La Chronique Agora

Le bitume canadien sauvé par son intérêt géostratégique ? (1)

Par Emmanuel Gentilhomme (*)

Qui est plus qualifié qu’un Québécois pour parler des sables bitumineux du Canada ? Depuis Montréal, Pierre Fournier, vice-président, directeur des études financières et analyste géopolitique (ouf !) de la Financière banque nationale (FBN), qualifie le bitume canadien d’ "enjeu politique crucial pour la prochaine décennie". Voyons un peu de quoi il retourne.

Du pétrole à tout prix ?
Pas très propre et cher à produire : c’était, en substance, notre conclusion sur les sables bitumineux du Canada. D’un strict point de vue financier, l’état des marchés de l’or noir et celui du crédit n’incitent guère à l’optimisme pour le "pétrole sale". Pourtant, tout n’est peut-être pas perdu. Le pétrole canadien complexe pourrait bien être sauvé — c’est décidément de saison ! — par la puissance publique.

Un plan Paulson par an ! Que ne ferait-on pas au nom de l’indépendance énergétique…
Pierre Fournier part d’un constat simple : les Etats-Unis dévorent le quart de la production mondiale de pétrole et importent 70% de leurs besoins, "pour un coût total annuel de quelque 700 milliards de dollars", indique-t-il. Un plan Paulson par an ! Et il ajoute que "dans la course à la présidence américaine, l’indépendance énergétique est devenue un mantra à cause de la hausse rapide des prix à la pompe."

Cours du baril et géopolitique
Ce qui ne veut pas dire que ce souci d’indépendance retombe avec le prix du baril. Considérons le problème autrement : quoique négligé de ce côté de l’Atlantique, l’un des facteurs qui peut expliquer le pic pétrolier de juillet était la perspective d’une intervention militaire des Etats-Unis contre l’Iran, et le blocage du détroit d’Ormuz qui avait de bonnes chances d’en découler.

Téhéran ne cachait pas sa capacité de nuisance à l’encontre de la plus importante des autoroutes maritimes pour supertankers et autres méthaniers qui passent par là. Nous vous laissons imaginer son "effet prix".

Maintes fois annoncée par Washington depuis mai, l’ouverture de ce "nouveau front" devenait plus improbable à mesure que les élections approchaient. Ce qui peut éclairer, partiellement au moins, les variations du baril ces derniers mois, et illustre en tout cas l’incidence géopolitique du pétrole.

Une affaire de sécurité nationale
Pierre Fournier constate que George W. Bush a bien évoqué la nécessité de "diversifier les sources d’énergie" et de "cesser de s’approvisionner chez nos ennemis".

Si "W." n’a pas fait grand-chose de concret en la matière, "nous avons de bonnes raisons de croire que le prochain président prendra des mesures énergiques allant en ce sens", pronostique la FBN. Pourquoi ? Parce qu’ "un contexte géopolitique instable et hostile se traduit par un marché tendu et des prix volatils, en plus de menacer le développement économique des Etats-Unis et sa sécurité nationale." Le mot est lâché.

Attention à la montée en puissance de l’Asie sur l’échiquier pétrolier
Notre analyste n’y va pas par quatre chemins : depuis 2000, la liste des pays pétroliers hostiles aux Etats-Unis prend de l’embonpoint à vive allure. La Russie et le Venezuela ont rejoint l’Iran, membre historique du club des anti-Américains virulents, et qui font tout ce qu’ils peuvent pour vendre ses hydrocarbures à l’Inde et la Chine. Et ils y arrivent !

"Quant à l’Irak, que les Etats-Unis partent dans un an ou dans une décennie, le résultat final est connu", assène le Québécois : "les chiites dirigeront le pays, ou une partie de celui-ci, et la majeure partie du pétrole coulera vers l’Est et non plus vers l’Ouest."

Les producteurs "amis" ne suffiront pas
Bien sûr, il reste des pays pétroliers amis autour du Golfe ou au Brésil. Mais "ils exigent des participations, des redevances et des taxes de plus en plus élevées".

En résumé, "leur incapacité soudaine à assurer leur approvisionnement à long terme en pétrole a rendu les Etats-Unis dangereusement vulnérables aux flambées des prix pétroliers, tout en plaçant une lourde responsabilité sur les épaules des militaires, qui doivent garantir un accès permanent au pétrole étranger", écrit Pierre Fournier.

Voilà pourquoi les scénarios alternatifs vont monter en puissance
"Compte tenu de ce scénario plutôt sombre, le prochain président va très probablement s’intéresser de près aux sables bitumineux canadiens", écrit Fournier.

Les éoliennes ont autant la cote que le pétrole canadien est "sale". Mais des Américains pétrolo-dépendants et "traumatisés par leur dépendance à l’égard de pays hostiles" devraient se montrer "plus intéressés par les avantages de l’indépendance énergétiques que préoccupés par l’environnement", indique-t-il.

Le prospect américain pourrait bien être un client de choix pour le bitume canadien. Toute la question est : à quelles conditions ?

C’est ce que nous verrons dès demain

Meilleures salutations,

Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora

(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement. Il participe régulièrement à l’Edito Matières Premières & Devises.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile