La Chronique Agora

Le développement durable pour sortir de la crise ?

Par Ingrid Labuzan (*)

Que pensez-vous qu’il faille à l’économie pour sortir de la crise ? Un certain nombre d’hommes politiques, de chercheurs et de penseurs affirment avoir trouvé la recette contre la récession : il s’agit du développement durable.

L’Union européenne est pour l’instant le champion de cette cause, avec son paquet énergie-climat et son rôle de "leader" dans les discussions internationales. Un rôle qui pourrait lui être contesté par les Etats-Unis, auxquels Barack Obama entend faire prendre un virage écolo. La bataille pour la suprématie économique doit-elle se jouer sur ce terrain ?

Les tenants d’une relance écolo
Le grand allié de la cause écologiste est l’ancien vice-président américain, Al Gore. Pour lui, sortie de crise économique et sortie de crise climatique doivent être des synonymes. Il a défendu dans le New York Times un plan en cinq points pour remplacer le réseau électrique des Etats-Unis afin de ne plus produire de CO2 dans ce secteur, d’ici à 10 ans. Un projet écolo qui permettrait de créer des milliers d’emplois, et qui offrirait donc une voie vers la relance. 

Selon ce plan, l’électricité serait produite par des centrales solaires thermiques placées dans les déserts du Sud-Ouest, par des parcs éoliens dans le Dakota du Nord et du Sud, et par des centrales géothermiques ultramodernes. L’électricité serait ensuite transportée grâce à un nouveau réseau de distribution, à construire entièrement.

Ensuite, l’industrie automobile devrait être aidée afin de procéder à une mutation vers les véhicules hybrides, qui fonctionneraient donc grâce cette électricité propre. Enfin, les bâtiments américains devraient être reconstruits ou améliorés afin d’être mieux isolés et de consommer moins d’énergie. Pour finir, Al Gore plaide pour que les Etats-Unis prennent la tête des discussions de Copenhague sur le climat prévues l’année prochaine — rôle que s’était implicitement arrogé l’Europe.

Redevenir un leader mondial écouté, créer des millions d’emplois grâce aux énergies vertes et par là même contribuer à sauver la planète, on comprendrait qu’Obama soit sensible au discours d’Al Gore. D’autant plus que le président américain a déjà annoncé vouloir réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays de 80% d’ici à 2050, tout en promettant d’investir 15 milliards de dollars par an dans les énergies renouvelables.

Le tournant vert des Etats-Unis a déjà convaincu certaines entreprises. Ainsi, British Petroleum (BP) a finalement décidé d’investir 5,8 milliards d’euros dans l’éolien aux Etats-Unis et pas en Grande-Bretagne. Motif : "les mesures incitatives y sont plus favorables". Shell, britannique également, devrait faire de même.

L’Europe pourrait donc perdre sa bataille verte contre les Etats-Unis. Et, si l’on en croit Al Gore et les penseurs du même bord, passer à côté de la relance économique. Bien qu’écologistes convaincus et pleinement conscients des risques du réchauffement climatique, nous ne pensons pas que la voie de la relance soit forcément celle-ci. En revanche, nous pensons que l’Europe a un coup à jouer pour retrouver un rôle mondial prépondérant et qu’elle devrait agir avant que les Etats-Unis rebondissent, plus rapidement et plus vivement que nous.

Les pièges de la voie verte
Il est indéniable que donner un coup d’accélérateur à toutes industries créerait des emplois. En revanche, est-il raisonnable de penser que nous puissions ainsi passer du tout-polluant au tout-vert ?

Dans l’Iowa, le passage de vieilles villes industrielles spécialisées dans l’automobile ou l’électroménager à la production d’énergies durables a permis de limiter les dégâts. Etre embauché dans ces nouvelles entreprises a représenté pour beaucoup une deuxième chance. Mais, comme le dit le New York Times : "personne ne croit que le secteur des énergies renouvelables pourra à lui seul remplacer l’industrie traditionnelle, qui avait permis à des gens qui n’avaient pas fait d’études supérieures d’accéder à la classe moyenne. Beaucoup d’ouvriers de Maytag (ancienne entreprise industrielle qui a fermé) étaient payés 20 $ de l’heure, hors allocations santé. Arie Wersendaal (ancien employé de Maytag qui travaille désormais dans une usine de turbines éoliennes) gagne aujourd’hui 13 $".

D’autre part, équipementiers et constructeurs automobiles sont contraints, aux Etats-Unis comme en France, de demander l’aide de l’Etat pour survivre. Comment penser qu’ils parviendront à lancer des lignes de voitures moins polluantes ou hybrides, plus chères à réaliser ? Sans compter qu’il faudrait pour les construire de nouvelles usines, ce qui implique d’abandonner ou transformer les anciennes.

Nous n’avons pas non plus le réseau de distribution nécessaire aux voitures hybrides. De toute façon, il n’y aurait même pas assez de lithium disponible pour l’instant (une éventuelle pénurie de lithium est un débat en cours entre les spécialistes). Or le lithium est une composante essentielle des batteries hybrides. Le Times a consulté des spécialistes, qui parviennent à cette conclusion : "la production de lithium ne pourra jamais satisfaire à la demande si l’on passe à la voiture électrique sur une grande échelle".

Quant aux énergies éoliennes ou solaires, elles peuvent certes remplacer nos consommations courantes d’électricité mais le flot d’énergie qu’elles produisent n’est pas suffisant pour faire fonctionner nos industries, nos usines.

L’Europe se doit de rester le moteur de la cause écologique. Mais la sortie de la crise ne se trouve sans doute pas dans cette voie. Elle repose avant tout sur la fin de la crise du crédit, des liquidités.

Meilleures salutations,

Ingrid Labuzan
Pour la Chronique Agora

(*) Journaliste, Ingrid Labuzan est titulaire d’une maîtrise d’histoire, d’un master d’European Studies du King’s College London et d’un mastère médias de l’ECSP-EAP. Spécialisée sur le traitement de l’information et des médias étrangers, elle a vécu et travaillé pendant six mois à Shanghai. Elle a contribué à de nombreuses publications, dont le Nouvel Observateur Hors-série. Elle rédige désormais chaque jour la Quotidienne de MoneyWeek, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.

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