Les marchés vivent actuellement un krach, mais nous n’en sommes peut-être qu’au début des hostilités. La Fed pourrait très vite aggraver la situation.
Le marché actions a débuté la semaine dernière en forte baisse, une fois de plus, les places de marché ayant repris là où elles en étaient restées la semaine précédente. Elles se sont ensuite reprises cette semaine… enfin, surtout lundi, la hausse s’essoufflant très vite dès le mardi.
Mais c’est la tendance globale qui est réellement déconcertante.
Les investisseurs n’ont pas besoin qu’on leur parle de l’effondrement de marché de ces derniers mois. L’indice Dow Jones Industrial Average est en baisse de plus de 18% depuis le mois de janvier et l’indice S&P 500 de 22%. Quant à l’indice Nasdaq Composite, il est en baisse de 31% depuis ses plus-hauts historiques, en novembre 2021.
Ces chutes ne sont pas aussi considérables que les krachs de mars 2020 pendant la pandémie, ou de fin 2008 pendant la crise financière mondiale, mais cette comparaison offre peu de réconfort dans la mesure où ils font partie des pires krachs de l’Histoire.
Le véritable problème, aujourd’hui, pour ceux qui investissent dans les actions, ce n’est pas jusqu’où le krach est allé jusqu’à présent, mais le fait qu’il n’en soit peut-être qu’à ses débuts.
Il se peut que les pertes soient plus proches des krachs de 80% de l’indice Dow Jones en 1929-1932, ou de l’indice Nasdaq en 2000-2001 dans le sillage de la bulle des dotcoms.
Des causes différentes mais un même résultat
Le coupable, cette fois, ce ne seront pas des prêts immobiliers accordés sans discernement, un virus chinois ou des mascottes [NLDR : référence à pets.com, société emblématique de la bulle des dot-com]. Le danger, ce sont les taux d’intérêt bien plus élevés qu’il nous faut pour tordre le cou à l’inflation mondiale.
Les taux augmentent depuis le printemps dernier, mais l’inflation demeure à des niveaux élevés. Pour les analystes et les investisseurs, la question est de savoir jusqu’où les taux d’intérêt devront grimper avant que l’inflation ne retombe à des niveaux jugés acceptables par les banques centrales.
La plupart des observateurs relient les hausses des taux d’intérêt à la lutte contre l’inflation, mais relativement peu d’entre eux sont conscients de tout ce que cela implique. La véritable solution, pour combattre l’inflation, consiste à faire augmenter le chômage.
Le président de la Fed, Jerome Powell, a eu énormément de choses à dire, lors de la conférence de presse suivant sa décision de relever à nouveau les taux de 75 points de base, (troisième hausse consécutive de 75 points de base).
La principale mission de la Fed
Powell a d’abord insisté sur le fait que stopper l’inflation représentait la mission principale de la Fed. Il a déclaré ceci : « Sans stabilité des prix, l’économie ne fonctionne pour personne. » Il a par ailleurs souligné que la « croissance des dépenses de consommation avait ralenti ».
Sa phrase clé a été la suivante :
« Le marché de l’emploi reste extrêmement tendu… Les créations d’emplois restent très élevées… Il faut qu’elles baissent. »
C’est une façon de dire que la hausse du chômage est un élément clé, pour faire baisser l’inflation.
Powell a également déclaré ceci :
« Nous pensons que nous devrons relever nos taux directeurs jusqu’à un niveau restrictif et les y laisser un certain temps. »
Un niveau restrictif est un niveau qui fera chuter l’inflation vers le taux souhaité, au fil du temps.
Lorsqu’il lui a été demandé à quel moment ces niveaux restrictifs seraient atteints, Powell a répondu : « Il y a encore du chemin à parcourir. » Pour bien insister sur ce point, il a également déclaré : « Nous nous sommes engagés à atteindre un niveau restrictif… Et à l’atteindre assez rapidement. »
Le but final
Quel est l’objectif de la Fed, exactement ?
Powell a déclaré que l’objectif était de « ramener l’inflation à 2% », le taux souhaité par la Fed. Quand on l’a interrogé sur l’objectif de 2% d’inflation, Powell a déclaré : « Nous n’avons pas droit à l’échec ». Il a poursuivi ainsi : « Nous devons en finir avec l’inflation. J’aimerais bien qu’il existe un moyen indolore de le faire, mais il n’y en a pas. »
Vous avez compris.
