La Chronique Agora

Jusqu’où la Chine soutiendra-t-elle la Russie ?

Les deux pays sont unis par l’objectif de faire apparaître un ordre mondial multipolaire qui ne serait plus dominé par les seuls Etats-Unis. Cependant, l’un d’eux a trouvé quelques avantages au système actuel…

Nous nous posions hier la question de savoir si le grand basculement est lancé. Si un nouvel ordre mondial est en construction, qui nous ferait sortir des valeurs d’échange pour nous faire revenir aux valeurs d’usage. De l’imaginaire au réel.

Ce nouvel ordre repose sur l’entente entre Russie et Chine, et cette entente sur les relations entre leurs présidents, Vladimir Poutine et Xi Jinping.

Des partenaires solidaires

CBS nous renseignait sur la situation le 30 mars :

« Pékin et Moscou ont avancé une vision d’un nouvel ordre mondial […]. Ils l’ont fait alors que le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov effectuait sa première visite chez l’allié clé de la Chine depuis que son pays a lancé son invasion de l’Ukraine.

 Le chef de la diplomatie moscovite a atterri mercredi matin dans la ville orientale de Huangshan pour une série de réunions…

Les responsables américains ont accusé la Chine de signaler sa ‘volonté’ de fournir une aide militaire et économique à la Russie.

‘Nous allons, avec vous et avec nos sympathisants, avancer vers un ordre mondial multipolaire, juste et démocratique’, a déclaré M. Lavrov à propos de l’évolution de la situation internationale. »

Notons que les responsables chinois ont été prudents dans leurs remarques publiques, refusant de condamner l’invasion de la Russie, tout en essayant de présenter une position médiane en tant qu’aspirant pacificateur/médiateur.

Le même 30 mars, le Financial Times indiquait :

« La Chine a réaffirmé son partenariat avec la Russie et a déclaré qu’elle voulait pousser les relations bilatérales ‘à un niveau supérieur’ alors que Moscou fait face à des sanctions internationales et à de nombreuses critiques concernant son invasion de l’Ukraine.

Lors de la première rencontre entre les pays depuis le début de la guerre par la Russie il y a un mois, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a déclaré à son homologue russe, Sergueï Lavrov, que la volonté des ‘deux parties’ de développer des relations bilatérales est encore plus ferme, et leur confiance dans l’avancement de la coopération dans divers domaines encore plus forte.

La lecture chinoise de la réunion Lavrov-Wang a également répété le soutien aux préoccupations sécuritaires russes qui, selon Moscou, l’ont poussé à attaquer l’Ukraine. ‘La question ukrainienne […] n’est pas seulement l’éclatement de l’accumulation à long terme de conflits sécuritaires en Europe.’ »

Une stratégie bien plus prudente

Si vous lisez soigneusement ces textes (et d’autres sur le sujet), vous avez la confirmation que la Chine partage l’objectif russe de changement d’ordre mondial vers un ordre multipolaire. Mais où voyez-vous le moindre geste concret, le signal manifeste que la Chine s’engage concrètement et pratiquement dans cette voie, prend des initiatives et fait un premier pas déterminant ?

Nulle part.

La Chine soutient la Russie, mais sans franchir la ligne rouge qui déclencherait un conflit ouvert avec les Etats-Unis. Sa stratégie est prudente, elle vise à ne pas affronter les Etats-Unis et à tenter de subvertir la position des européens dans l’Otan. C’est un travail de sape par la bande, pas un travail frontal.

La Chine est d’accord avec les Russes, mais c’est : « Armons nous, partez ! »

La Chine a besoin de se préparer à l’intérieur à l’ordre nouveau, et ce n’est vraiment pas le bon moment : sa bulle historique est un héritage de l’ordre ancien qu’il faut d’abord liquider.

Clairement, elle est en train de faiblir, et la perspective d’un affaiblissement de la demande chinoise a été citée la semaine dernière comme un facteur à l’origine de la chute des prix du pétrole et des matières premières.

Un éclatement de la bulle chinoise serait associé à un risque géopolitique majeur, mais la Chine a choisi non pas d’éclater la Bulle mais de la déflater progressivement. Elle a besoin de maîtriser ses différentes positions, pas d’engager une aventure.

Le nécessaire inflationnisme

Avant de s’engager dans un mouvement aussi important, la Chine a besoin de restaurer ses bases, de resolidifier sa société, de faire virer son paquebot. Et l’ordre actuel avec l’inflationnisme du dollar lui convient parfaitement : il est permissif !

La Chine, plus que tout autre, a besoin de l’ordre du dollar, de l’inflationnisme américain… Eh oui !

Pourquoi la Chine prendrait elle le risque de faire chuter un ordre qui lui permet de réussir sa transition, qui est aussi favorable et propice à ses préparatifs futurs ?

Comme le reportait Bloomberg le 31 mars :

« La chute des ventes de maisons en Chine s’est aggravée en mars, maintenant la pression sur les promoteurs à court d’argent alors même que les décideurs s’engagent à soutenir le marché immobilier.

Les 100 plus grandes entreprises du secteur immobilier criblé de dettes en Chine ont vu leurs ventes chuter de 53% par rapport à l’année précédente, selon… China Real Estate Information Corp. C’est la plus forte baisse cette année. »

La politique « zéro Covid » de Pékin a poussé une économie chancelante au bord du précipice. De nombreux commentaires de responsables gouvernementaux au cours des dernières semaines n’ont guère contribué à renforcer la confiance générale.

La détérioration rapide observée la semaine dernière a suscité des indications de plus en plus fortes que l’on se dirigeait vers des mesures de relance imminentes.

Pékin est confronté à la dure réalité de sa reprise en mains interne et, pour la réussir, il a besoin de temps et surtout de stabilité de l’ordre actuel. C’est cet ordre qui va lui permettre de finaliser ses manœuvres, après on verra.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile