La Chronique Agora

Laxiste avec les puissants, impitoyable avec les faibles…

** Les Etats-Unis ont toujours un coup d’avance sur l’Europe quel que soit le domaine considéré — c’est du moins ce que la plupart des gérants et des stratèges prétendent aujourd’hui encore. En tout cas, la crise immobilière y a débuté il y a 18 mois, la bulle du crédit a explosé en février 2007, l’inflation réelle y est supérieure à 4% depuis plus de six mois, le marché de l’emploi s’y est retourné au mois de mars et le chômage a explosé en mai.

C’est à se demander quel triste scénario économique n’a pas encore été expérimenté outre-Atlantique avant de venir frapper les rivages du Vieux Continent !

La BCE s’apprêtait hier (ce sera chose faite lorsque vous lirez ce commentaire) à relever son taux directeur pour prévenir une spirale salaires/prix — et réciproquement –, mais Frederic Mishkin, gouverneur de la Fed de son état, prétend que la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation ne s’est pas encore propagée à l’inflation de base ou aux salaires.

Pourquoi en irait-il autrement en Europe où le pouvoir d’achat réel (pas celui que nous concoctent les mathématiciens de l’INSEE) régresse inexorablement depuis 10 ans ?

Jean-Claude Trichet n’aurait donc pas vu une inflation des actifs, notamment immobiliers et matières premières, qui crevait les yeux de 2003 à 2007… mais il détecterait un "risque" (que rien n’atteste) de voir les citoyens de l’Euroland obtenir soudain trop d’argent de leur patron. Et ce alors que les entreprises de l’Eurotop 100 ou de l’Euronext 300 passent leurs temps à délocaliser les emplois dans des pays où la main d’oeuvre est bon marché.

Drôle de paradoxe : alors que l’incendie faisait rage à tous les étages sur les dot.com, de 1996 à l’an 2000, alors que le prix du mètre carré explosait presque partout en Europe (sauf en Allemagne) depuis 2001, voici que la BCE — qui n’y a vu que du feu — s’implique maintenant dans la lutte contre une potentielle fuite de liquidités dans les sous-sols !

Il suffit de passer le doigt sur les murs des caves, d’examiner le plancher des parkings pour constater que s’il y a des traces d’humidité, il s’agit d’un simple phénomène de condensation. Cela n’a rien à voir avec l’inondation d’inflation par les salaires que J.C. Trichet nous promet, si lui et ses infaillibles collègues n’agissaient pas au plus vite.

Pendant ce temps, le pétrole continue de flamber du Golfe du Mexique au Golfe persique en passant par le Golfe de Guinée, des rives de la Caspiennes aux steppes de la Sibérie.

** Lorsque les professionnels du crédit ont inventé les moyens techniques de multiplier les liquidités (explosion spontanée de la masse monétaire au profit des seules entités financières habilitées à la manipuler, les banquiers, les monoliners et les hedge funds) et de transférer le risque aux marchés — c’est-à-dire à chacun d’entre nous –, la BCE n’a même pas froncé les sourcils.

Il a fallu des affaires Enron ou Parmalat puis l’éclatement de la bulle des subprime pour que la notion d’aléa moral soit prise en considération. Les autorités de tutelle, sommées d’agir, ont alors parlé d’un renforcement des contrôles et de responsabilisation des dirigeants.  

Mais à peine envisage-t-on que le commun des mortels soit mieux rémunéré pour son travail productif alors que la hausse du coût de la vie lamine son pouvoir d’achat, que la BCE dégaine tout son arsenal répressif, se répand en discours moralisateurs (qui sonnent faux, mais qu’importe) et se propose d’agir fermement et y compris de manière "préventive" — même quand un expert en la matière, basé aux Etats-Unis, balaye du revers de la main le risque d’instauration d’une spirale prix/salaires.

Mais que ne l’a-t-elle fait lorsque la spéculation sur les dérivés de crédit provoquait une succession de bulles financières, dont elle semble être la seule à ne pas s’être inquiétée !

