La Chronique Agora

Théorie keynésienne : brisons les mythes sur l’inflation et les taux d’intérêt

Keynes a donné aux gouvernements l’excuse parfaite pour interférer dans l’économie. Les gouvernements pourraient-ils renoncer volontairement à un tel pouvoir ?

Dans le domaine de la macroéconomie, des bataillons d’économistes armés d’un doctorat et travaillant pour les banques centrales soutiennent avec ferveur que le contrôle des taux d’intérêt constitue un instrument de politique monétaire essentiel pour la gestion de l’économie.

En parallèle, les mêmes économistes soutiennent fermement que l’indice des prix à la consommation (IPC) est un indicateur permettant de mesurer précisément l’inflation. L’idée que l’IPC constitue un outil de mesure précieux est à présent presque universellement acceptée.

L’état d’avancement actuel de la recherche théorique en macroéconomie peut être décrit comme en dessous de zéro, un peu comme si on continuait d’affirmer que la terre est plate. Il est préférable d’avoir une meilleure compréhension de la macroéconomie avant d’essayer de théoriser sur le sujet.

John Maynard Keynes est largement responsable de ce recul massif du savoir dans le domaine de la macroéconomie. Il est parvenu à lui seul à renvoyer la théorie macroéconomique à l’âge de pierre. Selon Keynes, les taux d’intérêt sont déterminés par l’offre et la demande de liquidités – théorie qui découle de son concept de préférence pour la liquidité.

En d’autres termes, les taux d’intérêt seraient déterminés par l’offre de monnaie et le désir des épargnants de thésauriser, c’est-à-dire de conserver de l’argent liquide sous leurs matelas. Keynes affirmait que des taux d’intérêt trop bas encouragent les épargnants à thésauriser, alors que des taux d’intérêt plus attractifs découragent de telles pratiques en raison du coût d’opportunité induit, décrivant dans ses écrits le taux d’intérêt comme « une récompense » en échange du fait d’accepter de « renoncer à la liquidité ».

Autrement dit, Keynes croyait que la quantité de monnaie que vous choisissez de placer au lieu de conserver de l’argent liquide pour vous protéger en cas d’événement imprévu déterminait directement les taux d’intérêt. Le taux d’intérêt d’équilibre était donc, selon lui, déterminé par la quantité de monnaie globalement disponible, c’est-à-dire l’offre de monnaie et la part détenue en espèces par les épargnants.

D’après cette théorie, l’épargne bancaire et la demande de crédit n’auraient donc pas d’influence sur les taux d’intérêt, bien que l’épargne bancaire soit l’alternative à la thésaurisation ou à la détention d’espèces. Il est assez étonnant que des intellectuels aient pu prendre cette idée au sérieux. Pourtant, Keynes a été une force dominante dans la pensée macroéconomique pendant près d’un siècle.

L’une des difficultés que pose la lecture de l’oeuvre de Keynes, sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, est qu’il utilise le terme « épargne » pour désigner deux activités distinctes : le transfert de créances et la détention de créances. Keynes ne cesse d’utiliser le même mot pour désigner alternativement ces deux concepts.

Ce n’est qu’en définissant clairement ces termes que l’on peut comprendre que la seule contribution de Keynes a été de mettre en lumière le rôle, d’après lui essentiel, de la thésaurisation. Les économistes classiques s’étaient déjà penchés sur la question et en avaient conclu qu’en réalité cela n’avait aucune importance !

Le taux d’intérêt d’équilibre est ainsi défini comme le taux auquel l’offre de monnaie est égale à la demande de monnaie. A partir de là, nous obtenons la version keynésienne de la théorie quantitative de la monnaie, l’équation de Cambridge.

Dans cette équation, l’offre de monnaie est égale à la fraction de leur revenu nominal que les agents économiques choisissent de thésauriser : M = kPY, où k est la fraction (ou proportion) thésaurisée et PY le revenu nominal qui résulte de deux variables, le niveau des prix (P) et le revenu réel (Y). La variable k est souvent écrite sous la forme 1/V, V correspond à la vélocité de la monnaie, ce qui explique que l’équation de Cambridge soit souvent considérée – à tort – comme une version alternative de l’équation quantitative de la monnaie.

