La Chronique Agora

Le yen atomise la croissance nippone

** Un facteur technique important, et peut-être même décisif, est passé relativement inaperçu depuis 15 jours, les observateurs étant tétanisés par la noirceur des indicateurs conjoncturels et le risque de nouvelle débâcle boursière que cela pourrait entraîner.

Malgré l’inscription d’un nouveau plancher annuel à 2 770 points à Paris une semaine auparavant, les marchés obligataires n’ont pas repris un pouce de terrain. C’est même tout le contraire : les taux se retendent fortement depuis deux semaines de part et d’autre de l’Atlantique.

Aux Etats-Unis notamment, et en l’espace de très exactement 15 jours, le rendement des T-Bonds 2018 est remonté de 2,18% à 2,86%. Celui de l’emprunt phare à 30 ans est repassé de 2,85 à 3,60%… soit +75% de base, équivalent à trois relèvements successifs de 0,25% du loyer de l’argent.

Ce n’est peut-être pas encore l’amorce d’une grande vague d’arbitrage au profit des actions… mais la preuve est faite que l’on peut également perdre rapidement de l’argent sur des emprunts d’Etat. Cela explique le succès qu’a connu le métal précieux jeudi et vendredi derniers avec une once d’or établissant un score de 925 $ contre 870 $ une semaine auparavant.

** De son côté, le marché parisien a aussi enregistré un sursaut… mais de dernière minute. Il a gagné 0,33%, c’est significatif ! Cela a permis au CAC 40 de limiter son repli à 1,2% et de préserver un gain hebdomadaire de 4,4%.

Cette dizaine de points gagnés in extremis évite également au CAC de rechuter sous les 2 970 points (ex-gap du 28 janvier dernier) et de sauvegarder une partie des gains engrangés mercredi (+4,1%).

La perte mensuelle s’établit cependant à 7,6%, à comparer avec les -13,25% de janvier 2008. Il s’agit de la septième sur une série de huit — depuis le zénith des 5 140 points de mai 2008.

Les investisseurs seront cependant déçus que le marché parisien n’ait pu préserver l’équilibre qu’il était parvenu à retrouver vers 14h45. Malgré tout, en regard des 2% perdus par Francfort, Paris ne s’en tire pas si mal.

Les marchés ont été brièvement rassurés à 14h30 par la publication d’un PIB américain en repli de 3,8% au lieu des 5% attendus. Cependant, en étudiant le détail des composantes, la hausse des stocks apporte une contribution positive qu’il convient de re-traiter à la lumière d’une chute de 22,4% de la consommation de biens durables (voitures et ameublement notamment), de l’effondrement du secteur immobilier (baisse de 14,7% de ventes de logements neufs en décembre) et d’une vague de licenciements massifs (1,5 million d’emplois perdus au quatrième trimestre 2008).

Les tristes réalités économiques se sont matérialisées de façon plus évidente une heure plus tard avec l’indice PMI de Chicago. Ce dernier ressortait en chute de 1,8 point — à 33,3… au plus bas depuis 26 ans. Le baromètre de la confiance des consommateurs du Michigan est quant à lui en recul à 61,2 (un peu moins pire qu’en début de mois avec un plancher de 60,1 points).

** A Wall Street, le Dow Jones est revenu tester très symboliquement le support des 8 000 points (en clôture et au point près). Le Nasdaq, qui avait ouvert en hausse dans le sillage d’Amazon (+20% grâce à de bons trimestriels), reculait de 2%, enfonçant les 1 500 points. Il effaçait alors ses derniers gains résiduels de la semaine écoulée. Le Dow subit au passage la pire perte mensuelle de son histoire pour un mois de janvier, avec un score fleuve de -8,8%.

Les places européennes ont reculé de 0,1% en moyenne si l’on se fie à l’Eurotop 100, et de 1,45% si l’on en croit l’Euro Stoxx 50. Cette distorsion majeure résulte principalement de la chute de 2% du DAX 30 (à Francfort) et de l’AEX 20 (à Amsterdam).

Zurich en revanche a gagné 0,33%, profitant d’un dollar très solide à 116 francs suisses — et 1,2820/euro.

La monnaie unique est victime d’une remontée du taux de chômage à 8% dans l’Euroland en décembre 2008, contre 7,9% en novembre — chiffre révisé d’une première estimation de 7,8%. Autre signe inquiétant, le taux d’inflation annuel de la Zone euro s’établirait à 1,1% en janvier contre 1,6% en décembre 2008 : à ce rythme, la déflation sera avérée d’ici la fin du mois de mars.

** Le phénomène est déjà d’actualité au Japon avec une hausse des prix négative (+0,2% à fin décembre 2008 mais sous le seuil des zéro en janvier) et des signaux économiques traduisant non pas une récession mais bien une dépression.

La production industrielle nippone s’est effondrée de 9,6% en décembre, le taux global de chômage a bondi d’un demi-point de pourcentage à 4,4% (mais de +16,5% sur un an), la consommation des ménages est en chute libre (-4,6%) et les exportations ont enregistré un collapsus historique de -35% le mois dernier. Cette chute vertigineuse a littéralement mis K.O. l’industrie lourde mais également l’électronique grand public et le secteur de la machine-outil.

Les entreprises japonaises licencient chaque jour par dizaines de milliers, de nombreux groupes diversifiés annoncent les premières pertes de leur histoire — ou tout du moins les premières depuis 15 ans.

Dans ces conditions, le PIB japonais pourrait enregistrer une chute de 10% à 11,5% au dernier trimestre 2008. La croissance annuelle ressortira donc négative de 2%, voire pire pour l’exercice fiscal 2008/2009 qui s’achève le 31 mars prochain.

** La situation en Europe n’a encore rien à voir avec celle du Japon… mais Angela Merkel, qui traînait des pieds l’automne dernier pour approuver un plan de relance à l’échelon européen, propose désormais pas moins que la création d’un conseil économique de l’ONU, donc une instance mondiale.

Les investisseurs sont convaincus qu’un rebond économique dépend tout autant de l’ampleur des sommes injectées dans le système bancaire aux Etats-Unis que dans la rapidité d’exécution d’un plan de relance économique.

A l’image d’un patient terrassé par une crise cardiaque, il faut lui administrer un coup de défibrillateur avant que le cerveau ne se trouve privé d’oxygène. La pire erreur consisterait à débattre à perte de vue entre spécialistes au sujet du voltage "optimal" ou de l’ordre de préséance (en fonction de l’ancienneté, de la compétence, de la couverture offerte par les compagnies d’assurance aux différents praticiens).

Les Japonais, victimes de la flambée du yen, sont en train de découvrir à leurs dépens ce qu’il en coûte de faire preuve de passivité face aux récents mouvements en forme de spirale qui se déchaînent sur le marché des changes.
[NDLR : Ce qui est en train de coûter 10% de PIB en moins aux Japonais aurait pu vous permettre de doubler votre capital en huit mois… et ce n’est pas terminé ! Continuez votre lecture pour découvrir comment…]

Philippe Béchade,
Paris

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