La Chronique Agora

"Jusqu'où ne monterait-il pas" — les commos en fin de cycle ?

Par Léo Golovine (*)

Quo non ascendet ? Cette phrase était la devise familiale de Fouquet. Mais les arbres, pas plus que les écureuils, ne grimpent jusqu’au ciel. Et tout comme le malheureux ministre de Louis XIV, les matières premières — puisque c’est d’elles que nous allons parler aujourd’hui — sont destinées à se calmer un peu.

Depuis trois ou quatre ans, on ne parle que d’elles : le pétrole, le gaz, l’or, l’aluminium, tous les autres métaux… Alors que pendant une dizaine d’années, les investisseurs se sont désintéressés des matières premières et n’avaient d’yeux que pour les technologies, Internet, biotechs et autres nanobidules. Le rattrapage devait bien se faire un jour !

L’indice à surveiller : le CCI
Pour mieux cerner le contexte, commençons par établir nos repères graphiques. Plutôt que de parler d’un actif en particulier, je vais faire référence à l’indice global des matières premières.

Le plus connu et équilibré est le CCI (Continuous Commodity Index) qui est calculé par le très célèbre CRB (Commodity Research Bureau), l’équivalent de Dow Jones sur le marché des matières premières. Je dis qu’il est le plus équilibré car il est composé de six groupes majeurs qui reflètent relativement bien l’ensemble du marché des matières premières.

– il y a bien sûr l’énergie (avec le pétrole et le gaz naturel)
– les métaux précieux (l’or, l’argent, le platine…),
– mais aussi les céréales (blé, maïs, soja),
– les industrials (coton et cuivre),
– les animaux (bovins et porc)
– ainsi que les softs (café, cacao, sucre, jus d’orange).

Tout est normal : les matières premières suivent le cycle classique hausse/baisse/hausse
Trois nettes phases se distinguent nettement.
– Il y a tout d’abord eu le cycle haussier de 1971-1980, qui a vu l’indice passer de 100 à 335 points en l’espace de neuf ans (soit +235%), alimenté notamment par les deux chocs pétroliers de 1973 puis 1979 et par la flambée de l’or à la fin des années 1970.
– Les 20 années qui suiventse caractérisent par un lent déclin après plusieurs années d’excès : en 1999, le recul est ainsi de près de 50% par rapport au sommet de 1980. Une importante zone de soutien, qui remonte aux années 1970, se confirme sur les 183 points.
– Enfin, peu après les attentats du World Trade Center de 2001, ce seuil est de nouveau testé : c’est à cette période que débute le nouveau cycle haussier.

Nous sommes toujours en phase de hausse…
Comment expliquer cette nouvelle ruée sur les matières premières, et le rythme de progression phénoménal de 22% par an au cours des six dernières années ?

La baisse des matières premières des années 80 et 90 a découragé l’investissement. L’heure était à la révolution des TMT (télécoms, médias, technologies) et la bulle boursière battait de son plein. Mais la sous-capacité des infrastructures (notamment celle de l’URSS) combinée à l’essor de l’Asie, des pays émergents et à la poursuite du développement des économies occidentales ont entraîné un profond déséquilibre entre la demande et l’offre.

Quand un bien devient rare, mais que le consommateur ne peut s’en passer (pour produire des voitures, des avions, des immeubles…), il n’a donc pas d’autre choix que de le payer plus cher. Si le cycle haussier dure aussi longtemps, c’est que les producteurs ne peuvent augmenter aisément la quantité fournie au marché. Les investissements sont lourds et il faut souvent de nombreux mois afin de disposer d’un nouvel outil de production (centre de raffinage, d’extraction…). Sans compter sur la raréfaction de certaines ressources, de moins en moins accessibles !

En outre, les cours influent eux-mêmes sur l’investissement; car à partir de certains niveaux, des gisements à accès difficile ou avec des matières premières de qualité médiocre, chères à travailler, peuvent redevenir rentables. Pour les métaux facilement recyclables (comme l’aluminium), ça peut être atténué. D’autres (comme l’uranium), par contre, sont par définition en voie de disparition rapide, de même que le pétrole par exemple — ce qui a également des conséquences dans d’autres secteurs. Prenez l’exemple de l’éthanol : il est censé être un produit de substitution du futur, mais sa production provoque déjà une vaste pénurie et inflation des matières agricoles.

Graphiquement, nous sommes en fin de cycle haussier sur les matières premières !
L’analyse graphique ne permet pas pour l’heure d’anticiper la fin du cycle actuel. Il n’empêche, la courbe est rapidement reconnue par tout boursier expérimenté comme "trop" abrupte.

Plusieurs indicateurs virent au rouge et incitent à la prudence. La cible théorique du cycle haussier se situe en effet à 635 points : par rapport aux niveaux actuels, il reste donc 10% avant de l’atteindre. De même, la durée du rally haussier actuel est à présent très proche de celui des années 1970, à savoir neuf ans à quelques mois près.

Comme l’histoire a tendance à se répéter, il se pourrait donc que nous approchions de la fin du cycle haussier sur les matières premières.

La fin est proche : les médias s’y intéressent !
Enfin, il ne faut surtout pas négliger l’arrivée des médias et des émetteurs de produits dérivés sur le sujet. Généralement, ceux-ci font partie des derniers moutons à sauter dans le train (et sont aussi les premiers égorgés). Soyez donc prudents, la situation est actuellement très tendue.

Il suffirait d’une relative accalmie dans le monde quant à la situation géopolitique pour que le pétrole par exemple revienne vers des niveaux plus raisonnables… même si on entend de plus en plus de voix pour nous prouver que jamais le pétrole ne reviendra vers 50-80 dollars…

Meilleures salutations,

Léo Golovine
Pour la Chronique Agora

(*) En 2002, Léo Golovine fonde le site de conseils ImmenseFortune.com, qui exploite le résultat de ses recherches sur le marché. De 2002 à 2007, sa méthode aura ainsi permis de fortement surperformer les indices boursiers à l’aide d’une approche inédite de suivi de tendance et de gestion des positions. Léo Golovine est également à l’origine du seul test pratique sur le marché français de la célèbre méthode américaine Dow Dividend Approach, qui montre d’excellents résultats depuis 5 ans. Actuellement, il collabore avec plusieurs médias boursiers, continue à entreprendre et partage son temps entre Moscou et Paris dans le cadre de plusieurs projets financiers. Il est, pour les lecteurs de la Chronique Agora, l’Analyste responsable du service de trading @Turbos Trader.

 

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile