La Chronique Agora

Karlsruhe, édition 2020 : finalement, l’Allemagne continuera de payer (pour le moment)

La Cour constitutionnelle de Karlsruhe nous avait offert l’un des grands feuilletons de l’été – aujourd’hui, une deuxième « saison » semble se préparer…

Cela aura été l’un des grands feuilletons de l’été. Le 5 mai, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a rendu un nouvel arrêt retentissant qui n’allait pas devoir trouver d’issue officielle avant le 2 juillet, tant l’affaire a donné lieu à de multiples rebondissements.

Que s’est-il passé exactement le 5 mai à Karlsruhe ?

En deux mots, face à des requérants qui contestaient la légalité du PSPP lancé en mars 2015 et réactivé en novembre 2019, le tribunal constitutionnel fédéral allemand a demandé à la Banque centrale européenne (BCE) de « prouver [sous 3 mois] que ses achats de dette publique ont bien pour objectif de redresser l’inflation et de la ramener vers 2% et non de faciliter le financement des Etats en monétisant les dettes publiques », comme le résume Natixis.

Sans pour autant donc que Karlsruhe ne mette (à nouveau) en cause la légalité de ce programme lancé en 2015, la Cour estime qu’il y a comme un léger manque de « proportionnalité » entre les buts officiellement recherchés par la BCE et les moyens mis en œuvre pour les atteindre.

Du point de vue de l’Allemagne, cette situation présente deux conséquences tragiques : un aléa moral avec l’incitation des Etats cigales à ne jamais réduire leurs déficits budgétaires ou à redresser leur croissance potentielle, et des taux d’intérêt au ras des pâquerettes, d’où l’euthanasie de l’épargnant et du retraité allemand.

Les requérants espéraient donc qu’in fine, la Cour de Karlsruhe interdirait à la Bundesbank de continuer de participer au QE de la BCE.

L’éternelle question de la primauté du droit européen sur les droits nationaux

Seulement voilà, la BCE, en tant qu’institution européenne, considère n’avoir aucun compte à rendre à la Cour de Karlsruhe puisque Francfort est sous la juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à l’instar des autres entités du Système européen de banques centrales (SEBC).

La CJUE elle-même a rappelé ce principe dès le 8 mai…

… suivie deux jours plus tard par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.

Il y avait là comme un petit air de déjà vu puisqu’en 2018, le tribunal constitutionnel fédéral allemand avait déjà saisi la CJUE au sujet de la légalité du PSPP, laquelle Cour avait jugé le 11 décembre que le QE européen n’enfreignait pas l’interdiction du financement monétaire des Etats par le SEBC prévue par l’article 123 du TFUE.

L’arrêt du 5 mai ne pouvait donc avoir aucun effet dans la pratique, sauf à ce que la Bundesbank soit amenée à suivre sa Cour fédérale, une hypothèse très rapidement écartée par le président de la Buba Jens Weidmann, le ministre fédéral des Finances Olaf Scholz, puis par le Bundestag lui-même. Si bien que d’aucuns se demandent si l’arrêt de la Cour fédérale ne pourrait pas finalement se retourner contre elle.

Le 4 juin, avec l’augmentation du PEPP de 750 Md€ à 1 350 Mds€, soit 100 Md€ de plus que ce qu’anticipaient les spécialistes, la BCE a d’ailleurs démontré une fois de plus que l’arrêt du 5 mai lui en touchait une sans lui faire bouger l’autre.

L’affaire a cependant traîné, la BCE consentant le 24 juin à communiquer des preuves du caractère « proportionné » du PSPP aux autorités allemandes afin de désamorcer le conflit avec Karlsruhe, Peter Huber, magistrat au Tribunal constitutionnel de Karlsruhe et rapporteur de la procédure contentieuse, ayant cependant déclaré cinq jours plus tard ne pas s‘en satisfaire.

C’est finalement une coalition parlementaire allemande qui aura mis un terme à l’affaire le 2 juillet, en votant quelques jours avant la pause estivale une motion visant à soutenir le PSPP estimant, à l’instar du gouvernement, que les interventions de la BCE sont bel et bien « proportionnées » à leur objectif.

Pour la Cour de Karlsruhe, l’affaire est désormais « classée ». Une décision officialisée le 5 août avec l’échéance de « l’ultimatum » lancé par le tribunal constitutionnel le 5 mai.

Cependant, comme dans toute série qui respecte, la saison 2020 s’est terminée sur un cliffhanger

Le tribunal constitutionnel fédéral allemand renouvelle la série « Karlsruhe vs Francfort » pour une nouvelle saison (date de sortie à venir)

On apprenait en effet le 18 juin dans Les Echos que c’est maintenant la légalité du PEPP qui va être attaquée devant la Cour de Karlsruhe.

Je me permets de citer le journal :

« Le parti d’extrême-droite allemand AfD a annoncé jeudi qu’il allait contester devant la Cour constitutionnelle le nouveau programme d’urgence (PEPP) de 1 350 milliards d’euros de la Banque centrale européenne.

L’AfD estime qu’en s’affranchissant des contraintes de taille ou de répartition entre pays, la BCE a outrepassé son mandat. Les juges de Karlsruhe ont pris une décision sévère à l’encontre du programme ‘classique’ de la BCE en mai dernier, sans pour autant se prononcer sur le PEPP. »

Eh oui ! Comme je vous le laissais entendre dans mon précédent billet, il y avait fort à parier que quelqu’un ne vienne remettre en cause l’action d’une BCE qui en est à la troisième étape de son « émancipation » (pour reprendre le terme employé par Natixis) vis-à-vis de ses statuts, et qui organise elle-même le partage du risque en Zone euro ce qui, à mon sens, s’apparente à nouveau à du « fédéralisme monétaire caché » (une autre expression de Natixis).

Or cette fois-ci, la Cour fédérale allemande aura beaucoup plus de grain à moudre puisque, comme nous l’avons vu, la BCE s’est auto-exonérée de deux de ses règles de base dans le cadre de ce programme.

To be continued!

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