La Chronique Agora

John Steinbeck et la métaphore du lièvre

** Nous pressentions que le CAC 40 éprouverait le besoin de souffler après les 10% repris en une poignée de séances, du 16 au 24 juillet derniers. Paris s’est offert une seconde semaine de hausse, presque à l’arraché vendredi dernier — validant un gain plutôt flatteur de 1,8% — mais, avec une perte de 1,2% hier, le voici revenu une semaine en arrière : -0,05% sur les cinq dernières séances.

La vague de rachats de ventes à découvert vient de terminer sa course sur une langue de sable chaud ; il faut lui laisser le temps de se retirer, de rouler quelques galets et divers débris marins avant qu’une nouvelle déferlante vienne grignoter quelques centimètres de plage supplémentaires. Ou peut-être pas, si la marée vient d’atteindre son étiage maximum… comme Wall Street semble le suggérer.

Avec près de 200 points de baisse à mi-séance et une perte supérieure à 1,7%, le Dow Jones rechute sous les 11 200 points — après avoir testé les 11 700 points dès le 23 juillet — ce qui efface plus de 60% du terrain repris depuis le 15 juillet dernier. Si un tel exemple devait être suivi par les places européennes, le CAC 40, par exemple, ne tarderait pas à rechuter sous les 4 200 points, voir les 4 180 points.

Avec la proximité des plus bas de juillet, les opérateurs ne manqueraient pas de s’interroger sur l’imminence d’un retracement des planchers annuels. Ce n’est qu’une hypothèse de travail mais cela vaut mieux que pas d’hypothèse du tout ! Les marchés ont besoin d’humer une piste pour s’élancer dans une direction, même s’ils doivent découvrir rapidement que le gibier s’est terré dans un dédale de galeries impénétrables, ou qu’il a fait demi-tour — une ruse classique que les bons chasseurs savent anticiper lorsqu’ils poursuivent une bête plus rapide à la course que leurs chiens.

Un lièvre, par exemple, revient presque systématiquement à son point de départ — expérience vécue ! –, c’est-à-dire dans le dos d’une meute qui avance dans le sens de la battue. Je me suis parfois amusé avec mon fils à regarder les chasseurs presser le pas à travers la plaine… tandis que compère le lièvre revenait en sautillant se cacher près du talus qu’il avait fui quelques minutes auparavant.

Voici une leçon de patience qui pourrait nous éviter de gaspiller notre énergie en attendant que le danger s’éloigne. Dans le contexte actuel, cela revient à espérer que le dollar parviendra à résister aux pressions baissières qui s’exercent sur lui depuis ce week-end. Le déficit budgétaire américain prévu pour l’an prochain (d’octobre 2008 à septembre 2009) pourrait atteindre le niveau record de -490 milliards de dollars contre une estimation initiale de -410 milliards de dollars (une projection remontant à février).

** Entre temps, la Maison-Blanche a eu le temps de faire mouliner ses ordinateurs. Il n’était pas nécessaire d’avoir à sa disposition des capacités de calcul très considérables pour estimer que les recettes fiscales en provenance des entreprises de type établissements de crédit, compagnies d’assurance ou monoliners risquaient de s’effondrer au cours des 12 ou 18 prochains mois.

Les piliers de l’industrie financière ont vu, au mieux, leurs profits divisés par deux depuis août 2007, voire complètement disparaître avec la crise des subprimes. Selon le Fonds monétaire international, elle pourrait même contaminer le reste de l’économie — comme si ce n’était déjà pas le cas.

Le FMI souligne ses craintes au sujet des "pertes futures de certaines grandes banques commerciales". La récente faillite d’IndyMac risque d’alourdir la note, ainsi que celles datant de ce dernier week-end et qui affectent deux banques régionales, la First Heritage Bank de Newport Beach, basée en Californie, et la First National Bank of Nevada, basée dans l’état éponyme.

