La Chronique Agora

Investissement : pourquoi nous sommes contrarien

▪ Dans les années 70, suite au changement du système monétaire par l’administration Nixon, votre correspondant s’est engagé dans un effort idéaliste mais remarquable pour empêcher le gouvernement de ruiner le pays. Les Etats-Unis ayant coupé le lien avec l’or — le sauveur de tout système monétaire depuis Hammourabi –, l’avenir nous semblait clair : une catastrophe était en route, liée à la dette.

En tant que directeur de l’Union américaine des contribuables, nous avons mis en place deux grandes initiatives pour empêcher ce désastre de se produire. La première consistait à proposer un amendement à la Constitution américaine, pour y inscrire l’obligation d’équilibrer le budget. Cela aurait permis d’empêcher les autorités d’accumuler des déficits, sauf en cas de guerre ou d’urgence nationale. 32 états approuvèrent cet amendement — deux de plus, et il aurait pris effet.

Bien entendu, nous voyons aujourd’hui combien aisément les autorités auraient pu contourner cet obstacle : les Etats-Unis sont toujours en état de guerre !

La deuxième initiative était un procès contre le gouvernement US au nom des enfants américains. L’affaire avait pour nom Bonner vs. Baker — le Baker en question étant James Baker, Secrétaire d’Etat américain. La dette nationale représente une taxe sur les futures générations, avancions-nous. Imposer ce genre d’obligation inter-générationnelle revenait à mettre en place une taxation sans représentation et devait donc être interdit. Le tribunal rejeta notre plainte.

Tandis que nous étions ainsi occupé à protéger la république, Ronald Reagan gagna les présidentielles de 1980

Tandis que nous étions ainsi occupé à protéger la république, Ronald Reagan gagna les présidentielles de 1980. Nous avons fêté ça ; il semblait que la bataille avait été gagnée — ni au tribunal ni dans les états… mais grâce aux élections nationales. D’une manière ou d’une autre, contre toute attente, Reagan était conservateur, en matière de budget. Il remettrait de l’ordre dans les finances américaines. Du moins le pensions-nous.

Et puis le parti républicain bascula du côté obscur. Sous l’influence de Dick "les déficits n’ont pas d’importance" Cheney et de Donald T. Regan, le président accumula certains des déficits les plus profonds de l’histoire américaine.

▪ Une cause perdue… menant à une révolution discrète
C’est à ce moment-là que nous avons décidé qu’essayer de sauver "le système" était une cause perdue. Nous avons décidé de nous sauver nous-même, plutôt. Nous avons quitté l’Union américaine des contribuables et avons commencé à bâtir un groupe de chercheurs, analystes et conseillers indépendants qui pourraient nous aider à survivre et prospérer dans ce que nous pensions être un monde difficile et dangereux.

Il s’avéra que le monde n’était pas si dangereux, en fin de compte. Il semblait plutôt bénin. Un boom boursier emmena le Dow jusqu’à 18 fois son niveau de 1982. Et avec la "Grande modération" de la Fed, on aurait dit que les beaux jours dureraient éternellement.

Néanmoins, nous avons persévéré. Notre message n’a quasiment pas changé depuis 30 ans : on ne peut pas construire une économie saine sur de la dette. Et quand les choses tournent mal, on ne peut pas les réparer avec encore plus de dette.

C’est ce que nous répétons depuis trois décennies. Et depuis trois décennies, nous avons l’air d’un idiot

C’est ce que nous répétons depuis trois décennies. Et depuis trois décennies, nous avons l’air d’un idiot. Mais pour un nombre croissant d’investisseurs, notre analyse semble raisonnable… et nos conseils permettent de gagner de l’argent.

Aux Etats-Unis, notre liste de lecteurs et d’abonnés s’est développée. Dans les années 90, nous avons commencé à diffuser notre message dans le reste du monde. En Grande-Bretagne d’abord, puis en France. Pendant 20 ans, nous avons vécu à l’étranger, où nous avons lancé et développé des filiales et des partenariats. Nous avons désormais des bureaux dans 10 pays. Nous publions en anglais, en chinois, en espagnol, en portugais, en français, en allemand. Et notre lectorat continue de croître. Actuellement, nous comptons 2,4 millions d’abonnés au total — plus que le Wall Street Journal, le New York Times et Bloomberg réunis.

Pourtant, en dehors de nos lecteurs, peu de gens ont entendu parler de nous. Votre correspondant n’a jamais été candidat à la mairie de New York. Ni nulle part ailleurs. Et s’il arrivait, par hasard, que nous soyons élu à quelque poste officiel que ce soit, nous crierions à la fraude électorale.

Nous ne vivons pas à Manhattan ou à Malibu. Notre nom n’apparaît jamais dans le journal. Nous ne participons pas à des déjeuners "de haut vol". Nous n’assistons à aucun conseil d’administration. Nous ne frayons avec aucune célébrité. Au lieu de ça, nous voilà… parfaitement anonyme… sur les hautes plaines d’Amérique du Sud, avec un groupe de gauchos, un unique ordinateur portable, une connexion internet peu fiable, et rien entre nous et Dieu sinon un sombrero à 12 $.

Notre expérience à Washington a fait naître chez nous une profonde méfiance envers les médias, les politiques et leurs petits amis du secteur "privé"

▪ Mais pourquoi donc ?
Notre expérience à Washington a fait naître chez nous une profonde méfiance envers les médias, les politiques et leurs petits amis du secteur "privé". Le système tout entier est corrompu et égoïste. Il transforme des crétins en célébrités et rend les sottises respectables. Quand on se trouve enlisé au beau milieu, cependant, il n’y a rien à faire ; on commence à croire ce que tout le monde croit — majoritairement des vantardises et des idioties servies par des médias qui ne sont plus que les laquais de l’autorité. Après avoir lu cinquante articles sur le fait que la Fed a sauvé l’Amérique de l’Apocalypse, par exemple, on peut même commencer à le croire !

Dans la vie en général, suivre les sottises populaires est simplement pathétique. Dans la vie financière, c’est fatal.

Plus clairement : si vous pensez que tel ou tel politicien est un génie, ou que la Sécurité sociale améliorera notre santé, ou encore que des guerres infinies au Proche-Orient nous protègent des terroristes, ça n’a probablement pas beaucoup d’importance. Votre vie continue plus ou moins normalement en dépit de ces illusions. Mais si vous croyez que la Fed peut maintenir des taux plancher jusqu’à la fin de temps… ou que le fardeau de la dette n’a pas vraiment d’importance… ou que les valorisations boursières actuelles sont raisonnables et durables… vous allez probablement perdre beaucoup d’argent. Peut-être pas tout de suite, mais ça finira par arriver.

Certes, les cours boursiers reflètent aussi les illusions du moment — mais cela ne dure jamais. Les marchés finissent toujours par observer la situation avec impartialité… et s’adaptent à la réalité. Notre business model est simple : nous tentons de regarder la situation avec impartialité chaque jour, et de garder une longueur d’avance sur les marchés. Notre devise : parfois nous avons raison, parfois nous avons tort… mais nous doutons toujours.

▪ Etre contrarien, qu’est-ce que c’est ?
L’expression la plus simple de notre stratégie — en affaires comme en finance — est ce que les investisseurs appellent le "contrarianisme". Cela consiste à reconnaître qu’on ne peut jamais vraiment gagner d’argent en croyant et en investissant dans ce que tout le reste du monde sait déjà. Lorsque tout le monde en vient à croire quelque chose, ladite chose ne peut qu’être déjà pleinement valorisée, voir survalorisée. On ne peut gagner de l’argent qu’en investissant contre cette chose, même si elle est vraie.

Parfois, si on garde la tête froide, il est possible d’identifier ce qui ne peut pas être vrai

Souvent, d’ailleurs, elle est fausse. C’est à ce moment-là qu’on gagne vraiment. Bien entendu, il n’existe aucun moyen de connaître la vérité à coup sûr. Mais parfois, si on garde la tête froide, il est possible d’identifier ce qui ne peut pas être vrai. C’est pour ça qu’on ne gagne pas d’argent en investissant dans la vérité. On gagne de l’argent en investissant contre ce que la plupart des gens pensent être vrai, mais qui ne l’est pas. Comme le dit George Soros, "dénichez la tendance dont le principe est erroné, et pariez contre".

Voilà pourquoi il est agréable de passer quelques mois au ranch. Il y a moins de "bruit" de la part des médias. Nous n’avons pas la télé. Pas de radio. Pas de journaux. Pas de téléphone.

Dans les hauteurs de la sierra, nous ne quémandons aucune faveur. Nous ne demandons aucune reconnaissance. Nous sommes loin des fantasmes populaires ou des préjugés trop commodes.

Peut-être avons-nous tort. Peut-être que les initiés, les banquiers centraux, les zombies et les manipulateurs ont raison malgré tout. Peut-être qu’on peut construire une économie saine sur de la dette. Et peut-être qu’on peut construire et sécuriser sa richesse en faisant exactement ce que font les autres. D’un autre côté, peut-être qu’après 30 années durant lesquelles nous avons eu tort, nous finirons par avoir raison. On a déjà vu choses plus étranges se produire.

Quoi qu’il en soit, nous aimons être ici. L’air y est plus raréfié, mais aussi plus clair.

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