La Chronique Agora

Il n’y a pas que le Japon qui rime avec déflation !

banques centrales

▪ La grisaille du week-end au nord de l’Europe et les intempéries dans l’est des Etats-Unis ne semblaient pas porteurs de présages bénéfiques pour les places occidentales… alors la bonne surprise du jour est survenue très tôt hier matin.

Elle provenait du Japon. Les opérateurs y ont eu le bonheur de découvrir que la hausse du PIB au troisième trimestre s’avère nettement inférieure aux prévisions : une progression séquentielle de 0,3% qui ramène la hausse annuelle de 1,9% à 1,1% seulement.

Excellente nouvelle ! Puisque le QE massif du gouvernement de Shinzo Abe et de la Banque du Japon ne fonctionne pas, les marchés saluent cet échec qui débouche immanquablement sur l’annonce d’un plan de soutien supplémentaire (stimulus monétaire) de 182 milliards de dollars.

Toujours plus de fausse monnaie, toujours plus de carry trade (yen/dollar ou yen/euro), toujours plus de levier pour spéculer sur les marchés avec l’argent des déposants : c’est rien que du bonheur !

L’objectif de 2% d’inflation au Japon semble pouvoir être tenu grâce au très net renchérissement du coût de l’énergie depuis un an. Toutefois, le pouvoir d’achat des ménages (salariés ou retraités) est sévèrement impacté et plombe la demande interne.

Une offre de crédit plus abondante continue de laisser les consommateurs nippons de marbre, et la progression du taux d’endettement reste marginale.

▪ Risque de trou d’air
Les marchés valident l’idée que la solution à tous les problèmes de l’Archipel passe par des hausses de salaires — que de grands groupes industriels (tels Toshiba) promettent pour avril prochain, à l’occasion de la nouvelle année fiscale.

La hausse généralisée de la TVA (pour renflouer les caisses d’un Etat endetté à 250%) reste programmée pour début janvier, d’où un risque évident de trou d’air sur la demande interne au cours du premier trimestre 2014.

Laissons passer ces trois premiers mois perdus d’avance… et tournons-nous vers un avenir radieux. Car vous ne doutez pas, cher lecteur, que le miracle économique japonais qui ne s’est pas produit au deuxième trimestre 2013 ne manquera pas de se manifester avec encore plus de puissance au deuxième trimestre 2014.

D’ici là, la balance commerciale nippone aura plongé vers les abysses… Et comme elle aura touché le fond, un bon coup de talon et hop, les exportations repartiront de plus belle. Cela ne fait aucun doute puisque les concurrents chinois ou coréens de Sony, Toyota, Uniqlo, Mitsubishi auront par solidarité augmenté leurs tarifs et gelé les innovations durant six mois (ils ont déjà commencé) afin de permettre que le Japon se refasse une santé.

La bourse de Tokyo ne doute pas de ce scénario. Elle s’est envolée de 2,3%, revenant à 1% de ses records annuels pour afficher +50% depuis le 1er janvier. Les épargnants japonais vont être aux anges vu que leur pouvoir d’achat vient de chuter de 8% en moyenne dans l’intervalle.

Avec l’envol de la bourse, prospérité garantie pour tous… (ça c’est du slogan, mais je ne sais pas si cela fonctionne prononcé en japonais !)

▪ Paris en berne
Le CAC 40, lui, ne s’est pas envolé lundi. Il est parvenu plus que laborieusement à clôturer dans le vert — mais il s’agit d’un rebond limité de 0,1%, bien timide après une perte de 3,8% la semaine passée.

Paris a semblé pâtir de la fermeté de l’euro, qui avançait au-delà des 1,3720 $. Le CAC 40 s’est inscrit en baisse dès le premier quart d’heure de cotation. Il reculait encore de 0,4% en début d’après-midi, confirmant sa récente tendance à sous-performer les autres grands marchés européens.

Francfort (+0,3%) a toujours évolué dans le vert ce lundi ; la place allemande restait distancée par Madrid et Milan (avec +0,9% et +0,5% respectivement).

Peut-être que la timidité de Paris, Londres et Francfort n’était que de la prudence avant les discours de trois membres influents de la Fed.

Le premier à s’exprimer a été Jeffrey Lacker, président de la Fed de Richmond en Caroline du nord. Il a déclaré qu' »accentuer le soutien monétaire n’aurait sans doute pas d’effet durable sur l’économie américaine et compliquerait encore le démantèlement du programme de rachats d’actifs de la Réserve fédérale […] La croissance économique américaine est surtout entravée par des problèmes de démographie et de productivité sur lesquels le soutien monétaire n’aura que des effets limités et transitoires. »

▪ Qu’en ont pensé les marchés américains ?
Wall Street a fait comme si personne n’avait rien entendu et les actions ont continué de somnoler. Après une entame de séance prometteuse, la hausse s’est enrayée au bout d’une heure (+0,12% sur le Dow Jones et sur le S&P 500 et +0,3% sur le Nasdaq à mi-séance).

Sur le marché des changes également, les opérateurs semblent faire la sourde oreille. C’est pourtant aux Etats-Unis que les choses vont bouger ; c’est aux Etats-Unis que le Congrès va tenter de négocier un budget et un rehaussement du plafond de la dette en évitant un nouveau shutdown.

Malgré tout un faisceau d’indices techniques et politiques favorables au dollar, c’est l’euro qui grimpe et teste ses meilleurs niveaux depuis le 31 octobre dernier, revenant à 1% de son zénith annuel.

Nous sommes peut-être à court d’inspiration, en manque d’imagination pour échafauder des plans tordus… Cependant, sans se faire des noeuds au cerveau et pour en revenir à des notions universitaires d’économie classiques (dont le seul souvenir provoque d’ordinaire des bâillements)… quand une monnaie se met à grimper alors qu’il n’y a pas de croissance et pas de rémunération (0,25%, cela équivaut à zéro), c’est que ceux qui l’achètent parient très fort sur la déflation.

Nous espérons pour nos compatriotes et amis européens que nous faisons fausse route et qu’il s’agit d’une simple escarmouche entre des vendeurs à découvert d’euro et de puissants acheteurs qui cherchent à les « retourner » et leur coller les épaules au sol… Mais c’est une stratégie très risquée lorsque les fondamentaux ne sont pas du côté des bluffeurs.

Sur l’or et l’argent-métal qui sont des marchés étroits avec beaucoup de mains faibles, cela peut passer durant quelques séances. Sur le FOREX (le marché des devises, d’une profondeur quasi-infinie), en revanche, les quitte ou double « à l’arrache », cela ne fonctionne qu’une fois sur 100. Au mieux, on coupe sa « pose » à la moindre opposition et on limite sa perte.

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