La Chronique Agora

« Que faut-il faire en tant qu’investisseur ? »

▪ "Que faut-il faire en tant qu’investisseur ?" nous a demandé un vieil homme portant une veste de style Nehru lors de notre séjour en Inde.

"Devrais-je rester sur les marchés boursiers ? Après tout, les actions semblent toujours rapporter à long terme. Ou bien devrais-je passer à l’or et aux liquidités ?"

Nous disons qu’il n’y a "aucune honte à se contenter des liquidités" jusqu’à ce que le marché atteigne un plus bas.

Si nous nous trompons et que les cours grimpent en flèche, nous manquerons la hausse. Mais le risque de passer à côté de gains substantiels semble limité. Les bénéfices des entreprises sont en chute. Quasiment tous les signaux provenant de l’industrie et du commerce semblent pointer eux aussi vers le bas.

Ne serait-il pas sensé de rester en liquide… et sur le banc de touche… jusqu’à ce que les prix baissent et que les problèmes de dette soient résolus ?

▪ Une marche vers l’enfer
Pas si l’on en croit les auteurs de la lettre d’investissement The Motley Fool. Matthew Frankel nous y donne "trois raisons de ne pas s’inquiéter au sujet du marché boursier en 2016".

"Ne paniquez pas", continue-t-il.

Feu Richard Russell, de la Dow Theory Letter, nous a enseigné qu’il y a des cycles courts et des cycles longs.

Les cycles longs sont ceux qui comptent. On peut manquer un rally de temps à autre — ça ne fera pas grande différence. Mais manquez un marché haussier majeur, de long terme… et vous aurez manqué l’opportunité d’une vie.

Subir un marché baissier majeur peut ressembler à une marche vers l’enfer

De l’autre côté, subir un marché baissier majeur peut ressembler à une marche vers l’enfer. Le pire qui puisse arriver, disait Russell, est de subir "une perte ruineuse" — dont on ne peut jamais se relever.

Les grands mouvements de marché prennent du temps. Le Dow a atteint un sommet en 1929. Il n’a pas retrouvé ce sommet avant la fin des années 50. Depuis, nous avons connu des booms et des krachs, atteignant le dernier plus haut en date en 2015, lorsque le Dow a dépassé les 18 000.

Les questions à vous poser : où en sommes-nous maintenant ? Avons-nous dépassé le sommet ? Sommes-nous dans un long déclin ?

Et puis il y a les questions personnelles : combien de temps vivrez-vous ? Quand aurez-vous besoin d’argent ? Combien de volatilité pouvez-vous supporter ?

Quand bien même le trajet de sommet à sommet prend du temps, il faut parfois longtemps aussi pour simplement rentrer dans ses frais. Aux Etats-Unis, le sommet de 1929 n’a plus été atteint avant 1956 – 27 années plus tard. Au Japon, ils attendent encore de récupérer la moitié des pertes du krach de 1989 – 26 ans après.

Que penseriez-vous de devoir attendre jusqu’en 2042 avant de revenir aux sommets boursiers de l’an dernier ?

▪ Il n’y a plus de pentes à gravir
Il y a une autre chose dont il faut prendre conscience : la performance à long terme du marché boursier est en grande partie un mythe.

Oui, vous auriez pu gagner 10% par an environ si vous vous étiez positionné il y a 100 ans et n’aviez pas bougé depuis. Mais il faut apporter d’importantes nuances à ce chiffre.

Pour commencer, on ne gagne pas 10% régulièrement, tous les ans. C’est ce qu’on obtient lorsqu’on fait rétrospectivement la moyenne des gains annuels sur un siècle.

On dirait qu’on a grimpé la montagne d’un pas régulier et qu’on est désormais bien à l’abri au sommet. Mais lorsqu’on y est, il n’y a plus qu’à redescendre ! Refaites le calcul quand vous arrivez en bas. Vous verrez que votre rendement moyen est épouvantable.

Deuxièmement, qui vit assez longtemps pour que ça fonctionne ?

Les intérêts composés sont fabuleux, en théorie… mais ce n’est qu’à la fin qu’ils deviennent vraiment magiques

Les intérêts composés sont fabuleux, en théorie… mais ce n’est qu’à la fin qu’ils deviennent vraiment magiques.

Faites marcher les intérêts composés sur un centime rapportant 100% par an — d’un à deux… deux à quatre… quatre à huit, etc. — au bout de 10 ans, vous n’avez que 10,24 euros.

Même processus avec 1 000 euros à 10% par an : après 10 ans, vous avez 2 593 euros.

Pas mal — mais pas non plus de quoi déchaîner les passions.

Et ça, c’est en partant du principe que vous obtenez 10% par an. Aux cours actuels, les actions sont déjà si élevées qu’il ne reste plus beaucoup de pente à gravir.

Le Prix Nobel d’économie Robert Shiller estime le rendement annuel moyen des actions US sur les 10 prochaines années à seulement 3%. Le fondateur de Vanguard Group, Jack Bogle, le place à un peu plus d’1%. Et Rob Arnott, de Research Affiliates, s’attend à un rendement inférieur à 1%.

A de tels niveaux, on peut oublier la magie de l’intérêt composé.

▪ Assommés par le marché baissier
Et puis il faut s’inquiéter des baisses — les pertes subies par votre portefeuille lors des phases sommet-abîme.

Si vous faites marcher l’intérêt composé à 10% par an mais que vous subissez un revers de 40% lors de la troisième année, il faut trois années supplémentaires rien que pour revenir à votre point de départ. Pire, votre épargne et vos investissements se retrouvent assommés par un grand marché baissier. Vous subissez la "perte ruineuse" dont Russell parlait — sans avoir le temps de vous remettre.

La plupart des investisseurs n’ont pas assez de temps pour faire fonctionner les intérêts composés comme ils le devraient. La plupart ont déjà plus de 50 ans lorsqu’ils commencent à investir. Ils n’ont pas 100 ans — ils en ont 15-20 tout au plus.

Sur un tel laps de temps, s’il y a des pertes substantielles, ils sont finis. C’est pour cette raison qu’il est si important de se positionner lorsque le marché est bas. Ainsi, des gains à deux chiffres accumulés sur de nombreuses années sont au moins une possibilité théorique.

Mais si nous avons raison sur la mollesse de l’économie… sur les excès du marché boursier… et sur la difficulté d’obtenir de futurs gains, alors le moment est probablement mal choisi de commencer à financer votre retraite par les actions.

Notre balance mesurant le rapport entre risque et profit sur les marchés boursiers penche largement du côté du risque. Nous voyons une probabilité raisonnable de perte ruineuse contre une possibilité éloignée de gros gains.

Alors allez-y : paniquez. Vous serez peut-être content de l’avoir fait.

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