▪ La situation que nous vivons depuis 1973 est unique en son genre. C’est en effet la première fois dans l’Histoire que la monnaie n’est adossée à aucun actif tangible au niveau planétaire. Il y a eu quelques précédentes tentatives malheureuses de donner au papier-monnaie une valeur intrinsèque. Toutes se sont soldées par un effroyable carnage de l’épargne. John Law, les assignats, les mandats territoriaux : cela doit vous rappeler quelques-uns des meilleurs moments de votre scolarité mais ce sont aussi les pires pages de notre histoire financière.
▪ La fin de l’étalon-or a déclenché tous les problèmes
Ce qui fait toute la différence entre une monnaie purement papier et une monnaie assise sur un actif réel tel que l’or, c’est la notion de créance attachée au papier. Pendant la période de l’étalon-or, qui s’est terminée en 1914, les déséquilibres entre pays étaient compensés par des flux de métal. Un pays en situation de balance déficitaire permanent voyait ainsi ses réserves d’or diminuer au fil des transferts effectués vers ses partenaires en situation excédentaire. Le passage du métal d’un côté à l’autre de la frontière soldait cette situation une fois pour toutes — ou du moins jusqu’à une prochaine balance commerciale déficitaire si rien n’était entrepris pour limiter la fuite du précieux métal.
Le passage à l’étalon-or en 1922, puis en 1944, introduit le papier-monnaie dans le processus de compensation. La devise de référence (dollar américain et livre sterling en 1922 puis uniquement dollar en 1944) vaut comme de l’or. Les réserves peuvent être constituées indifféremment d’or ou de papier. Le papier, pouvant être échangé contre du métal, celui-ci doit, pour rester « crédible », n’être émis qu’en deçà d’une certaine proportion des réserves d’or.
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Chine, Inde, Russie, Brésil… le potentiel des BRIC n’est plus celui qu’on croit
Désormais, les profits potentiels se trouvent ailleurs. Où exactement ? Quelques éléments de réponse sont ici…
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Contrairement au métal, le papier-monnaie une fois échangé ne l’est pas « pour solde de tout compte ». Le pays heureux bénéficiaire de ce surplus se contente rarement d’entasser les billets amoureusement dans ses coffres. Les devises ainsi obtenues regagnent pour une grande partie leur pays émetteur pour être transformées en produits financiers offrant un rendement. Ce flux participe à l’abondance de la demande de produits financiers dans le pays émetteur de ces devises et pousse ainsi les prix des actifs financiers dont ceux des obligations, ce qui équivaut à une baisse des taux. Cela favorise alors l’expansion du crédit qui va ensuite alimenter la frénésie de consommation et donc déséquilibrer la balance des paiements en stimulant encore plus les importations… nous ramenant au point de départ.
Après avoir enterré l’étalon-or en 1973, ou du moins ce qu’il en restait, les Etats-Unis, libérés de toute contrainte monétaire, ont pu passer à la vitesse supérieure et accélérer ce processus de création artificielle de richesse. Nous en étions là en 2007.
▪ Acte I de la guerre des monnaies : une offensive américaine pour augmenter sa balance des paiements
Depuis 2008 nous sommes entrés dans la recherche d’un nouvel équilibre. Pour le comprendre, schématisons la notion de PIB. Le PIB, produit intérieur brut, permet d’apprécier la production de richesse d’un pays au travers d’une formule simple :
PIB = C + G + I + X :
• le C représente la consommation. Aux Etats-Unis elle pèse
plus de 70% du PIB ;
• le G est pour les dépenses du gouvernement, 20% du PIB ;
• le I pour l’investissement des entreprises, environ 12% ;
• et le X représente le solde de la balance des paiements,
exportations moins importations, -3%.
Lorsque la consommation est en panne du fait d’une crise immobilière et d’une crise du crédit sans précédent, lorsque le gouvernement se serre la ceinture (après quatre plans de relance sans résultat) à cause d’un endettement colossal qui ne lui laisse plus aucune marge de manoeuvre, lorsque les entreprises sont peu enclines à investir constatant la frilosité du consommateur, il ne reste dès lors plus qu’une seule variable sur laquelle agir : X, le solde de la balance des paiements.
