La Chronique Agora

La chute du pétrole : raisons micro- et macro-économiques

** Ces derniers mois, l’énergie ne s’est PAS raréfiée. Du moins ce n’est pas ce que semblent nous dire les prix. Mais en réalité, que sont en train de nous dire les prix ?

– Par exemple, les prix du pétrole brut sont très bas. Bas par rapport à quoi ? En juillet dernier, le pétrole se vendait 147 $ le baril. La semaine dernière, un baril de pétrole se vendait 43 $ et des poussières. Au cours des cinq derniers mois, le pétrole a donc baissé de 100 $. C’est une chute de 71%. Et j’ai vu les prévisions de divers secteurs liés à la vente de pétrole qui annonçaient le pétrole à 30 ou 25 $ le baril dans les mois à venir. Impressionnant. Que s’est-il passé ?

– Prenons un peu de recul et regardons ce qui se cache derrière l’idée de raréfaction. Que s’est-il passé dans le monde ?

– Au début des années 2000, les gens s’inquiétaient de voir la géologie pure poser des limites à la production de pétrole mondiale. C’était l’idée du "Peak de Hubbert". Et la totalité de la méthodologie Hubbert s’est révélée correcte. Cela s’est confirmé pour les régions pétrolifères, pour des nations et même à l’échelle mondiale. Mais le modèle Hubbert d’une éventuelle raréfaction du pétrole — aussi réelle soit-elle à long terme — a été rattrapé par d’autres événements.

– Le modèle de raréfaction de Hubbert, basé sur la géologie, s’est transformé ces dernières années. Le problème est récemment remonté à la surface, au-dessus des forages. Il est désormais question de politique (au Venezuela par exemple) ; de guerre (en Irak) ; d’insurrection (au Nigeria) ; d’accès aux sites (en Russie) ; de tendances de macro-investissement (la montée des entreprises pétrolières nationales — les NOC) et autres problèmes plus larges, comme les limites des capacités industrielles.

** Le banquier d’investissement le plus célèbre de Houston, Matt Simmons, se concentre sur ces questions, et plus particulièrement sur les problèmes de capacités industrielles. Pour être exact, Matt met en cause les contraintes géologiques abordées par Hubbert. Mais Matt consacre la majorité de son argumentaire — avec raison — aux problèmes non-géologiques. Par exemple, Matt avance le manque d’équipement des puits de pétrole, que ce soit au niveau des tours de forage ou des valves sous-marines ultra-résistantes. Le manque de personnel qualifié, la rareté des forages, ou la corrosion systémique (la rouille) seront selon lui responsables de la future baisse de production de pétrole.

– Et Simmons a tout à fait raison sur ces points-là. C’est toujours très instructif — et agréable — d’écouter Matt. Sur le long terme, et au rythme où vont les choses, on peut dire que Matt a posé le doigt sur le problème. Il n’y aura pas suffisamment de pétrole pour répondre à la demande mondiale à venir, à cause d’un sous-investissement dans les forages, de personnel non qualifié, de capacités industrielles insuffisantes, et autres inefficacités dans le processus industriel global.

– Mais pour l’instant — disons, au cours des dernières semaines — le problème de "raréfaction" a encore changé. Le problème immédiat, c’est que la demande globale de pétrole diminue, à cause de la récession économique mondiale. Donc le prix du pétrole chute. Il est probable qu’à court terme — pour l’année à venir — il y ait "trop" de pétrole brut en circulation, au sens propre comme au figuré. Le Russe Vladimir Poutine ne pense pas que les choses vont changer avant la mi-2010, et il se peut qu’il ait raison.

– Les réserves mondiales de pétrole sont en réalité en augmentation. J’ai récemment entendu des histoires de grands exploitants comme BP et Shell qui loueraient d’énormes tankers pour stocker leur pétrole en mer, en attendant que les prix montent. Cela doit terrifier les gentils membres de l’OPEP. Comment voulez vous diriger un cartel du pétrole correctement quand il y a d’énormes réserves de votre produit de base qui attendent bien au chaud qu’on les demande ? C’est mauvais pour les affaires.

– La chute actuelle de la demande en pétrole est, évidemment, liée à l’effondrement du paradigme financier moderne. Pendant les belles années, les gens qui avaient des capitaux rencontraient les gens qui avaient des idées. Ensemble, ils construisaient des industries.

– Dans notre ère moderne, les banquiers d’investissement ont détourné le système. L’"industrie" des banques d’investissement a prétendu pouvoir ajouter au système bien plus de valeur que ses services n’en avaient. Et tout cela est devenu une fraude systémique.

– Conclusion, le sol s’est écroulé sous la machinerie financière des industries de l’énergie et des ressources. Tout s’est passé très vite, en quelques semaines, à l’automne dernier.

– Parmi les problèmes micro-économiques : la perte du pouvoir d’achat des foyers et des entreprises. La boulimie de crédit des dernières années a permis à beaucoup de gens et d’entreprises de dépenser plus que ce qu’ils n’avaient. La demande actuelle meurt de ses blessures, surtout que l’effet de levier fait chuter le prix des actions. Les modèles ne fonctionnent plus. Et surtout, nous sommes pauvres.

– A l’échelle macro-économique, le problème central reste la contraction de la demande globale, résultat d’un tarissement des marchés du crédit. Ce sont les problèmes de micro-économie accumulés sur l’économie nationale et mondiale.

– Et nous voilà donc avec des prix du pétrole qui ont chuté de 71% depuis l’été dernier.

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