La City de Londres respire encore, mais elle a le souffle court : le choc qu’elle a vécu est plus important que celui qui avait touché la Grèce et lancé la crise des dettes souveraines en 2010.
La finance mondiale est passée à quelques heures de l’effondrement systémique ce mercredi 27 septembre ; cela n’a même pas fait l’objet d’une brève dans les journaux télévisés, et les chaînes financières se sont bornées à évoquer le soulagement des marchés après une intervention massive sur les marchés de la Bank of England (BoE).
Mais de quoi les marchés ont-ils été soulagés ?
Oh, de trois fois rien… et, dans leur infinie sagesse, les médias se sont abstenus de vous faire perdre votre temps avec des broutilles pour mieux se concentrer sur les pluies diluviennes qui commencaient à s’abattre sur les côtes de la Floride (cyclone Ian oblige), ce qui provoque une flambée du cours du jus d’orange.
Et oui, il s’agit là d’une chose sérieuse : 70% de la production américaine provient de la région de Tampa. Les cyclones provoquent tous les ans – et souvent plusieurs fois par an – des sautes d’humeur des contrats à terme sur ce précieux agrume, incontournable compagnon des petits déjeuners américains : tout le monde se sent intimement concerné… imaginez une pénurie d’ici Noël, de quoi gâcher les fêtes de fin d’année !
Père Fouettard énergétique
Ce n’est pas comme les Européens qui couinent à l’idée de prendre quelques douches froides cet hiver dans une salle de bain glacée, après avoir pris leur repas éclairé à la bougie, devant une télé éteinte.
Et oui, cet hiver, le marqueur de l’obéissance à « l’Etat nounou » – ou plutôt « Père Fouettard » –, ce ne sera pas le masque de papier ni le « pass vaccinal » mais le pull à col roulé et le « pass énergétique ».
Parce qu’après les attaques simultanées visant Nordstream I et II – tandis que la Pologne inaugurait, le même jour, un gazoduc la reliant à la Norvège –, il est à peu près certain que l’Europe du Nord n’échappera pas à quelques coupures de courant, et ses usines à des arrêts d’activité forcée.
Ceci engendrera des centaines de millions d’heures de chômage technique, et d’importantes baisses de revenus des salariés de l’industrie, toutes branches confondues, car aucune ne sera épargnée, à part peut-être, celle de l’armement.
Cela ne restera pas sans conséquence sur la croissance et la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) révise à la baisse ses prévisions de croissance dans l’UE de 4,7% à 3% en 2023.
C’est toujours mieux que les 0,6% prévus outre-Rhin… mais certains économistes allemands redoutent désormais 5% de récession l’an prochain, maintenant que les deux gazoducs Nordstream sont partiellement détruits et à coup sûr inopérants pour tout l’hiver, en imaginant qu’il soit envisageable – politiquement – de les réparer (ce qui prendrait techniquement des mois, de toute façon).
Un krach historique
Mais revenons à la question initiale et à ces « broutilles » britanniques avec lesquelles les médias n’ont pas voulu vous faire bailler d’ennui.
Il s’agit tout simplement d’un krach obligataire comme seule la Grèce en a connu il y a 12 ans. Et encore, je n’ai pas le souvenir que les emprunts grecs aient perdu 20% en 3 heures, même au pire moment de leur débâcle, alors que la BCE, sous la pression allemande, refusait d’éviter la banqueroute à Athènes. Par ailleurs, l’encours de la dette grecque, cela représentait seulement 2% de la masse des dettes libellées en euro : cela n’avait rien de systémique.
En ce mercredi 27, c’est le Royaume-Uni qui a donc failli aller au tapis et entraîner la finance mondiale dans un trou noir, les institutions financières britanniques faisant défaut en cascade sous l’impact d’appels de marges sur leurs encours de Gilts de long terme (la base des financements hypothécaires) en quantités plus importantes qu’aucun « krach test » bancaire n’en a jamais modélisé.
En effet, dans la pire hypothèse, une chute de 5% des bons du Trésor en une semaine pour un pays du G7 était déjà jugé inconcevable (aucun précédent connu au XXIème siècle). Aucune chute de 30% des Gilts en deux mois n’a jamais été observée, mais que dire d’un krach obligataire de 20%… en 3 heures.
Le « 30 ans » britannique a en effet vu son rendement bondir de 115 points de base entre 9h et 11h59 ce 27 septembre.
Cela se serait produit en 180 jours, ça aurait déjà été qualifié de cataclysme obligataire et signifié la faillite imminente du pays émetteur. Une chute de 20% des bons du Trésor en une matinée signifie que le pays qui le subit est en défaut et ses banques au tapis.
Panique à la BoE
Les Gilts à 20 et 25 ans se sont également envolés de 100 points, de 4 vers 5%, ce qui est synonyme de pertes abyssale pour les institutionnels qui détiennent ces instruments où les échangent sous formes de swaps avec des contreparties étrangères qui cherchent à se couvrir contre la chute de la livre.
Les institutionnels britanniques dont les portefeuilles sont saturés de Gilts de maturité longue (achetées pour le compte de futurs retraités) se sont retrouvés confrontés à des appels de marge représentant des dizaines de milliards en quelques heures et la BoE a été prévenue que plusieurs institutions étaient dans l’incapacité d’y faire face, mettant en risque leurs contreparties.
La Bank of England a donc annoncé qu’elle va intervenir chaque jour pour soutenir les Gilts de maturité longue, jusqu’au 30 octobre. Bien qu’elle s’en défende, elle rétablit le quantitative easing : il y avait donc le feu et un « super-Lehman » était en cours de déclenchement outre-Manche.
La BoE devait absolument enrayer la panique, ce qu’elle a fait… mais le succès de son intervention en mode « qui qu’il en coûte » n’est probablement que provisoire.
Ce qui s’est passé avec l’Angleterre peut par ailleurs survenir à tout moment sur la dette d’un pays accusant une forte dégradation des comptes publics et une explosion de leurs déficits budgétaires et extérieurs.
Ce qui n’est pas le cas de l’Italie, qui dégage des excédents primaires (des profits à l’export), contrairement à la France qui voit son déficit du commerce extérieur exploser à 120 Mds€.
Les Gilts ont vu leur rendement rechuter de 100 points dans l’heure qui a suivi le communiqué de la BoE mais cela ne leur a pas suffi pour retrouver l’équilibre : les taux longs ressortent en hausse de 5 à 10 points (le « 10 ans » revient à 4,05%, contre 4,31%)…
Vous voyez, ce ne sont que quelques broutilles : la City respire.
Le problème c’est que visiblement, avec un rebond de 20 points du « 10 ans » vers 4,20%, elle a le souffle court !