La Chronique Agora

Japon : ce pays devenu trop vieux et dans lequel tout paraît trop neuf

▪ Bill Bonner s’interrogeait vendredi matin sur le destin du Japon, l’échec des mesures de relance par le biais de l’endettement public, l’échec de l’assouplissement quantitatif orchestré il y a une dizaine d’années… Il aurait pu ajouter l’échec à faire chuter indéfiniment le yen : la Chine elle-même se met à en acheter, après avoir maintenu ses réserves à un niveau absurdement bas. Pourquoi Pékin détenait-il 5% de livres sterling et seulement 3% de yens au début de l’été, avant de remettre ces deux devises à parité ?.

Bill nous décrit un Japon qui vieillit… Il est vrai qu’une fois sur place, il est aussi rare de croiser une femme enceinte dans les grandes métropoles qu’une Peugeot ou une Renault sur l’autoroute Tokyo-Osaka.

Nous n’avons pas beaucoup circulé dans les campagnes. Cependant, d’après les chiffres disponibles sur Internet, la démographie n’y apparaît guère galopante — d’autant que la majorité des habitants n’est plus en âge de procréer !

Nous voulons bien concéder que les statistiques officielle sont peu fiables (la croissance annuelle vient d’être révisée vendredi matin de 0,4% à 1,5%, cela ne fait jamais qu’un écart de 1 à 4, une broutille !)… Mais durant 15 jours, nous n’avons pas croisé une seule famille nombreuse dans aucun des parcs et lieux de loisir où se plaisent les enfants.

Certes, il faisait un peu chaud (trois degrés de plus qu’à l’accoutumée, soit entre 35° et 38°C du nord au sud du pays). Cela correspond à l’une des plus fortes canicules estivales des 20 dernières années, renforcée par une humidité digne de l’Afrique tropicale… mais dans tous les lieux climatisés, toujours pas d’enfants, du nord au sud de l’Archipel.

▪ Vous allez peut-être trouver l’association d’idées un peu grotesque, mais il ne se vend plus de grosses berlines familiales au Japon, tandis que le marché des micro-citadines et des coupés à strictement deux places continue de se développer.

L’une des raisons réside dans le fait que les parkings sont extrêmement exigus en centre-ville (ils sont calibrés pour des véhicules de 3,50 par 1,40 m). Les rues sont également très étroites dans les quartiers anciens ; la difficulté d’y circuler n’a rien à envier à celle de villes de Sicile telles que Syracuse, Caltagirone (on n’y circule bien qu’en scooter) ou Taormine, accrochée à flanc de montagne sur un éperon rocheux.

▪ Anecdote très symbolique, il est bien difficile de déterminer s’il se vend beaucoup de voitures au Japon. En France, une voiture flambant neuve se repère vite… là-bas, impossible de distinguer un véhicule produit en 1980 (avant la vague du "bio design" tout en arrondi) ou en 2010.

Une voiture sur deux dans les provinces est une sorte de mini-van trois ou cinq portes, au dessin aussi aérodynamique et original qu’une boîte à chaussure. La caractéristique commune est qu’elles ont toutes l’air d’être sorties de l’usine et de l’atelier de peinture le week-end précédent.

Parmi les caractéristiques impossibles à inscrire sur un rapport de police ayant repéré un véhicule mal garé : pare-choc cabossé, points de rouille sur l’aile, traces de rayures sur la portière, poussière sur les jantes, éclaboussures de boue sur les bas de caisse… et même abondance de moucheron collés sur l’optique des phares ou le cache des rétroviseurs externes.

Rayer la peinture d’une voiture "bourgeoise" pour le plaisir doit certainement être puni de 20 ans d’emprisonnement ; garer sa voiture sale sur le parking de la société dans laquelle on travaille doit constituer un acte de rébellion pire que contredire son supérieur hiérarchique !

Pas un camion ne se rend vers son premier chantier du jour sans que le flanc des pneus ait été brossé et huilé. Ceux qui livrent du béton sont recouverts de chromes rutilants et la moindre bavure de ciment est éliminée avec seau et brosse prévus à cet effet.

Je crois que les propriétaires de chaînes de stations de lavage ainsi que les fabricants de polish et autres rénovateurs pour voiture doivent compter parmi les contribuables les plus riches du pays.

En d’autres termes, avoir envie de changer de voiture parce qu’elle apparaît défraîchie, fatiguée ou démodée semble aussi inconcevable que de vandaliser un distributeur de boissons ou de sauter le portillon dans le métro (ils doivent faire dans les 60 cm de hauteur à Tokyo… il suffit de lever un peu les genoux pour les enjamber, c’est pourquoi personne ne s’y risque jamais au grand jamais).

S’il y a bien une mesure qu’il serait absurde de mettre en place pour soutenir le marché automobile nippon, c’est bien la prime à la casse pour faire disparaître les véhicules hors d’usage ou proche de l’état d’épaves roulantes : il est bien difficile de susciter une frénésie de consommation dans un pays où tout à l’air neuf.

Les plus forts séismes sont peut-être la seule occasion de se mettre en frais pour rénover son logement ou changer de voiture.

Elles peuvent en effet se retrouver écrasées par l’un de ces millions de poteaux disgracieux et surchargés qui acheminent le téléphone et l’électricité vers chaque immeuble et chaque maison individuelle… et ce jusqu’au coeur des villes. Aucun câble n’est enterré — c’est peut-être le seul élément, dans un environnement ultra-moderne et souvent avant-gardiste, qui semble dater d’une autre époque !

▪ La Bourse de Tokyo est en tous cas la seule à s’être extraite du lot vendredi avec un gain de+1,55%, grâce à la surprenante révision à la hausse des prévisions de croissance. En France également, François Fillon revoit notre PIB à la hausse, de 1,4% à 1,5%… ce qui n’a pas fait courir les foules !

Paris a terminé la semaine sur un ultime gain symbolique de 0,1% — soit 1,47% cumulé à l’issue d’une quatrième séance positive sur une série de cinq. La Bourse de Paris a stagné toute la journée autour du point d’équilibre, dans des volumes "peau de chagrin" d’à peine 2,8 milliards d’euros échangés (on se situe au moins 20% en-deçà de la moyenne annuelle) alors que de nombreux opérateurs ont "fait le pont" à l’occasion du Nouvel An juif.

Certains acheteurs ont limité leurs initiatives en attendant de connaître les besoins de capitaux propres dont devront disposer les banques au regard des nouvelles règles prudentielles, dites de Bâle III, qui devraient être finalisées ce week-end.

▪ Comme l’affirmait vendredi Michel Barnier, "les experts devraient faire usage de modération dans le calibrage des capitaux requis". Mais même en ne touchant à rien, la Deutsche Bank serait par exemple contrainte de lever entre huit et neuf milliards d’euros sous forme d’appel au marché pour renforcer ses fonds propres.

Au moins, pour le numéro un allemand, il n’y a pas de suspense… Mais il y a toutes les autres, et notamment celles qui ont mis en place des "solutions créatives" pour passer l’épreuve des stress tests.

Nous avons retenu vendredi l’avertissement de Lorenzo Bini Smaghi (membre du directoire de la Banque centrale européenne). Il a mis les marchés en garde contre l’imminence d’une crise de la dette dans plusieurs pays développés (dont les Etats-Unis) qui pourrait de nouveau paralyser l’économie.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile