La Chronique Agora

Le lamentable héritage de Mario Draghi

Mario Draghi quitte la BCE dans quelques jours, et c’est l’heure du bilan – beaucoup moins lisse que le disent la majorité des médias…

Quel sera l’héritage de Mario Draghi, dont le mandat à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), s’achète officiellement le 31 octobre ? Comment l’Histoire verra-t-elle sa gestion de la politique monétaire de la Zone euro ?

Les années passeront et, certainement, les appréciations deviendront plus nuancées qu’elles ne le sont à ce jour.

J’ai coutume de dire que l’on ne peut prédire l’avenir… mais qu’en revanche, on peut voir le présent, puisqu’il existe, avec les yeux de demain. On peut pressentir les progrès du savoir et de la conscience. Certains, plus perspicaces, peuvent voir les formes, les structures, les interrelations actives derrière le chaos de ce qui apparaît – et ainsi découvrir leur intelligibilité.

Le précurseur, c’est celui qui voit, non pas l’avenir, mais le présent avec les yeux de demain, et sait le décoder.

Ainsi le précurseur lors de la fin de la Deuxième guerre mondiale aurait été celui qui, dès cette époque, avait conscience de l’importance de la Shoah, des camps d’extermination, de l’antisémitisme.

A cette époque, les connaissances en étaient balbutiantes et ses conséquences n’en étaient pas perçues. Cette thématique de l’antisémitisme, du racisme, de la sécurité d’Israël et par contrecoup celle du nazisme est la thématique majeure de notre époque. Des dizaines et des dizaines d’années après, elle alimente les guerres, sert à cliver nos sociétés et à tracer les lignes de la bien-pensance.

L’Histoire sera sévère pour M. Draghi

Je réfléchis souvent à la façon dont l’Histoire jugera Draghi. Je suis persuadé qu’à la lueur des conséquences de son action, elle sera sévère.

Les journaux européens font leurs adieux à Mario Draghi sans critique aucune ; ils auront traversé toute cette période sans rien avoir à dire ou à expliquer. Ils sont passés à côté de tout.

Draghi a donné sa conférence de presse d’adieu en tant que président de la BCE jeudi dernier. Ce qu’il y a dit a donné un aperçu de cette pensée.

Draghi ayant pratiquement épuisé l’arsenal des politiques monétaires lors de la réunion précédente, il n’avait pas grand-chose de nouveau à dire. Il a préempté la future politique de Christine Lagarde, qui lui succèdera, et lui a lié les mains.

« Quel conseil donnez-vous à Christine Lagarde ? »

Draghi :

« … Aucun conseil n’est nécessaire. Elle sait très bien ce qu’elle doit faire. En passant, il lui reste une longue période au cours de laquelle elle devra se faire sa propre idée, avec le Conseil, sur ce qu’il faut faire. »

Une politique qui perdurera bien après le départ de son instigateur

Draghi a essentiellement défini une politique qui durera bien au-delà de la fin de son mandat. Aucune « normalisation » n’est prévue, et c’est tout à fait volontaire : Draghi sait que Lagarde ne peut pas « renverser la charrette de pommes », comme le dit l’expression anglo-saxonne.

Les taux de dépôt négatifs continueront indéfiniment, de même que l’assouplissement quantitatif. Aucune décision difficile nulle part à l’horizon pour Lagarde. Le Conseil des gouverneurs présentera sûrement, hypocritement, un front unifié. Christine Lagarde s’en sortira facilement… jusqu’à ce que des ennuis se présentent.

C’est là la conséquence involontaire de la grande expérience monétaire de Bernanke et Draghi : une fois qu’on utilise des mesures de relance monétaire pour soutenir les systèmes financiers, on ne peut plus revenir en arrière.

Draghi n’a pas sauvé l’euro ; il a simplement différé l’effondrement monétaire ou la crise sociale.

L’autre éléphant dans la pièce

A bien des égards, retarder le jour des comptes ne fait qu’empirer les choses. Il y a plus de dettes, les amortisseurs sont usés, les banques sont devenues zombies, le mal est enraciné dans les comportements – et surtout, le peuple est lassé d’attendre la sortie de crise. Sa patience se réduit. La confiance fait défaut. Les vérités montrent le bout de leur nez.

L’éléphant dans la pièce globale – l’autre éléphant, plutôt –, c’est l’effervescence sociale. Au cours des dernières semaines, le monde a connu des émeutes dans un nombre croissant de pays, notamment le Liban, l’Egypte, l’Irak, l’Espagne, le Chili, la Bolivie, l’Equateur et Hong Kong.

Attendez que la bulle globale éclate ! Attendez que les coûts se développent davantage, avec des inégalités de richesse croissantes et un stress social et géopolitique exacerbé.

Que reste-t-il à la BCE ?

Les banquiers centraux ont dépensé des ressources précieuses pour soutenir l’insoutenable.

Que reste-t-il à la BCE dans son arsenal à dépenser lorsque la prochaine crise éclatera ?

Une seule chose : des milliards d’euros de QE. Et des vœux pieux.

Draghi a échoué mais il rêve… et il engrosse l’Europe de ses rêves. Son action était inadaptée et il trouve des excuses. Des tartes à la crème.

Pour échapper aux critiques, les banquiers centraux ont un catéchisme. Il consiste à dire : « Nous ne pouvons pas tout, c’est aux gouvernements de faire ce qu’il faut – ou faudrait. »

Mais si les peuples n’en veulent pas – comme c’est le cas actuellement –, alors que faire ?

Le vrai réalisme n’est pas de dire « il faudrait », mais bien de dire « compte tenu de ce qui est, voilà ce qu’on peut faire ».

Il faut traiter les problèmes existants sur la base de ce qui est, non pas sur une base hypothétique dont personne ne veut.

Draghi, dans ses propos, part de l’idée que les problèmes sont résolus – c’est-à-dire qu’il y a une Europe politique, fiscale et sociale. Or il n’y en pas ; au contraire, on s’en éloigne de plus en plus car les peuples sont déçus, saturés d’être trompés.

A suivre…

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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