Et pour gonfler X, le solde de la balance des paiements, le gouvernement américain s’est ostensiblement engagé dans une dépréciation historique de sa monnaie par rapport à celle de ses principaux partenaires commerciaux : Chine, Union européenne, Japon.
Nous n’en sommes qu’au premier acte. La mise en scène ne se déroule pas exactement comme l’avait prévu Tim Geithner dans son scénario d’origine.
▪ Mais l’offensive américaine n’est pas si simple…
L’Europe est en récession depuis l’automne 2011 et l’euro baisse par rapport au dollar. La Chine, dont la monnaie est liée au dollar, n’a pas réévalué comme prévu et ses clients, européens et américains, se montrent timides alors que le consommateur chinois n’est pas encore prêt à prendre le relais.
En outre l’explosion de liquidités des quatre plans de relance américains depuis 2008 a généré une forte poussée inflationniste dans les pays partenaires. La Chine a dû imprimer autant de yuans que de dollars qui lui étaient présentés. Les flots de dollars ont fait flamber l’inflation dans des pays comme le Brésil ou le Vietnam.
Ces flux les laissent avec deux alternatives, dont aucune n’est satisfaisante : accepter l’inflation exportée par les Etats-Unis ou réévaluer leur monnaie vis-à-vis du dollar américain. Tim Geithner anticipe le second choix. Pour se sortir d’une situation économique et financière unique dans l’Histoire, les Etats-Unis ont déclenché une guerre mondiale des monnaies.
L’objectif est de maintenir des taux bas aussi longtemps que possible pour offrir au consommateur américain le temps nécessaire pour sortir de sa léthargie… et au gouvernement américain un répit sur le service de sa dette. Pour cela le dollar doit dévaluer vis-à-vis des autres monnaies pour redonner vie aux exportations et donc aux entreprises américaines qui dès lors recruteront et aideront ainsi le consommateur à se refaire une santé.
Pensez-vous qu’Europe, Chine, Brésil etc. vont rester les bras croisés et accepter une réévaluation imposée de leur monnaie ? Installez-vous confortablement, ce sera l’objet de l’acte II.
Vous devinez sans peine que, dans ce contexte de course à la dévaluation des monnaies mondiales, les métaux précieux ont de beaux jours devant eux. « Jusqu’où ? »C’est la question qui m’est posée régulièrement. Ma réponse est toujours la même : très haut. « Pourquoi ? » Parce qu’à ce jour personne n’en possède quasiment. Pour le comprendre faisons un peu d’arithmétique.
▪ Pensez-vous que la ruée vers l’or a déjà eu lieu ? Détrompez-vous !
Dans son dernier point trimestriel le Conseil mondial de l’or (le World Gold Council) dévoile quelques statistiques qui illustrent cette situation paradoxale. En 1968, l’investissement en or constituait environ 5% des actifs financiers des fonds et des particuliers.
Après un plus bas à 0,2% en 2000, soit environ 227 milliards de dollars américains, la part de l’investissement en or se situe aujourd’hui autour de 0,7% (fin 2010). Mais de 2000 à 2010 le prix de l’or en dollar a été multiplié par 5,18. C’est-à-dire que par le seul fait de l’appréciation du prix du métal, les 227 milliards se sont transformés en 1 175,86 milliards de dollars.
Sachant que l’ensemble des actifs financiers a culminé en 2010 autour de 210 000 milliards de dollars, la part des 0,7% investis dans l’or ne représente donc que 1 470 milliards. Au final seulement 300 milliards de dollars (vous en trouverez exactement 294,14 en faisant la soustraction) sont allés s’investir sur l’or pendant cette période, alors que dans le même temps près de 100 000 milliards d’actifs financiers étaient créés.
Le flux d’investissement vers le métal jaune depuis 2000 représente donc tout juste 0,3% du flux financier global sur ces 10 dernières années. Dès lors, comment parler d’une ruée vers l’or à ce stade ? A l’évidence, la hausse a encore de beaux jours à vivre…
[NDLR : Yannick Colleu intervient tous les mois dans Vos Finances pour parler d’or et d’investissement aurifère. Retrouvez-le sans attendre en cliquant ici…]
Première parution dans La Quotidienne d’Agora le 14/02/2012.