Par Addison Wiggin (*)
Le motif officiel des Etats-Unis pour quitter l’étalon-or était de persuader leurs partenaires commerciaux de lier leurs devises au dollar US ; en d’autres termes, c’était une tentative pour contraindre les gouvernements étrangers à réaligner la valeur de leurs devises. Pourquoi ? Nixon a reconnu que l’utilisation de l’or comme règlement dans les échanges internationaux de biens et de services entravait l’expansion de l’économie américaine.
L’abandon de l’étalon-or visait à tenter de résoudre le problème de la chute des devises étrangères. Le taux de change entre le dollar US et les devises européenne et japonaise saignait à blanc le commerce américain. C’est l’opposé de la situation actuelle — un dollar en chute.
A l’époque, la valeur de l’or était restreinte à 35 $ l’once. Si Nixon avait éliminé cette restriction et avait permis au métal jaune de trouver librement son cours sur le marché, cela aurait fait beaucoup pour aplanir les difficultés monétaires internationales. Mais éliminer la restriction sur le prix de l’or n’était pas considéré comme une option viable, pour deux raisons :
Pour commencer, cela aurait signifié que les Etats-Unis ordonnaient aux autres pays (ceux ayant des devises sous-évaluées) d’augmenter les prix de leurs exportations en direction des Etats-Unis. Et cela ne serait pas très bien passé dans des pays qui, à l’époque, étaient littéralement subventionnés, économiquement parlant, par le dollar. Ensuite, le changement aurait radicalement affecté les marchés mondiaux de ressources naturelles, dont le pétrole — doublant le prix du baril.
L’ère du Grand Etalon-Dollar
La décision de Nixon était perçue comme la seule alternative à la dévaluation du dollar. Les marchés de devises reconnaissaient déjà que la valeur du dollar avait été gonflée. En décembre 1971, les dirigeants du Groupe des dix nations industrialisées se sont rencontrés à Washington D.C. pour changer officiellement la valeur des devises basées sur l’once d’or, passée de 35 $ à 38 $. Le dollar fut réduit de 7,89%, tandis que le mark allemand fut augmenté de 13,57% et le yen japonais de 16,9%.
Mais l’abandon de l’étalon-or a eu un effet bien plus profond et durable que les ajustements inflationnistes des années 70. Pourquoi ? Parce que le dollar, la "monnaie par procuration", circulait en se basant sur des réserves de matières premières (l’or et l’argent-métal).
Nixon s’inquiétait du fait que l’étalon-or freinait la capacité des Etats-Unis à faire concurrence aux devises dévaluées des autres pays. Il était de notoriété publique que le gouvernement américain émettait des devises excédant ses réserves en spéculant, en compensant ses positions longues en dollars par des positions courtes en or, et en pariant qu’il était peu probable de voir des demandes de compensation pour ses réserves de devises. C’est pourtant exactement ce qui se produisit. Durant les jours précédant la décision de Nixon, l’ambassadeur britannique présenta une demande pour la conversion de trois milliards de dollars de devises en or.
Si l’on reconnaît que la devise est simplement une forme de reconnaissance de dette basée sur la valeur des biens et des services que nous échangeons, on peut voir pourquoi les choses ont changé. En 1971, les principales devises étrangères ont été dévaluées par rapport au dollar et par rapport à l’étalon-or.
La chute libre prend de la vitesse
Lorsque Nixon a décidé que les Etats-Unis abandonneraient l’étalon-or, il a également essayé de stabiliser l’économie avec une série de contrôles de prix inopportuns. Il voulait réduire l’inflation, qui augmentait en 1971 — une époque où les gens s’inquiétaient de ce que l’inflation pouvait infliger à leur valeur nette. Nixon institua donc une série de contrôles sur les salaires et les prix.
Prêtant oreille aux conseils du président de la Fed de l’époque, Arthur Burns, Nixon crut ce qu’on lui disait — que la vision traditionnelle sur le resserrement de la politique monétaire était fausse, et que la clé de la reprise économique était le contrôle gouvernemental des prix et des salaires. Le principe selon lequel geler les salaires et les prix est un moyen efficace de stopper l’inflation défiait la raison économique — sans parler des principes républicains de Nixon, censés favoriser un marché libre. La décision d’appliquer ce principe malgré tout faisait partie d’un plan destiné à stimuler l’emploi pour les élections présidentielles de 1972. Burns avertit Nixon que quitter l’étalon-or serait considéré par Moscou et la presse russe — au plus fort de la Guerre froide — comme un mauvais signe pour les Etats-Unis. Il déclara que "la Pravda écrirait que cela était un signe de l’effondrement du capitalisme".
Il a fallu plus de 30 ans avant que les preuves apparaissent vraiment, mais les décisions prises par Nixon en 1971 ont bien enclenché le processus. Le capitalisme ne s’est pas effondré immédiatement, mais aujourd’hui, il s’effrite selon un critère important. La valeur du dollar US chute par rapport aux devises étrangères. Et qui remplace les Etats-Unis en tant que nouveau leader économique mondial ? La Chine, un pays qui, en 1971, incarnait le pire du communisme. La théorie selon laquelle les contrôles de prix et de salaires rétabliraient l’économie en réduisant l’inflation et en créant de nouveaux emplois était purement et simplement fausse. Plutôt que de permettre de freiner la création de devises et d’en absorber la baisse de valeur, la décision de quitter l’étalon-or avait créé des difficultés bien pires.
Nous devons nous rappeler la signification de l’étalon-or, et la raison pour laquelle il jouait un rôle si important dans la politique économique internationale. L’étalon-or était le moyen par lequel les pays acceptaient de fixer la valeur de leur devise, basée sur les réserves d’or existantes. L’abandon de l’étalon-or durant la Première guerre mondiale, pendant laquelle la plupart des pays combattants finançaient leur effort de guerre avec de la monnaie inflationniste — des reconnaissances de dettes — finit par contribuer à la dévalorisation massive des années 20 et la dépression mondiale des années 30. Nous devrions retenir les leçons de l’histoire. L’abandon de l’étalon-or cause des ravages dans l’économie mondiale.
Meilleures salutations
Addison Wiggin
Pour la Chronique Agora
(*) Addison Wiggin est le Directeur du Daily Reckoning, l’équivalent américain de La Chronique Agora. M. Wiggin étudie, commente et écrit sur les marchés depuis plus de dix ans. Avec un master de philosophie de l’université de St John, il adopte un point de vue global et contrarien sur les marchés américains et mondiaux.
Addison Wiggin et Bill Bonner ont collaboré a la rédaction de deux ouvrages, L’inéluctable faillite de l’économie américaine, paru en 2004, et L’empire des dettes, paru en 2006.