▪ Trop c’est trop ! Ce qui constitue une évidence depuis des mois et même des années pour nos lecteurs devient soudain un sujet d’indignation pour Laurence Parisot, la présidente du MEDEF.
Elle accuse — sans prendre de gants — les Américains d’avoir délibérément orchestré une psychose autour de la crise de la dette en Europe. Cela afin de détourner l’attention des marchés de leur propre problème d’endettement.
C’est le genre d’argument que nous martelons sans relâche depuis mai 2010, repris du bout des lèvres par de rares trublions de la presse financière. Et ce n’est certainement pas un hasard si nous assistons à la multiplication des rumeurs ouvertement fallacieuses et malveillantes à l’encontre de la Zone euro depuis que S&P a privé les Etats-Unis de leur Triple A début août.
Mais les Nuisibles Anonymes n’en sont pas à leur coup d’essai. Les Etats-Unis sont en effet aux abois depuis début juillet (juste après l’arrêt du QE2, alors que les négociations au Congrès s’engageaient très mal) du fait des critiques chinoises dénonçant l’incapacité de l’Amérique à réduire ses déficits. Quand on n’a plus un sou en caisse, plus les moyens politiques de rétablir la situation et plus la possibilité de masquer ces inconfortables évidences, il ne reste plus que la diversion.
Laurence Parisot ne dit pas autre chose lorsqu’elle déclare : « on vient d’assister à une sorte de guerre psychologique, à une tentative de déstabilisation de la Zone euro avec la diffusion de rumeurs sur les difficultés supposées de certains pays ».
Et d’illustrer son propos avec les rumeurs infondées concernant les banques françaises et notamment celles faisant état de difficultés affectant la Société Générale : c’est typiquement le genre de prophéties auto-réalisatrices.
Si la Générale n’avait pas de véritables problèmes de refinancement avant les bruits circulant dans les salles de marché anglo-saxonnes, après que le titre a plongé de 15%, il est évident que la confiance s’était évaporée… Et dans le climat actuel, rétablir son crédit auprès de ses partenaires bancaires et des hedge funds, c’est presque mission impossible.
La présidente du MEDEF, décidément très en verve, ajoute : « nous sommes passés d’attaques sur l’Espagne à des attaques visant l’Italie, puis la France, jusqu’à des rumeurs de dégradation de l’Allemagne la semaine dernière ». Nous avions souligné à quel point cela nous paraissait absurde et semblait relever de l’intoxication pure et simple… mais la caractéristique d’un marché qui déraisonne, c’est de croire que tout est possible.
▪ Et si on se refuse à croire n’importe quoi, il faut bien admettre que le scénario boursier de vendredi démontre que la versatilité des marchés — quels qu’en soient les motifs — demeure étourdissante.
Le problème, c’est que ce phénomène profite presque systématiquement à Wall Street. La place américaine s’est affranchie totalement de la morosité régnant en Europe et a achevé la séance de vendredi en fanfare, avec des gains de 1,2% sur le Dow Jones, 1,5% sur le S&P et 2,5% sur le Nasdaq.
Ces scores effacent les pertes de la veille et permettent aux indices américains de finir la semaine pratiquement au plus haut, contrairement aux places du Vieux Continent. Les investisseurs avaient pourtant littéralement le moral à zéro vendredi entre 15h45 et 16h15. Les indices US dévissaient alors de 1,5% à 2%, le S&P chutant vers 1 136 points, le Dow Jones chutant de 200 points. Le CAC 40 dévissait de 3,3% et l’Euro-Stoxx 50 de 3,5%… La suite, vous la connaissez.
Le résultat des courses, c’est un spectaculaire creusement des écarts de performances de part et d’autre de l’Atlantique. Le Nasdaq affichait par exemple 6% de gain hebdomadaire, à comparer avec un modeste 2,35% à Paris et une piteuse stagnation pour l’Euro-Stoxx 50.
Les « portes de saloon » battent de nouveau à toute volée. La meilleure illustration nous est fournie par le VIX (indice du stress associé au S&P) : il s’est envolé de 10% (vers 43,85) au cours de la première demi-heure vendredi, puis a plongé de 10,5% (vers 35,5) en clôture.
▪ Tous ces mouvements de cours qui ont agité Wall Street ne reposent sur aucun véritable élément concret. Tout est affaire d’interprétation. Le principal aiguillon à la hausse serait l’espoir que la Fed livrera aux marchés des annonces à l’occasion de sa prochaine réunion de septembre.
Difficile d’imaginer que Ben Bernanke puisse rester les bras croisés après la publication d’une révision à la baisse du produit intérieur brut (PIB) américain à 1% en rythme annualisé, contre 1,3% en première estimation.
Les investisseurs n’ont plus aucune illusion sur la pérennité de la reprise aux Etats-Unis. L’économiste en chef de Goldman Sachs estime même que les Etats-Unis ont au moins une chance sur trois de retomber en récession au cours des deux prochains trimestres.
Alan Greenspan avait formulé la même prévision au cours de l’été 2008 (il devait penser 99% de risque mais il n’est pas autorisé à évoquer plus de 33%), bien avant la faillite de Lehman… et le quatrième trimestre s’est soldé par un désastre.
▪ Ben Bernanke a entériné le scénario d’une croissance molle — il lui est interdit d’employer comme en France l’expression « croissance négative ». Cependant, il laissé entendre qu’il disposait encore de quelques moyens monétaires de soutenir l’économie.
Face à au spectre de la récession, le discours de Jackson Hole a clairement pour but de placer la balle dans le camp des politiciens du Congrès. Si le Tea Party s’en empare, ce sera pour la jeter hors d’atteinte, au beau milieu du port, en accord avec l’événement historique fondateur dont la formation ultra-libérale tire son nom.
Sans projet fiscal crédible, sans consensus politique sur le rééquilibrage budgétaire, de nouvelles injections de liquidités de la part de la Fed ne serviraient à rien. Le Tea Party appelle de ses voeux l’effondrement définitif du système politico-économique moribond actuel. De nombreux démocrates ont d’ailleurs joint leur voix à celle des ultras du camp conservateur lors du vote concernant l’extension du plafond de la dette le 2 août.
Le message est clair : de nombreux parlementaires américains sont convaincus qu’il n’y a plus rien à sauver, puisque même une rigueur budgétaire extrême ne changerait rien.
Les Nuisibles Anonymes font paradoxalement preuve de davantage de patriotisme en s’efforçant de convaincre à coup de rumeurs les créanciers des Etats-Unis que l’Europe est encore plus mal en point… et que l’euro aura cessé d’exister d’ici six mois à un an.