La Chronique Agora

Le dilemme de Jean-Claude T.

** La Banque centrale européenne est sur des charbons ardents. Jean-Claude Trichet a récemment essayé de s’expliquer. Nous n’avons pas le même objectif que la Fed, a-t-il affirmé. La Fed doit faire deux choses à la fois — protéger la valeur du dollar… et maintenir une économie saine et prospère. Notre mission, à la BCE, est simplement de protéger la valeur de la devise.

* Par conséquent, la BCE rechigne à baisser les taux pour aider l’économie. Et ainsi, l’euro a grimpé par rapport au dollar… et à la livre sterling.

* Hier, la BCE avertissait que la Fed ne serait peut-être plus en mesure de continuer à baisser les taux : "l’effondrement du dollar pourrait mettre fin aux baisses de la Fed", nous dit un titre.

* Par rapport à l’or et au pétrole, le dollar s’est déjà effondré. On pouvait acheter une once d’or pour à peine 260 $ quand George W. Bush a commencé à fréquenter régulièrement les toilettes de la Maison-Blanche. C’était il y a sept ans environ. Lundi, il fallait payer 902 $ pour une once. Par rapport au métal jaune, le billet vert a perdu 60% de sa valeur en moins de deux mandats présidentiels. Même raclée par rapport au pétrole. Et par rapport à l’euro — la devise esperanto de l’Union européenne — le dollar a été divisé par deux, plus ou moins au cours de la même période.

* A présent, le monde entier est au courant du petit jeu des Etats-Unis. Lorsque les électeurs ont des vapeurs, les politiciens leur donnent plus d’argent. Sauf que cet argent est en concurrence directe, en termes de valeur, avec les dollars épargnés par les étrangers. Les Asiatiques, par exemple, transpirent et économisent… puis stockent les dollars dans leurs coffres. Ils en possèdent désormais des milliers de milliards — mais se réveillent tous les matins pour se rendre compte que leurs dollars perdent leur valeur. Un jour, un dollar permet d’acheter 1/800 d’once d’or. Quelques jours plus tard, il n’en rapporte plus que 1/900. Une semaine, un dollar achète 1/90 de baril de pétrole. La semaine suivante, ce même baril coûte 100 $.

* La BCE pense donc qu’un avertissement à l’attention des USA n’est pas de trop : "ne vous attendez pas à ce que nous continuions à protéger la qualité de votre devise. Si vous continuez à en émettre, nous la vendrons".

** Trichet a raison pour la théorie. Mais il se trompe probablement quant à la pratique. Les prix de l’immobilier aux extrémités de l’Europe — en Irlande et en Espagne, en particulier — chutent plus rapidement que ceux des Etats-Unis. Il ne faudra pas longtemps avant que les cris de douleur — en diverses langues étrangères — atteignent la BCE également.

* L’Espagne et l’Irlande profitent immensément de l’Union européenne. Les Irlandais et les Espagnols ont soudain pu emprunter de l’argent à des taux fixés par les Allemands. Des taux bas — le genre de taux que les Allemands, avec leur discipline financière et leur rigueur économique, méritaient. Lorsqu’on a appliqué de tels taux à l’Irlande, ils ont propulsé le pays dans un boom majeur. Tout le monde voulait acheter de l’immobilier. Après une décennie, l’immobilier irlandais était le plus cher d’Europe… tandis que les Irlandais, de manière tout à fait improbable, se retrouvèrent être les gens les plus riches d’Europe. En Espagne, les circonstances étaient différentes, mais l’effet restait le même : l’Espagne a profité d’un boom tel qu’on n’en avait plus vu en Ibérie depuis que les galions chargés d’or inca étaient revenus du Nouveau Monde.

* Mais que se passe-t-il à présent ? Les prix des maisons irlandaises ont chuté d’environ 10% l’an dernier. Nous n’avons pas les chiffres concernant les prix de l’immobilier espagnol, mais si l’on en croit les rumeurs sur la Costa del Sol, ils chutent… et il en va de même pour les actions des grands promoteurs ayant construit des appartements à un rythme ultra-rapide ces dix dernières années. Les rédacteurs du magazine International Living m’annoncent qu’ils préparent un numéro spécial sur les prix de l’immobilier espagnol : "si vous cherchez de bonnes affaires", disent-ils, "c’est là qu’il faut aller".

* Que va faire Trichet, confronté à des problèmes si semblables à ceux des Etats-Unis ? Se tiendra-t-il à ses principes, refusera-t-il de baisser les taux ? Ou bien suivra-t-il le Manuel de la Banque Centrale Réussie, par Alan Greenspan, et s’alignera-t-il sur ses homologues de Washington et de Londres ? Comme eux, privilégiera-t-il le côté quantité de la balance… en laissant la qualité chuter à pic ?

* Nous n’en savons rien. Et nous préférons encore détenir des euros plutôt que des dollars… mais le taux d’augmentation de la masse monétaire européenne n’est guère différent de celui du dollar — environ deux à trois fois le taux de croissance du PIB. Nous préférons le yen à l’euro… l’euro au dollar… et le dollar à la livre… mais nous préférerions avoir de l’or, plutôt qu’une de ces trois devises.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile