La Chronique Agora

Le mauvais genre de bulle (1)

Par Bill Bonner (*)

« Edward, ne regarde pas ».

L’ordre venait d’Elizabeth, qui s’adressait à son plus jeune fils. Nous conduisions dans le Bois de Boulogne, où traînaient d’extravagantes prostituées.

« En plus, ce n’est pas ce que tu crois. Certaines sont en fait des hommes travestis en femmes ».

Bien entendu, Edward a tourné la tête pour voir encore mieux. Et nous aussi, nous tournons la tête aujourd’hui… pour mieux regarder un travesti. C’est aussi ce qui rend l’histoire financière si distrayante, après tout ; elle est comme le Bois de Boulogne — pleine de crétins et d’imposteurs. Alan Greenspan y figurera en bonne place, nous en sommes certain. On se rappellera de lui comme le plus grand banquier central depuis John Law. M. Law a inventé les bulles financières modernes. Le Dr Greenspan les a perfectionnées.

Au début du XVIIIe siècle, John Law était en cavale en France, après avoir tué Beau Wilson lors d’un duel en Angleterre. La France était ruinée, suite aux dépenses grandioses de Louis XIV. En bon roué, Law proposa de résoudre les problèmes financiers du Régent avec un système monétaire inédit, basé sur une nouvelle banque nationale — la Banque Générale — et une nouvelle devise basée sur les futurs profits générés par la Louisiane. Quiconque avait mis les pieds sur les rives du Mississippi à l’époque aurait su qu’il y avait peu d’argent facile à faire dans cette région sauvage. Mais quasiment personne ne l’avait vue, si bien qu’on pouvait échafauder toutes sortes de rêves — y compris qu’on pouvait s’y enrichir en cherchant de l’or.

Pour commencer, bien entendu, le projet de Law fit sensation… En 1720, il était l’homme le plus riche au monde  ; les femmes se jetaient à ses pieds et la France lui donna même un titre de noblesse — le duc d’Arkansas. Là encore, un petit voyage sur place aurait fait couler toute l’affaire. Aujourd’hui encore, vous pourriez être archiduc d’Arkansas que tout le monde se moquerait encore de vous.

Il ne fallut pas longtemps pour que l’aventure de Law tourne court ; sa banque et son argent coulèrent dans la boue du bayou. Law fut forcé de fuir la foule parisienne en colère et partit à Venise où il mourut, en pleine disgrâce, neuf ans plus tard.

Les nouvelles du jour nous annoncent qu’Alan Greenspan est toujours invité dans la bonne société. Il donne des discours. Les gens applaudissent et veulent être pris en photo avec lui. Tout de même, l’astre luisant du Dr. Greenspan semble être en train de décliner.

Mais ni le Bois de Boulogne ni l’ancien président de la Fed ne constituent le sujet de notre essai du jour — ils n’en sont que le point de départ. La période d’inflation basse et d’augmentation du prix des actifs — connue chez les économistes comme la « Grande Modération » — est terminée. Les taux d’inflation grimpent partout dans le monde ; les émeutes de la faim se multiplient ; les routiers bloquent les autoroutes pour protester contre la hausse des prix du carburant ; le crédit est plus difficile à obtenir. Aujourd’hui, notre sujet de réflexion est : et maintenant ?

Une fois soustraites les dépenses nécessaires, rapportait le Daily Mail londonien, « les familles ont moins à dépenser pour elles-mêmes qu’à aucun autre moment ces 17 dernières années ». Les dépenses discrétionnaires, c’est-à-dire les choses qu’on achète après avoir payé la nourriture, le logement, le chauffage et les impôts, sont à leurs niveaux les plus bas depuis 1991. Aux Etats-Unis aussi, des augmentations vertigineuses de dette personnelle, hypothécaire et publique ont laminé l’épargne accumulée par six générations. Pour vous le prouver, il suffit de diviser le « déficit de financement » du gouvernement américain, de 57 000 milliards de dollars, par le nombre de ménages que compte le pays. Vous obtiendrez environ 500 000 $ par famille, bien plus d’argent que n’en possède une famille moyenne.

Pourquoi la Grande Modération a-t-elle engendré une déception si amère ? La réponse est simple : c’était un travesti.

La suite dès demain…

Meilleures salutations,

Bill Bonner
Pour la Chronique Agora

(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres « L’inéluctable faillite de l’économie américaine » et « L’Empire des Dettes« .

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