La Chronique Agora

Joachim Son-Forget : celui qui a décidé de faire de la politique autrement

Cher lecteur, en ce 6 juillet, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Après avoir passé 84 samedis à vous narrer les exploits de nos politiciens de carrière qui font tous de la politique de la même façon, nous allons enfin faire une pause !

Rassurez-vous : c’est bien la même chronique qui se poursuit… mais j’ai aujourd’hui l’opportunité de vous parler d’un spécimen politique qui a décidé de faire différemment des autres, tant sur le fond que sur la forme.

Ménagez vos ardeurs, cependant : je ne vous annonce pas l’arrivée d’un Frédéric Bastiat version 2019 (pas encore, en tout cas). Il me semble cependant légitime de consacrer un numéro de cette chronique (et même trois !) à Joachim Son-Forget (JSF) lequel, quoi qu’on pense de lui, a apporté un sacré vent de fraîcheur sur le microcosme politique français.

Je dois d’ailleurs confesser que j’ai dans un premier temps mal jugé le député des Français établis en Suisse et au Liechtenstein. Suite à sa sortie du 8 décembre 2018 au sujet de Donald Trump, je vous en avais brossé un rapide tableau pas très reluisant. Compte tenu de son passé de militant socialiste, je l’avais pris pour l’un de ces énergumènes opportunistes qui, sentant le vent tourner, ont viré leur cuti pour se faire élire sous la bannière LREM…

… nous promettant que « la politique ne sera plus jamais comme avant », tout en perpétuant des pratiques dignes des plus grands maîtres de la magouille politicienne.

Comme beaucoup, j’étais tombé dans le panneau et je ne suis plus de cet avis. Ma faute ainsi avouée, j’espère qu’après les trois billets que je vais vous proposer au sujet de JSF, vous trouverez en vous de quoi me pardonner, disons au moins à 75%, sinon en totalité (oui, nous sommes en période de soldes, tout devient donc négociable).

Il faut dire que nous sommes à tel point accoutumés à l’uniformité en matière d’offre politique qu’on a vite fait de prendre pour de la folie ce qui n’est que de l’iconoclasme. Pour autant que je sache, JSF n’a jamais déclaré regretter les propos injurieux qu’il a adressés au président des Etats-Unis, mais force est de constater que ses méthodes ont depuis changé.

Joachim Son-Forget, ou quand un renard orange fluo se faufile dans une cuisine en formica

Débarqué à l’Assemblée nationale en juin 2017 avec plus de 300 camarades LREM, JSF est resté sage pendant 17 mois. Puis il est parti « en roue libre » (L’Opinion), il a « craqué » (La Dépêche) en s’offrant fin décembre 2018 une véritable « blitz troll party » d’anthologie qui a culminé lors de la « nuit irréelle » (L’Express) du 27 au 28 décembre, épisode à l’issue duquel son nombre d’abonnés sur Twitter est passé de quelques milliers à près de 50 000.

Du côté de chez LREM, on préfère cependant que les députés gardent les rangs serrés et le petit doigt sur la couture du pantalon. Forcément, un électron libre de cet acabit détonait excessivement pour continuer d’être toléré au sein de la garnison présidentielle.

Je serais cependant bien infichu de vous dire si, lorsque Stanislas Guerini (délégué général de LREM depuis le 1er décembre 2018) lui a adressé une lettre d’avertissement le 27 décembre, il avait compris que retirer sa liberté à JSF, ça revenait à kidnapper la fille du colonel John Matrix dans Commando

Au final, Joachim le rusé quitte LREM le 29 décembre pour fonder son propre parti, JSFee (Je suis français et européen) le 22 janvier 2019, donnant ainsi une belle leçon de progressisme à ses anciens camarades du camp du bien.

La plupart des médias ont pris un malin plaisir à relater les frasques de JSF en long, en large et en travers, passant souvent à côté de son message politique.

Ceux qui se sont donné la peine de regarder au-delà de ce qu’il se passe derrière la porte de sa chambre à coucher de JSF ont pu constater que la nouveauté que propose le député ne se cantonne pas à la forme, elle ressort aussi du fond de son offre politique. Mais quand le sage montre la lune, Quotidien regarde souvent le doigt…

Essayons donc de narrer l’inénarrable, c’est-à-dire l’histoire de Docteur Joachim et Mister l’Oiseau Teuteur…

Mister l’Oiseau Teuteur, ou quand JSF est en mode séduction des foules des générations Y et Z, version psychologie-cognitive

Pour faire passer une idée auprès de l’électorat, plusieurs stratégies se présentent à l’homme politique. Généralement, ce dernier écume les plateaux télé et les studios radio tout en se répandant dans la presse. Faute de compétences numériques et/ou de talent dans l’utilisation de cette technologie, il doit s’en remettre aux intermédiaires que sont les journalistes des médias traditionnels. En somme, il compte sur eux pour le faire briller.

