juillet était de +5,2%).
Le FMI ramène sa prévision pour les Etats-Unis à 1,9%, contre 2,8% précédemment, soit un tiers en moins. Il la réduit ensuite de 2,5% à 2,1% dans l’Euroland (-16%). Et la croissance chinoise dans tout ça ? Elle est très légèrement minorée — de 10,5% à 10% –, ce qui constitue une perspective « acceptable ».
Les marchés financiers ne poursuivent en effet leur rally haussier que sur la croyance en une croissance asiatique irréversible et invulnérable à la défaillance des consommateurs/emprunteurs américains. Envisager toute autre hypothèse, ce sont les projections de bénéfices exponentiels des multinationales qui s’écroulent… et les bourses mondiales avec !
** Mais l’optimisme est de rigueur alors que les premiers trimestriels vont être publiés aujourd’hui à Wall Street. Les indices américains semblaient un peu hésitants hier à mi-séance, mais avec des scores aussi proches des records historiques, il ne faut pas s’étonner que nombre de gérants jugent plus prudent de verrouiller leurs gains.
Les opérateurs parisiens semblaient faire le pari de bonnes surprises dans un avenir rapproché. Le CAC40 a pris 0,55% (contre 0,25% pour l’Euro-Stoxx) : il effaçait donc largement les 0,35% perdus la veille, ainsi que la résistance des 5 850 points qui bloquait la progression du marché parisien depuis vendredi.
Scénario inverse pour le DAX à Francfort, qui se repositionnait dans le même temps en deçà des 8 000 points (7 980). Quant à la progression initiale des marchés américains (en semi-congé la veille pour cause de Columbus Day), elle apparaissait bien laborieuse : Nasdaq en hausse de 0,1% contre 0,3% à l’ouverture, et Dow Jones piétinant sous les 14 070 points.
N’oublions pas que les stratégies long-short font de plus en plus d’adeptes ; cela génère des mouvements parasites difficiles à analyser. Le signal clair serait le franchissement en force des 1 560 points par le S&P 500… ou un formidable coup de tabac à la bourse de Shanghai qui vient de tripler de valeur en l’espace de 12 mois.
Nous nous préparons à une fin d’année 2008 volatile !
Philippe Béchade,
Paris