La Chronique Agora

Les leçons de la dernière crise

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Le système repose sur la croyance que la prochaine crise ne se produira pas, car les bonnes leçons ont été retenues de la crise précédente.

« En définitive, c’est toujours la société qui se paie elle-même de la fausse monnaie de son rêve. »
Marcel Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie

A force de la répéter et de l’illustrer je crois que vous avez assimilé ma thèse : il n’y a jamais eu de resserrement des conditions monétaires et encore moins financières.

Il y a eu une tentative, mais elle a dû être interrompue très rapidement en octobre 2022, lorsque le Royaume-Uni, symbole et archétype de la grosse baleine malade, a failli précipiter le monde financier dans la révulsion.

Par cet assouplissement concerté et en panique, le monde occidental a confirmé le propos de Schwarzenegger : « La musculation, cela fait du bien quand cela fait mal. » Traduction : pour que cela fasse du bien, le retour à la rigueur doit faire mal et, si cela ne fait pas mal, cela signifie qu’il n’y a pas de retour à la rigueur. Il n’y a que du simulacre, de la rigueur Canada dry.

Je vais risquer une affirmation forte mais paradoxale : les conditions financières sont devenues extrêmement souples !

La politique de la Fed n’a jamais « commencé à mordre fort ». Il n’y a jamais eu resserrement des conditions de liquidité du marché, resserrement ou contraction des prêts, croissance plus lente du crédit et même une demande affaiblie.

Les marchés sont restés haussiers, gratifiants, la mine d’or a continué à produire des dollars et du pouvoir d’achat tous azimuts ; aussi bien pour consommer que pour acheter des actifs.

Escroquerie monétaire

A quoi sert d’utiliser un agrégat monétaire qui ne mesure pas la monnaie réelle, celle qui est effective dans le système ? A rien, sauf à tromper les gens et à leur faire prendre les vessies pour des lanternes. Cela sert à leur faire croire que l’on est rigoureux, à influencer leurs perceptions et donc leurs anticipations. Cela sert à neutraliser la partie de l’inflation qui est psychologique, cela ne sert pas à lutter contre l’inflation objective, celle qui résulte de forces objectives.

Greenspan était intelligent, et ce n’est pas pour rien qu’on l’a appelé le Maestro.

J’ai toujours respecté son intelligence, même s’il n’était pas respectable sous d’autres aspects.

Nous sommes selon moi au cœur de l’escroquerie que constitue la politique monétaire et ses compléments modernes de la fausse transparence et des fausses guidances.

Ce n’est pas facile à expliquer ; je vais prendre une comparaison.

Les banquiers centraux vous proposent des interprétations de ce qu’ils font en vertu de théories qu’ils savent être complètement dépassées. Ils vous font juger des mouvements de la Terre, comme si elle était plate ou au centre de l’univers. Or eux savent qu’elle n’est pas plate ; ils continuent de faire semblant de le croire pour, à la faveur de l’ignorance ainsi entretenue, faire ce qu’ils veulent ou du moins ce qu’ils peuvent.

On continue de vous faire croire que la monnaie est une création exogène, qu’elle est créée à partir des réserves, que le crédit est accordé à partir de l’épargne et autres imbécilités. Par exemple, on vous cache que la monnaie est créée par les banques et surtout maintenant par les marchés !

La structure actuelle du marché est moderne, c’est-à-dire totalement désancrée. Ce n’est pas le système financier de Volcker.

Les limites de l’alchimie

A notre époque, on peut accumuler les déficits, créer du crédit sans limite et sans faire monter les taux ! Les Etats-Unis peuent enregistrer des déficits massifs de près de 1 500 Mds$ sur neuf mois sans impact sur les rendements du Trésor. Il n’y a plus de rareté, plus d’effet d’éviction !

Avant, on était limité par les découvertes de nouveaux filons d’or ; maintenant, on n’est plus limité par quoi que ce soit, nous sommes dans l’alchimie digitale !

