La Chronique Agora

Des jeux à somme nulle

inflation, sanctions, Russie

Ce qui est gagné d’un côté est perdu d’un autre… comme nous le rappellent l’inflation argentine et les sanctions imposées à la Russie. Après les politiques pleines de bonnes intentions arrivent les effets secondaires néfastes.

La première chose que nous avons remarquée, ce sont les zéros. D’où sortaient-ils ?  Du Venezuela ? Personne ne sait. Mais nous aimerions détenir des actions de l’entreprise à l’origine de ces zéros.

Lorsque nous nous sommes rendus en Argentine il y a plus de 20 ans, le trajet entre l’aéroport et le centre-ville coûtait environ 35 pesos. Il coûte désormais 7 600 pesos. Chaque chiffre est suivi d’un zéro, au moins. Souvent d’une flopée de zéros. Un chiffre sans un zéro derrière ne vaut rien puisqu’il faut au moins 10 pesos pour obtenir la moitié d’un cent.

(Le prix d’un McMenu à Buenos Aires… en pesos)

Comment détruire un pays, ruiner son économie, appauvrir son peuple et corrompre toutes ses institutions ? Il vous suffit de laisser filer l’inflation.

Hier, nous nous demandions quel serait le retour de bâton pour nous autres après la décision de geler les avoirs des Russes (et de nombreuses autres personnes). Le Washington Post se pose la même question :

« Ayant accepté de se confier à nous sous le sceau de l’anonymat, un ancien haut fonctionnaire du gouvernement Obama qui avait œuvré à l’élaboration des sanctions contre la Russie nous expliquait que l’éventail des sanctions infligées à la Russie est tellement vaste et sans précédent que l’impact desdites sanctions pourrait également être considérable et sans précédent.

Cet ancien haut fonctionnaire nous expliquait également que la banque centrale de Russie, dont les avoirs ont été gelés par les Etats-Unis, possède plus d’avoirs que l’activité économique totale de l’Iran. »

Oui, l’offensive financière totale contre la Russie produit ses effets.

Le baril de pétrole a vu son prix dépasser les 130 $ pour la première fois depuis 2008. Sberbank, la plus grande banque de Russie, frôle la faillite. Le titre vaut 0,52 $, contre 20 $ en octobre (et sa cotation est de toute façon interrompue). Mais que peuvent bien se reprocher les actionnaires de Sberbank ? Pourquoi sont-ils sanctionnés ?

Un gros fonds actions russe basé à Londres, dans lequel nous avons investi un peu d’argent, nous a envoyé un courrier pour nous dire qu’il nous était désormais impossible de récupérer notre mise. Il est trop tard. Les souscriptions et rachats de parts ont été suspendus. Nous n’avons pas la moindre idée de ce que valent nos investissements (probablement pas grand-chose) et, de toute façon, nous ne pouvons pas les vendre.

Pervertir le dollar

Dans le même temps, les Bourses américaines ont rebondi une bonne partie de la semaine dernière. Les nouvelles auraient galvanisé les investisseurs. Sans surprise, Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale, a répété qu’il était résolu à endiguer l’inflation avec une hausse d’un quart de point du taux directeur de la Fed.

C’est une blague ? Une hausse d’un quart de point ? Cela portera le taux directeur de la Fed à environ -7% (en termes réels). Peut-on parler de « resserrement » ? Bien sûr que non. Jerome Powell ne combat pas l’inflation, il l’alimente. Il pervertit le dollar, pas le rouble. Il ruine les Etats-Unis, pas la Russie. (La banque centrale russe prête de l’argent moyennant un taux d’intérêt de 20%.)

Une fois de plus, les élites (médias, experts, universitaires, politiciens, Wall Street) se rangent derrière le gouvernement fédéral, comme ils l’ont toujours fait depuis le début du siècle. Désormais, d’après la presse, Vladimir Poutine serait le diable. Il serait un assassin. Et pourtant, il y a dix ans seulement, les médias tressaient des lauriers à Barack Obama car il avait lui-même approuvé la « kill list » [NDLR : une liste de personnes soupçonnées de terrorisme et qui seraient des cibles potentielles pour l’armée et les services de renseignements américains]. Visiblement, George W. Bush, Donald J. Trump et lui-même étaient des assassins respectables. Vladimir Poutine est un assassin méprisable. D’accord.

Mais il faut creuser plus loin pour comprendre. Désormais, nous sommes confrontés à une nouvelle guerre, un nouvel ennemi et une nouvelle raison de faire tourner la planche à billets !

Jusqu’à récemment, les méfaits des politiciens se réglaient de manière politique, que ce soit par les balles, les urnes, les bombes, les coups de poignard dans le dos, etc. « Le meilleur gouvernement est une tyrannie bienveillante tempérée par un assassinat occasionnel », déclarait Voltaire.

Mais cette fois, les autorités américaines utilisent la manière douce. Pas d’assassinats.  Pas de bombardements. Pas de meurtres.  Simplement le vol.

Sanctions économiques

Sous l’impulsion des États-Unis, les intrigants visent non pas les gens qui gaspillent les richesses, les politiciens, le complexe militaro-industriel et les services de renseignement, mais tous les gens qui produisent de la richesse : les consommateurs, les banques, les fabricants et les producteurs de matières premières. (Pour des raisons purement égoïstes, ils ont épargné les producteurs d’énergie, au moins au début, mais les ont exposés à de graves dommages collatéraux… nous y reviendrons.)

En envoyant des troupes en Ukraine, Vladimir Poutine aurait violé l’Etat de droit. Des sanctions ont été infligées à la Russie en représailles. Les gens qui possèdent de l’argent en Russie n’y ont plus accès. Les ressortissants russes ne peuvent pas rapatrier ou récupérer les fonds en dollars ou en euros qu’ils détiennent à l’étranger.  Les entreprises ne peuvent plus vendre leurs produits. Les consommateurs occidentaux ne peuvent plus acheter de produits russes.

En vertu d’une convention de longue date, l’Etat de droit requiert certaines procédures avant de pouvoir procéder à une « saisie ». Il faut que la personne ou le pays visé soit accusé de crime. Il a alors droit à un procès rapide et équitable. Ce n’est que si le tribunal déclare l’accusé coupable que la sanction peut être appliquée. Mais, dans le cas qui nous intéresse, des milliards de dollars ont été saisis ou perdus à cause des sanctions. Quel était le chef d’inculpation ? Où a eu lieu le procès ? Aurions-nous loupé quelque chose ?

Entreprises, ménages, investisseurs qui n’avaient rien à voir avec la politique russe ou avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie…. Des milliers d’innocents ont été expropriés sans un procès en bonne et due forme. Quid de l’Etat de droit ?

Le but n’est pas de jouer la carte de l’indignation morale : d’autres s’en chargent très bien. Nous nous efforçons simplement d’analyser les choses de manière rationnelle. Or, il semble que les sanctions, comme toutes les guerres malencontreuses menées par les Etats-Unis depuis le début du XXIème siècle, pourraient être plus préjudiciables à l’Occident qu’à la Russie.

Les sanctions économiques ne frappent pas Vladimir Poutine ou son armée. Elles frappent de plein fouet des composantes clés de notre prospérité : l’énergie, la monnaie et le commerce. Suspendre le commerce avec la Russie compromet l’approvisionnement en énergie et en matières premières essentielles.  Imposer des sanctions à l’économie russe équivaut à exproprier des innocents sans procédure en bonne et due forme. Et en utilisant le dollar comme arme, le gouvernement américain érode la confiance des autres pays envers le billet vert.

A la Chronique, nous n’avons pas la moindre idée de la tournure que prendront les événements et nous ne cherchons pas à prétendre le contraire. Nous pensons toutefois qu’il y a fort à parier que cela aboutira à une inflation galopante.

Nous poursuivrons notre réflexion demain. Sommes-nous en train d’entrer dans une nouvelle ère où l’énergie se fera rare, où la monnaie ne sera plus fiable et où l’Etat de droit ne sera plus là pour nous protéger ? Qui voudrait d’un monde comme ça ?

Affaire à suivre…

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