La Chronique Agora

La fin du libéralisme ?

Par Ingrid Labuzan (*)

Ils pensent que nous sommes sauvés. Que leurs mesures vont nous tirer de ce mauvais pas. Ils ? Le monde financier, les hommes politiques, les économistes bien pensants… Leurs mesures ?

– L’ouverture d’un charnier aux Etats-Unis où chacun sera autorisé à venir déposer ses produits financiers toxiques — comprenez ses cadavres — qu’un gouvernement américain fort complaisant rachètera ;
– Le renflouage des paniers percés du moment, comme l’assureur américain AIG ;
– L’interdiction d’opérer certaines ventes à découvert à nu, les naked short, sur les assureurs et les banques. La vente à découvert, c’est vendre ce que l’on n’a pas encore pour le racheter ensuite, une fois que son cours a baissé. Aujourd’hui, rien n’oblige à bloquer la somme correspondant au montant de la valeur de la vente, on réalise alors une opération à nu. Au poker, ce serait comme parier sans mettre de blind — la mise obligatoire pour jouer — sur la table.

Le péché d’orgueil
Le patron de Lehman Brothers, Richard Fuld, accuse les spéculateurs à découvert d’avoir précipité la chute de sa banque. Ne serait-ce pas fuir ses responsabilités que de chercher un coupable afin de masquer sa faute ? Heureusement, certains ne sont pas dupes : la grogne contre "Dick" monte. Les offres des Coréens ou autres fonds asiatiques à 25 $ l’action semblent bien alléchantes aujourd’hui alors que le cours est tombé à 0,10 $. Dick a péché par orgueil.

Les plus féroces affirment même que les patrons des banques d’affaires ou autres organismes de prêts hypothécaires devraient pouvoir être poursuivis au pénal. Après tout, ils sont responsables de drames familiaux, de ruines, d’expropriations… Cela mettrait peut-être un frein à leur imagination sans limite quand il s’agit d’inventer de nouveaux montages financiers.

Le gouvernement américain renfloue, nous parlons de nationalisation. Les ventes à découvert sont interdites, nous crions à la fin du libéralisme.

Croyez-vous vraiment que cela soit le cas ? Que les Etats-Unis aient renoncé à leur modèle ? Je ne le pense pas. Il s’agit certes d’ajuster ce système mais surtout de le sauver.

Est-ce un mal ?

Purger les bulles, se débarrasser enfin des racines d’un mal qui remonte à la crise de 2000 est plus que nécessaire. Mais ce n’est sans doute pas en créant un réservoir de produits toxiques — cadeau empoisonné que s’offre à lui-même le gouvernement américain — que nous y parviendrons. Quant à renoncer au libéralisme, ce n’est finalement pas à l’ordre du jour.

D’ailleurs, pour Jean-Claude Trichet, à la tête de la Banque centrale européenne, un monde sans spéculation ne saurait exister. Avec un brin d’humour, le sévère économiste rappelle qu’un seul pays a jamais banni totalement la spéculation. Vous ne voyez pas ? Il s’agit de l’Union soviétique bien sûr.

La triomphante Angela
Méfiants, prudents, peut-être moins appâtés par le gain que d’autres, les Allemands réclamaient depuis longtemps des accords internationaux de régulation financière. Aujourd’hui, la chancelière Angela Merkel fait la nique aux Américains. Elle jette la pierre aux gouvernements américain et anglais, ainsi qu’aux banquiers qui s’étaient toujours opposés à ce type de mesures. Avec l’interdiction des ventes à découvert à nu (temporairement ou durablement ?), Angela triomphe.

Y a-t-il lieu de se réjouir à ce point ? Interdire les ventes à découvert à nu est plutôt un simple retour à la normale. Comment avons-nous pu autoriser, avec des montants astronomiques, des opérations que le premier jeu d’argent interdit ?

Nous avons le triomphe plus modeste et nous maintenons simplement nos recommandations. Au cas où vous en douteriez encore, sachez qu’il vaut mieux se tenir à l’écart des valeurs financières…

Meilleures salutations,

Ingrid Labuzan
Pour la Chronique Agora

(*) Journaliste, Ingrid Labuzan est titulaire d’une maîtrise d’histoire, d’un master d’European Studies du King’s College London et d’un mastère médias de l’ECSP-EAP. Spécialisée sur le traitement de l’information et des médias étrangers, elle a vécu et travaillé pendant six mois à Shanghai. Elle a contribué à de nombreuses publications, dont le Nouvel Observateur Hors-série. Elle rédige désormais chaque jour la Quotidienne de MoneyWeek, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.

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