De nos jours, les économistes utilisent l’IPC comme outil de mesure de référence de la variable P, c’est-à-dire les prix des biens et services. C’est de là que vient la notion selon laquelle l’inflation peut être estimée à l’aide de l’IPC.

Cependant, la version originelle de la théorie quantitative de la monnaie est basée sur une vision totalement différente de l’inflation. Son équation reflète les tenants et aboutissants de toute transaction. Si je dépense un dollar, cela signifie que j’ai dû acheter quelque chose pour une valeur d’un dollar, il s’agit d’un échange de monnaie contre un bien ou service marchand. Donc si j’utilise un dollar pour acheter quelque chose, je procède à une transaction telle que M($1) x 1(V) = $1(P) x 1(Q), ce qui aboutit finalement à MV = PQ, V correspond à la vélocité de la monnaie, Q désigne tout bien ou service que je peux acheter avec de l’argent et P le prix correspondant.

Le P n’a donc ici absolument pas la même signification que dans l’équation keynésienne de Cambridge et reflète l’inflation réelle, c’est-à-dire la hausse du niveau général des prix des biens et services qui peuvent s’échanger contre de l’argent. Autrement dit, cela inclut également les prix des actifs tels que les maisons, les actions ou encore les métaux précieux. De nos jours, on considère généralement que si les prix de l’immobilier, des actions ou de l’or augmentent, c’est une bonne chose, mais que si c’est le prix des bananes qui augmente, alors c’est une mauvaise chose.

La réalité, c’est qu’avec vos dollars vous ne pourrez plus acheter autant d’actions, d’or ou d’immobilier, de la même manière que vous ne pourrez plus acheter autant de bananes. C’est cela la véritable mesure de l’inflation et l’IPC est donc un indicateur biaisé qui ne représente pas le véritable niveau de l’inflation que la population doit supporter. Beaucoup de gens de nos jours n’ont plus accès à la propriété en raison du niveau des prix des logements, mais à croire les politiciens, ce n’est pas de l’inflation. De toute évidence, la banque centrale laisse l’arbre lui cacher la forêt lorsqu’elle se fixe pour objectif de limiter la hausse de l’IPC à 2% par an.

On rencontre les mêmes inepties en ce qui concerne les taux d’intérêt. Il est troublant de constater à quel point les économistes professionnels comprennent mal des variables aussi cruciales. Les taux d’intérêt ne sont pas déterminés par l’offre et la demande de liquidité ou le désir des épargnants de planquer de l’argent sous leurs matelas. Les taux d’intérêt sont déterminés par l’offre et la demande de crédit.

Les taux d’intérêt sont les données les plus importantes pour le bon fonctionnement du système économique. Leurs fluctuations jouent rôle crucial dans le rééquilibrage de l’offre et de la demande de biens et service au fil du temps. En les manipulant, on obtient les mêmes résultats que lorsqu’un gouvernement manipule les prix des marchandises. Une récession ou une dépression est parfois un mal nécessaire au travers duquel une économie capitaliste peut parvenir à rééquilibrer l’offre et la demande après qu’un gouvernement ait tenté d’interférer au travers d’un contrôle des prix et autres manipulations. Pourtant, de nos jours quasiment aucun économiste ne comprend cette réalité cruciale.

Nous avons besoin d’une véritable révolution de la pensée économique. Il faut nous débarrasser des dogmes keynésiens absurdes et ramener le bon sens dans la profession.

Un pas dans la bonne direction serait d’abolir les banques centrales et de revenir à une monnaie saine. Nous vivrions alors dans un monde où la déflation serait la norme et les taux d’intérêt permettraient d’assurer correctement l’équilibre entre l’offre et la demande au fil du temps, mettant fin aux cycles incessants d’expansion et de récession que nous avons connus jusqu’à présent.

Il est toutefois difficile d’être optimiste. Keynes a donné aux gouvernements l’excuse parfaite pour interférer dans l’économie. Vous imaginez-vous que les gouvernements renonceront volontairement à un tel pouvoir ?

Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

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