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Investir dans… des vaches laitières ? (1/2)

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Une société propose aux particuliers d’investir dans des vaches laitières. Etes-vous prêt à vraiment diversifier votre patrimoine ?

La France reste un grand pays agricole, mais elle décline inexorablement sous l’effet d’une pression fiscale toujours plus intense et de réglementations d’inspiration écologiste toujours plus contraignantes. Longtemps premier exportateur européen de produits agricoles, notre pays n’occupe plus aujourd’hui que la troisième place derrière les Pays-Bas et l’Allemagne. De même, en vingt ans, il est passé de deuxième à sixième exportateur mondial.

Le déclin de l’agriculture française

La situation financière des agriculteurs ne se porte guère mieux. Si le revenu disponible moyen annuel des ménages agricoles s’élevait à 52 400 € en 2018 selon l’Insee, seulement un tiers provenait de l’activité agricole, soit 17 700 €. Le reste était, pour la plus grande part, apporté par l’activité professionnelle du conjoint qui, lorsqu’il travaille, est salarié dans 70% des cas. En 2017, 22% des agriculteurs vivaient sous le seuil de pauvreté. Toujours en 2017, l’endettement moyen des exploitants agricoles était de 187 000 €, mais pouvait monter jusqu’à plus de 430 000 € chez les éleveurs de cochons (soit un taux d’endettement de 67%).

On comprend dans ces conditions que la profession – qui par ailleurs subit une charge de travail et une pénibilité importantes – soit celle qui compte le plus de suicides. Les derniers chiffres de la Mutualité sociale agricole (MSA) font état de 529 suicides en 2016, soit 43% de plus que dans l’ensemble des régimes de sécurité sociale.

Tous ces chiffres sont des moyennes et les écarts peuvent être grands entre les activités. Comme le précise l’Insee dans une note d’octobre 2021, ce sont les éleveurs de bovins à viande qui ont les revenus les plus faibles, tandis que ceux qui pratiquent les grandes cultures diversifiées et les viticulteurs ont les revenus les plus élevés (2,5 fois supérieurs aux premiers). Les éleveurs de vaches laitières ont, eux, un revenu dans la moyenne des activités agricoles.

La filière laitière résiste… mais jusqu’à quand ?

Il y a maintenant quelques années que les médias n’ont pas fait état de producteurs en colère qui déversent leur lait dans les cours des préfectures ou s’en prennent aux grandes surfaces qui vendent des produits laitiers d’origine étrangère. La dernière grande crise du lait remonte, en effet, à la période 2015-2017, consécutivement à la fin des quotas dans l’Union européenne. Mais la prochaine pourrait être pour cette rentrée.

En 2020, la filière laitière (de l’élevage à la transformation) française réalisait 39 Mds€ de chiffre d’affaires en 2020, employait près de 300 000 personnes et réalisait 4 Mds€ d’excédent commercial (en 2017). La France est le deuxième producteur de lait européen derrière l’Allemagne, mais la situation des exploitations n’est pas rose. Leur nombre est en baisse constante (de 60% depuis 2000) et la collecte de lait baisse de 1,5% à 1,9% par an depuis 2019.

La sécheresse de cette année va probablement peser sur le rendement des vaches. Et la crise inflationniste actuelle fait augmenter les coûts de production qui ont les plus grandes difficultés à se répercuter sur les prix. En moyenne, le litre de lait est vendu 0,78 € en France alors qu’il est vendu entre 0,99 et 1,05 € ailleurs en Europe.

Confrontés à des prix insuffisants, à une baisse de la consommation régulière et à des contraintes importantes, nombreux sont aujourd’hui les agriculteurs à délaisser l’élevage laitier au profit des cultures dont les prix flambent en raison de la guerre russo-ukrainienne. A tel point que Syndilait (l’organisation professionnelle des fabricants de laits de consommation liquides) craint une pénurie de lait à terme.

La crise touche aussi les producteurs de lait bio qui sont de plus en plus nombreux (car subventionnés) alors que la consommation est en forte baisse (parce que le lait bio est plus cher) et se retrouvent avec des litres de lait invendus.

Malgré tout, certains croient encore à la filière lait en France. C’est le cas de Sébastien Dumais, directeur général de la société Élevage et Patrimoine qui propose un placement financier en cheptel bovin. Intrigué, nous l’avons rencontré pour en savoir plus.

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Patrick Coquart : Pouvez-vous nous dire en une phrase en quoi consiste l’activité de votre entreprise Elevage et Patrimoine ?

Sébastien Dumain : Elevage et Patrimoine propose aux particuliers d’investir dans des vaches laitières qui sont ensuite confiées à des éleveurs.

PC : D’où vous est venue cette idée pour le moins originale ?

SD : En fait, le bail à cheptel existait déjà au XIe siècle, et Napoléon l’a fait inscrire dans le Code civil en 1804. A l’époque, un homme – le bailleur – achetait du bétail qu’il confiait à un paysan chargé de le nourrir et de l’entretenir. Tous deux se partageaient ensuite, généralement à part égale, les profits… ou les pertes. Ce n’est donc pas vraiment une idée originale. C’est un concept ancien que nous avons remis au goût du jour.

PC : Mais pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette activité ?

SD : J’ai racheté le groupe il y a 3 ans, mais l’histoire commence en 1970, à la ferme de Boulieu, dans l’Isère. A l’époque, des éleveurs laitiers avaient constitué un troupeau de 800 laitières dans le but de commercialiser eux-mêmes leur lait. Quand ils ont connu quelques problèmes de trésorerie, des investisseurs leur ont proposé de racheter le troupeau contre un loyer en nature, en fait un pourcentage de la descendance.

PC : Pouvez-vous nous expliquer dans le détail comment fonctionne aujourd’hui l’investissement que propose Élevage et Patrimoine ?

SD : C’est très simple. L’investisseur achète une vache laitière – en ce moment le prix est fixé à 1 485 € – par notre intermédiaire et nous la confions, pour lui, à un éleveur. Celui-ci conserve les produits issus de la vache, c’est-à-dire le lait et une partie des veaux. L’autre partie des veaux, les femelles, reviennent à l’investisseur et constitue sa rémunération, puisque les veaux femelles deviennent à leur tour des vaches mettant bas. Le gain de l’investisseur est soit versé annuellement en numéraire (option « produit annuel »), soit réinvesti pour augmenter le cheptel (option « capitalisation »).

Suite de l’entretien dans notre prochain article…

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