"Qui sème l’emprunt récolte le chagrin".
Cette citation est librement adaptée d’une petite phrase de Benjamin Franklin. Elle ne nous a pas été remise en mémoire par l’actuel président américain. Non, le Telegraph de Londres la rapportait de la bouche de Cheng Siwei, un "membre éminent de la hiérarchie communiste".
La roue tourne. Les Anglo-Saxons ont oublié ce qui rend une économie prospère. Les Chinois, eux, s’en sont souvenu.
La preuve ? Il y a quelque temps, il suffisait de chercher Warren Harding sur Wikipédia et le premier article que vous trouviez ne concernerait pas le 29e président des Etats-Unis, mais un alpiniste du même nom. Fallait-il vraiment s’en étonner ? L’histoire n’est qu’une longue liste de désastres par ordre chronologique. Les historiens adorent les calamités, et ceux qui en provoquent ont droit à leurs plus hautes louanges. Il en va de même pour l’histoire financière : les personnages les plus admirés sont ceux qui aggravent le plus les choses.
On peut affirmer sans trop de risques qu’aucun employé de la Réserve fédérale ou de la Maison Blanche n’a de photo de Warren Gamaliel Harding sur son bureau. Cependant, si les présidents américains étaient notés selon leur capacité à faire face à un désastre financier, Warren G. Harding pourrait être une célébrité. Son visage serait sculpté sur le Mont Rushmore. Son portrait ornerait les billets de 100 $. Harding a été le dernier président américain à gérer honnêtement une crise financière majeure. Depuis, tous ses successeurs ont essayé de s’en sortir par le biais de l’escroquerie.
Lorsque Harding a pris ses fonctions en 1921, la Panique de 1920 faisait grimper le chômage américain de 4% à près de 12%. Le PIB s’était effondré de 17%. A l’époque comme maintenant, les subordonnés du président le poussèrent à intervenir. Herbert Hoover, secrétaire au Commerce US, voulait se mêler de la situation — comme il le ferait dix ans plus tard. Mais Harding résista. Pas de renflouages. Pas de plans de relance. Pas de politique monétaire. Pas de politique budgétaire. Harding avait une meilleure approche : il réduisit les dépenses gouvernementales et partit jouer au poker.
"Nous tenterons une déflation intelligente et courageuse, nous lutterons contre l’emprunt gouvernemental qui aggrave le mal et nous nous attaquerons aux dépenses gouvernementales élevées avec toute l’énergie et les moyens dont dispose la capacité républicaine… ce sera un exemple permettant de stimuler l’épargne et l’économie au niveau individuel."
"Mettons en place… une campagne nationale contre l’extravagance et le luxe, pour un réengagement envers la simplicité, envers le mode de vie prudent et normal qui représente la santé de la république".
En moins d’une décennie, les opinions de Harding se virent reléguées au rang d’objets de collection. Mais en 1921, il considérait encore que le monde était moral — dirigé non pas par l’homme, mais par Dieu. Ce n’était pas là le résultat de longues études ou de réflexions profondes de sa part. Harding était probablement aussi idiot que tout le monde le dit. Comme l’a souligné Keynes, les politiciens sont toujours inféodés à un (ou plusieurs) économiste mort. Au moins Harding était-il sous l’emprise des bons économistes.
"Aucun statut promulgué par l’homme ne peut abroger les lois inexorables de la nature", annonça-t-il. "Notre tendance la plus dangereuse est d’attendre trop de choses du gouvernement"…
Harding ne fut pas le premier à considérer l’économie comme un ordre "naturel"… que l’on perturbe à ses risques et périls. Un taoïste nommé Zhuangzi, qui vivait à peu près à la même époque qu’Alexandre, observa : "l’ordre apparaît spontanément lorsqu’on laisse les choses suivre leur cours".
Plus tard, des économistes écossais, notamment Adam Smith et Adam Ferguson, approfondirent cette idée. Smith, comme Harding, considérait que l’économie était dirigée par la main invisible de Dieu. Ferguson envisageait les marchés comme un "ordre spontané" qui était le "résultat de l’action humaine, mais non l’exécution d’un quelconque plan humain".
Cette même idée de base mena Irving Fisher — le plus grand économiste des années 20 — à élaborer sa théorie sur les dépressions et la dette-déflation. Après que les gens ont emprunté, ils doivent rembourser. Les krachs suivent les booms, il n’y a pas à sortir de là.
Warren Harding n’a peut-être jamais été la lueur la plus vive éclairant le Bureau Ovale, mais intuitivement, il comprenait que les bonnes politiques macro-économiques sont plus le produit de la vertu que du génie. La dette engendre des problèmes — inutile d’aller plus loin.
Keynes arriva quelques années plus tard. Keynes était un génie ; tout le monde le disait. Il avait réponse à tout. La nature ? Le gouvernement pouvait faire mieux. La dette ? Pas besoin de s’inquiéter, disait-il. Pourquoi ne pas simplement laisser le capitalisme se débrouiller ? Sans intervention gouvernementale, les choses ne feront qu’empirer, déclara Keynes.
Mais Harding avait déjà prouvé que Keynes avait tort. Il fit exactement le contraire de ce que Keynes recommandait. Au lieu d’augmenter les dépenses gouvernementales, il les réduisit. Il divisa le budget national par deux ou presque. Il réduisit également les impôts… et diminua la dette nationale de près d’un tiers.
A l’époque, le Japon luttait contre la même dépression. Mais il n’avait pas Harding à sa tête. Les dirigeants nippons de l’époque devancèrent Keynes, essayant de freiner la correction en utilisant les contrôles de prix et autres interventions gouvernementales. Il en résulta un ralentissement interminable qui dura jusqu’en 1927 et se solda par une crise bancaire. Aux Etats-Unis, pendant ce temps, le chômage était redescendu à 6,7% en 1922. En 1923, il avait diminué plus encore — à 2,4%.
La leçon échappa complètement aux économistes mondiaux. Lorsque la crise suivante frappa, une décennie plus tard, ils se tournèrent vers Keynes. Bien entendu, le monde se révéla être moral, en fin de compte. Ils obtinrent ce qu’ils méritèrent.
Bill Bonner
La Chronique Agora