D’autres personnalités politiques, bien plus rares, préfèrent proposer leur message directement sur les réseaux sociaux, court-circuitant ainsi les journalistes dans leur fonction de réception de la parole politique. C’est bien sûr le cas de Donald Trump, dont on connaît les rapports conflictuels qu’il entretient avec la plupart des médias. Le président américain poste pas loin d’une dizaine de tweets par jour en moyenne.

D’autres enfin choisissent la même voie que Donald Trump, non pas par défaut – car ils entretiennent d’excellents rapports avec les médias – mais par stratégie délibérée. C’est le cas de JSF, qui a la particularité d’être titulaire d’un master de recherche en sciences cognitives.

« Il y a une continuité entre mon engagement politique et ce qui m’a poussé à faire des neurosciences : comprendre ce qu’il y a derrière le cerveau humain, la psychologie cognitive », expliquait-il à Technikart au mois de mars. « Même sur Twitter, en postant une photo de lapin, je pousse les gens à se poser les bonnes questions. Ils vont d’abord s’intéresser à moi pour des raisons futiles, ensuite à mes idées », ajoutait-il.

Voici enfin ce qu’il a déclaré sur L’Incorrect, au mois de janvier :

« C’est une façon de rassembler une audience, sensible au non-politiquement correct : une foule silencieuse et existante. Tôt ou tard, quelqu’un du type de Marion Maréchal-Le Pen serait allé chercher les voix de ces jeunes, souvent de droite, abstentionnistes ou qui ne votent pas encore, sur les réseaux sociaux. J’ai tiré le premier! Les 15-40 ans qui font du trolling sur internet sont particulièrement friands de second degré. Alterner des messages sérieux et des messages plus marrants permet d’atteindre le plus grand nombre. »

Voici d’ailleurs ce que déclarait JSF au sujet de Donald Trump dans Technikart au mois de mars :

« Ses méthodes sont bonnes, pas ce qu’il en fait. Lui il ne repère pas les codes d’internet ! Il utilise sa popularité et sa vie privée dans sa propre communication de manière décalée et directe, mais en s’affranchissant des codes d’internet ! ».

Ne boudons pas notre plaisir, je vous propose de revenir rapidement sur quelques-unes des sorties JSFiennes. A ma décharge, cela n’est que pour mieux assoir les remarques politiques qui suivront dans un prochain billet (si si, je vous le promets).

Vous vous souvenez peut-être qu’Olivier Besancenot, bien que n’étant pas musicien, a essayé de faire passer ses idées en chantant un morceau de rap d’un niveau littéraire et politique tel que ma petite cousine de trois ans pourrait en écrire le cinquième couplet. JSF, qui joue du clavecin – et pas que dans sa salle à manger (il a notamment donné des concerts en vue de récolter des fonds pour les victimes de la guerre civile syrienne)…

… a jugé qu’un duo avec Bruno « Doc Gynéco » Beausir pourrait lui permettre de toucher un public dont la politique n’est a priori pas la première des préoccupations, voire de se poser en intermédiaire entre les gilets jaunes et l’exécutif.

On ne peut pas dire que cette collaboration ait été un franc succès sur les plans politique et artistique…

… mais cela aura en tout cas été l’occasion de sacrées séances de marrage sur Twitter et sans doute dans des lieux plus privés…

L’une des raisons pour lesquelles JSF amuse, c’est parce que l’on sait que l’on a affaire à quelqu’un qui doit rarement être le QI le moins élevé de la pièce où il se trouve, mais qui sera toujours le dernier à se prendre au sérieux. Le niveau d’autodérision peut être soft…

… mais le délire fait parfois faire exploser le baromètre du politiquement correct.

Forcément, ce genre d’exubérance jubilatoire ne peut que générer un buzz extraordinaire.

Il arrive aussi que JSF fasse parler de lui « à son insu »…

Quand on est intelligent, on peut se permettre de faire le con 

Au final, la stratégie JSF lui a permis de séduire des dizaines de milliers de personnes, essentiellement des jeunes gens, en les sensibilisant à la politique au travers d’une communication qui leur parle.

Au-delà des références culturelles adéquates pour attirer l’oreille d’une « armée de jeunes geeks pro-européens très ancrés dans leur génération », explique-t-il, cette stratégie est efficace pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, parce que c’est une stratégie mûrement réfléchie dans un système politique où « la partie spectacle compte pour imposer ses idées », comme l’indiquait JSF à L’Illustré le 9 janvier…

Ensuite, parce que JSF est tout sauf le dernier des imbéciles…

Enfin parce que c’est justement quand on est intelligent et qu’on ne se prend pas au sérieux qu’on peut se permettre de faire le con. C’est là toute la différence entre un JSF et par exemple une Danièle Obono qui se croit drôle et subversive lorsqu’elle parle de « bolosses » à l’Assemblée nationale, alors qu’elle ne fait montre que du culot du cancre qui vocifère du fond de la salle de classe.

Mais assez parlé de Mister l’Oiseau Teuteur. Dans le prochain épisode de cette série, je vous propose de nous retrouver pour parler du non moins intéressant Docteur Joachim.

Joachim Son-Forget, un OVNI dans le microcosme parisien

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