Une alchimie qui, je le précise, n’est même pas comprise par les apprentis sorciers ; ils ne se doutent pas des rouages réels d’un système dont une grande partie est opaque. Il les dépasse, eux aussi. Il les dépasse parce que ces mystères constituent un système imaginaire, il flotte. Le grand secret, c’est que ces illusionnistes ne savent pas ce qu’ils font, ils optimisent au jour le jour.

Il existe des centaines de milliers de milliards de produits dérivés qui constituent des assurances… dont on ne sait pas très bien qui les garantit, qui les paiera un jour et avec quels fonds ! Ces dérivés, souvent hors bilan, améliorent les capacités bilancielles des institutions financières. Ces dérivés sont en quelque sorte des leviers cachés, de la monnaie!

Il existe une « communauté spéculative mondiale à effet de levier » de plusieurs dizaines de milliers de milliards. En parallèle, le « secteur financier » américain pèse 130 000 Mds$, le secteur financier mondial peut être 400 000 Mds$, etc.

Le tout constitue une pyramide qui flotte dans les airs pour l’essentiel ou qui repose sur un maigre socle de monnaie de base, qui, en cas de nouvelle crise, devra être multiplié par un nombre inconnu mais considérable, pour assurer la monnaie-itude de tout l’édifice. Le système est religieux, il repose sur la croyance que jamais « cela ne se produira » !

Le point commun à toutes les crises

Les autorités ont appris tout au long des différentes crises depuis les années 1980, mais il suffit d’observer à la fois la fréquence des crises, leur ampleur et les « remèdes » qui y sont apportés pour comprendre qu’elles sont toujours en retard, elles luttent toujours, comme on dit, selon les enseignements de la dernière guerre !

La constance dans le comportement est remarquable ; il s’agit toujours de ne pas répéter les erreurs de la période des années 1920 et 30, il s’agit toujours de ne pas risquer précisément de resserrer les conditions financières : « plus jamais cela » a dit Bernanke, et c’est resté la ligne directrice.

La complaisance de la Fed est la ligne directrice de toute la période.

A ce stade, la Fed et la communauté mondiale des banques centrales croient bien connaître les risques associés à la finance de marché, à ce que j’appelle la finance de Wall Street.

Elles croient qu’en ayant mis le crédit et le financement des déficits sur les marchés, elles ont découvert le Graal de la croissance sans fin, et qu’elles ont échappé aux lois de la gravitation économique. Elles oublient l’essentiel à savoir que tout s’accumule, que tout n’est pas qu’affaire de flux. Mettre le financement sur les marchés et en faire un espace de spéculation, c’est se mettre en position de devoir subir un jour un retournement considérable des esprits animaux, un retournement qui exigera la création de monnaie de base dans de telles proportions que même la crise liée au Covid paraîtra dérisoire.

Un jour, le public peut avoir peur.

En 2008, certains penseurs ont travaillé un peu, ils ne se sont pas contentés de faire de la rhétorique bien-pensante. L’une des questions parmi les plus pertinentes a été celle-ci :

Est-ce que nos modèles fondés sur la linéarité, la dérivabilité, le continu, la répétition, sont capables de rendre compte du réel qui lui, est fractal, discontinu et soumis aux effets de seuil et aux effets « fétu de paille sur le dos du chameau » ?

Ce serait le moment de relancer ces réflexions ; les marchés sont fondés sur le rejet du risque, lequel est pris en charge par les banques centrales, ces prises en charge seront-elles toujours possibles ou même souhaitables ?

Mon opinion, ma réponse personnelle, sont que non.

Les discontinuités existent ; tout n’est pas extrapolable, la perfection n’est pas de ce monde.

Ce qui m’incite à penser ainsi, c’est la colossale rupture qui est intervenue avec la guerre en Ukraine. Une rupture dont le monde ne semble pas avoir apprécié l’importance tant elle est restée, pour lui, pur spectacle.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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