Laxiste avec les puissants (les brasseurs d’argent), impitoyable avec les faibles (ceux qui ne récoltent que les miettes)… telle est la BCE ! Elle ne fait, de ce point de vue, ni pire ni mieux que des entités comme la police ou la justice dans des pays qui accommodent à leur sauce les concepts de liberté, d’égalité… et accessoirement de fraternité.

La BCE est tout simplement humaine : elle aime croire en ses principes mais verse dans le dogmatisme. Elle se veut vertueuse mais ferme les yeux sur les excès des argentiers qui chantent ses louanges. Elle prétend œuvrer pour le bien commun mais ne contente qu’une minorité de détenteurs du capital tandis qu’elle méprise la population ignorante (forcément) et ingrate de tant de bienfaits découlant d’un euro fort.

Nous saurons dès ces prochaines heures si l’Europe mérite une double peine (25 points ce 3 juillet + 25 points à la rentrée) ou peut se contenter de la punition préventive que la BCE avait promis le 5 juin dernier : le "fait accompli" jouerait alors en faveur de la bourse.

** En attendant, les investisseurs ne voient pas le bout du tunnel. La bourse de Paris a chuté de 1% supplémentaires, à 4 296,50 points, dans des volumes étoffés (6,3 milliards d’euros) qui trahissent une forte aversion au risque et un désengagement proche de la capitulation sur de nombreux dossiers jugés sensibles (comme Danone, Carrefour, Saint Gobain), ou qui permettent de dégager rapidement du cash, comme Arcelor-Mittal, Vallourec (+5% et +10% pour l’année en cours) ou encore Gaz de France, qui ne préserve qu’un gain symbolique de 1,3%.

La matinée s’était pourtant amorcée de manière encourageante, au lendemain d’une performance de Wall Street qui déjouait le pronostic initial : le CAC 40 gagnait rapidement 0,9% à 4 375 points. Cependant, l’actualité du jour s’est nettement assombrie avec le recul des stocks de brut américains : -2 millions de barils la semaine dernière.

Cette annonce provoquait une remontée du pétrole vers les 143 $ (à 18h) et une rechute symétrique du dollar sous les 1,5870/euro ; il revient à 1% de son plancher historique de la mi-mars 2008.

Prenant le contre-pied de récentes déclarations "modérées" concernant l’évolution de la politique monétaire ("les marchés ne peuvent former aucune certitude au sujet d’un cycle de hausse du loyer de l’argent"), J.C. Trichet réaffirmait mardi dans un quotidien allemand la nécessité d’agir sans faiblesse vis à vis de l’inflation… ce qui semble indiquer que la hausse de taux de ce jeudi ne restera pas un geste unique.

** Aux Etats-Unis, le marché du travail se dégrade. Le secteur privé américain a détruit 79 000 emplois au mois de juin, selon le cabinet Automatic Data Processing (ADP), quand les économistes tablaient seulement sur 20 000 destructions. Les statistiques officielles seront publiées demain par le département du Travail US : elles concordent rarement avec les chiffres compilés par ADP.

Emploi et pouvoir d’achat en berne, crise de l’immobilier… les opérateurs découvraient dans la foulée ce mercredi matin les difficultés du promoteur britannique Taylor Wimpey qui, faute de parvenir à lever dans l’urgence 500 millions de livres, apparaît condamné à la faillite. Il a plongé de 50% à la Bourse de Londres. Marks & Spencer a également dévissé de 24,5% suite à un profit warning alors que le chiffre d’affaire recule de 6% au deuxième trimestre.

En y ajoutant les commentaires de Merrill Lynch concernant une faillite de General Motors (-11% à Wall Street à 10,5 $)… il est facile de comprendre pourquoi les indices boursiers européens ont clôturé sur une note de lourdeur. Le CAC 40 cédait au final -1,03% (le plancher annuel des 4 307 points a donc été enfoncé en fin d’après-midi), Amsterdam perdait 1,5%, Londres 0,75%… et le score annuel moyen flirte avec les -24% (Eurofirst 80).

La BCE pourrait s’en inquiéter… mais le problème, ce sont les salaires ! Ah, si seulement les épargnants pouvaient tous venir perdre leurs économies en bourse, l’inflation serait vaincue !

Philippe Béchade,
Paris

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