Permettez-nous de vous délivrer la liste — mettons le tiercé de tête — des prochains candidats au placement sous protection de la loi "chapitre 11" sur les faillites, ou la liquidation pure et simple. Nous plaçons sur la plus haute marche de notre podium la Colorado Federal Savings Bank puis l’Eastern Savings Bank (établie dans le Maryland) et ensuite la First Priority Bank (basée en Floride).

Pour ceux qui ne s’intéressent qu’au Quinté+, nous ajoutons, ex-aequo, la Security Pacific Bank (de Los Angeles, Californie) puis la Magnet Bank — qui s’attire surtout… des ennuis — de Salt Lake City (Utah). Vous observerez que l’écrasante majorité de ces établissements opère dans des zones où le secteur immobilier traverse sa pire crise depuis 1929, avec des chutes de prix qui peuvent localement dépasser les 50%.

** Comme nous l’avons déjà expliqué, passé un certain seuil de taux de vacance des logements, une rue se vide de ses habitants en quelques mois tandis que les squatters et les marginaux investissent certaines maisons et vandalisent les autres. Les biens immobiliers frappés par ce processus ne tardent plus à ne valoir que ce que vaut le terrain.

Vous n’aurez pas tout perdu si vous êtes banquier en Californie ou en Floride… mais que vaut une dizaine d’acres de désert desservis par une route poussiéreuse dans l’Utah, le Colorado ou le Nevada ? Qu’est-ce que valent des terrains battus par les vents du Nord dans une triste banlieue industrielle de l’Illinois ou de l’Ohio où les constructeurs automobiles et leurs sous-traitants ont fermé la moitié des usines en 18 mois ?

Avec un taux de chômage de 30% à proximité de ce qu’il convient d’appeler de nouvelles friches industrielles et des taux de délinquance records, les mises aux enchères ne débouchent sur rien. Les rares acheteurs — qui doivent parier sur un rebond de l’immobilier d’ici l’an 2030 — seront bien inspirés de ne pas aller vérifier sur place l’état de leur propriété, de peur d’être agressés ou de se voir "confisquer" leur véhicule par une des bandes ultraviolentes qui règnent sur ces quartiers nouvellement déshérités.

** Cela doit vous apparaître très éloigné de la vision traditionnelle du rêve américain ; peut-être même pensez vous que nous avons de mauvaises lectures — d’inspiration démocrate, lorsqu’il s’agit de dénoncer la misère engendrée par l’inégalitarisme du système américain à la mode ultraconservatrice — et que nous nous ingénions à noircir le tableau.

Mais nous disposons de récits extrêmement précis et d’une actualité brûlante, provenant  d’ingénieurs ou de dirigeants français mutés outre-Atlantique pour y gérer des filiales de grands groupes industriels hexagonaux sur la côte Est. Ils sont stupéfaits par la pauvreté et l’insécurité régnant dans la plupart des villes frappées par le chômage de masse. Les gens y vivent de petits boulots qui les excluent des statistiques officielles et ils disposent souvent de moins de 400 $ par mois pour s’en sortir.

Un quartier en déshérence, même dans les environs de Chicago ou de Philadelphie, cela ressemble parfois à la Nouvelle-Orléans après le pompage des eaux du lac Champlain : maisons incendiées et infrastructures urbaines saccagées, plus aucun commerce à des dizaines de kilomètres à la ronde, aucune compagnie de transport public ne s’y aventure, pas plus que les éboueurs ou la compagnie qui gère le réseau électrique… et l’ambiance n’est plus très loin de ressembler à celle qui précède une guerre civile.

Une relecture des Raisins de la Colère nous projette 65 ans en avant, c’est-à-dire dans l’Amérique de 2008 : étonnez-vous après cela que les banques locales, puis à son tour Wall Street, prennent peur ! Et si, comme notre compère le lièvre, l’Amérique revenait à son point départ, celui qui inspira John Steinbeck ?

Philippe Béchade,
Paris

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