Les taux des fed funds devront grimper à 4,75% (ils sont actuellement de 3%), en espérant que l’inflation (telle que mesurée par l’indice des prix PCE [NDLR : dépenses de consommation des ménages], l’indicateur préféré de la Fed), chute de 4,6% à 3,5%.
A ce stade, les taux réels dépasseront 1%, et la Fed attendra – jusqu’à un an – que l’inflation retombe de 3,5% vers l’objectif de 2% qu’elle s’est fixé.
Ce qui est vraiment intéressant, c’est que Powell est très sérieux, quand il parle d’atteindre l’objectif de 2% d’inflation. On dirait bien qu’il va relever les taux jusqu’à ce qu’il l’atteigne. Il est pressé de le faire. Et il a admis en toute franchise qu’il y aurait des souffrances économiques au passage.
Malheureusement, le coût sera le suivant pour les Etats-Unis : une grave récession et un taux de chômage qui grimpera à 5%, ou plus, avec des millions de pertes d’emplois, énormément de faillites d’entreprises, des milliards de dollars de dettes impayées et un effondrement continu du cours des actions.
Est-ce que Powell va reculer ?
Cela soulève des questions d’une importance cruciale, pour les marchés.
Est-ce que Powell aura vraiment le courage de relever en force les taux jusqu’à 4,75%, c’est-à-dire là où ils doivent se situer pour ralentir l’inflation ?
Selon ses remarques, la réponse est « oui ». Mais… l’avenir nous le dira.
Alors que la Fed était en train de relever les taux et de réduire son bilan, le 24 décembre 2018, le marché actions a plongé puis baissé de 20% en deux mois et demi. Powell a paniqué et il est repassé en mode assouplissement monétaire (QE). Peut-être qu’il recommencera.
Mais il y a une différence de taille entre ce moment et aujourd’hui. Nous ne faisions pas face à une flambée de l’inflation, en 2018. La Fed a donc pu se permettre de repasser au QE sans devoir se soucier de ce problème.
De toute évidence, ce n’est pas le cas, en cette fin d’année 2022. L’inflation représente la plus forte préoccupation de la Fed, aujourd’hui, et Powell a été très clair sur le fait qu’il entendait bien la maîtriser, même si cela provoque énormément de souffrances économiques et financières.
Beaucoup de dégâts pour rien
Le problème – je l’ai souvent abordé – c’est que la Fed n’a pas bien diagnostiqué la nature de l’inflation actuelle.
La Fed tente de tordre le cou à l’inflation en réduisant la demande au sein de l’économie. Elle se focalise sur l’inflation motivée par la demande, c’est-à-dire celle qui est causée par des consommateurs qui achètent aujourd’hui en anticipant une inflation encore plus élevée demain.
Mais l’inflation actuelle est motivée par les coûts. Elle provient du côté de l’offre, et non de celui de la demande. Elle provient des perturbations des chaînes d’approvisionnement et de la guerre en Ukraine.
Comme la Fed n’a pas bien diagnostiqué la maladie, elle applique le mauvais remède. Le resserrement monétaire ne résoudra pas le choc de l’offre. La hausse des prix va se poursuivre. Mais le resserrement monétaire fera souffrir les consommateurs et augmenter l’épargne ainsi que les taux d’intérêt, ce qui pénalisera le secteur du logement, entre autres.
Alors la question est la suivante : quels dégâts cette quête de Powell va-t-elle provoquer sur l’économie et les marchés ? C’est la question la plus importante, pour les investisseurs.
La réponse est la suivante : Powell va faire bien plus de dégâts qu’il ne le pense. L’histoire nous enseigne que la Fed ira trop loin. Il n’y aura pas « d’atterrissage en douceur ».
Les dégâts aideront peut-être Powell à atteindre son objectif d’inflation, mais en cours de route cela fera augmenter le chômage et détruira les marchés actions.
Ça, c’est si tout se passe comme prévu. Le véritable scénario pourrait être bien pire. Et sur le marché, les investisseurs n’y sont pas préparés.
Mais vous, vous devez l’être.