L’injection de liquidités par la Banque d’Angleterre a réussi à retarder le krach sur les marchés. Cela rappelle les grandes heures des interventions de la Fed, en 2007-2008.
Auparavant, le maître mot était la fragilité. Une étape a été franchie : maintenant, le maître mot, c’est l’instabilité.
La fragilité se donne à voir.
L’intervention de la Banque d’Angleterre a calmé les marchés, mais elle n’a résolu aucun problème.
Je pense que les pertes dans les bilans sont considérables.
Je pense que les comptabilités sont fausses avec la bénédiction des autorités de contrôle et de supervision.
Vagues de risques et vagues de pertes
Je pense que cette situation de connivence modifie toute la pratique monétaire et bancaire. Quand on est complice, on ne peut accomplir sa mission sérieusement, on hésite à sanctionner et à trancher dans la pourriture de peur de contagion et on a tendance à mettre la merde sous les tapis.
Les pertes de marché ne sont ni aléatoires ni indépendantes. Ce ne sont pas des cygnes noirs dus au hasard, non : elles étaient incluses dans les cours survalorisés. Elles étaient en attente de se produire, et elles sont en attente de s’extérioriser.
Les pertes arrivent par vagues, avec une ampleur et un timing imprévisibles. Le mot clef du levier, c’est l’effet multiplicateur, et il joue dans les deux sens.
Le système bancaire et shadow bancaire n’a pas assez de fonds propres, et une grande partie de ces fonds propres est bidon car in fine, en bout de chaîne, il est constitué de dettes. Les « value at risk » ont explosé avec la volatilité, et les capacités bilancielles des acteurs sur les marchés se sont considérablement réduites.
Les expositions sur les dérivés se chiffrent par millions de milliards !
J’explique depuis des décennies que les assurances sont bidons : ce sont de fausses assurances qui partent du principe qu’il n’y aura jamais de gros accident. Notre système monétaire et financier s’articule autour de ce que j’ai appelé « le grand bluff ».
L’hypothèse folle et fondamentale
Il n’y a pas de sous bassement, pas de fondations, on a construit sur du sable mouvant. Le système pour résumer ne tient qu’en un mot : « dynamic ».
Ceux qui vendent la protection du marché, ceux qui vendent des hedges, ne constituent pas de réserves pour les pertes futures. Au lieu de cela, ils utilisent des programmes de négociation sophistiqués et achètent et vendent des instruments sur le marché pour fournir les flux de trésorerie nécessaires pour payer les dérivés souscrits.
C’est le dynamic hedging. Il est fondé sur des hypothèses fausses et une hypothèse centrale qui est maintenant douteuse : le put des banques centrales, la promesse de toujours tout racheter.
En particulier, lorsqu’un courtier en dérivés souscrit une protection de marché, la stratégie implique qu’il vende des instruments sur un marché en baisse pour s’assurer qu’il dispose des ressources nécessaires pour payer les pertes. Cela crée le potentiel évident de déclencher des ordres de vente en cascade et un krach boursier.
Les conséquences ont été manifestes à plusieurs reprises, de « l’assurance de portefeuille » en 1987 au quasi-crash du marché obligataire britannique la semaine dernière.
En 2007 et 2008 le pot aux roses a été découvert, mais on l’a dissimulé, et le système a continué car il a besoin de continuer : c’est marche ou crève. Si on ne maintient pas la fiction des assurances, beaucoup de dettes « AAA » sautent et beaucoup de value at risk explosent.
Encore en mars 2020, la Fed a dû annoncer plusieurs programmes de QE toujours plus importants pour endiguer la cascade d’ordres de vente – en actions, obligations et actions ETF.
Les ETF sont la menace suprême avec les dérivés ; ils sont rigoureusement non liquides et conçus sur des hypothèses folles à la Bernard Cornfeld d’IOS !
Illusion de sécurité
La Fed a ressuscité la bulle en mars 2020, elle a restimulé les excès spéculatifs et l’effet de levier. Ce fut une erreur colossale, mais il était impossible d’y échapper… c’est cela que j’appelle l’engrenage.
Les marchés financiers vivent sur un mythe théorique, mathématique, et magique selon lequel il est possible d’acheter une assurance dérivée et de verrouiller les gains que l’on a enregistrés lors du grand marché haussier.
C’est faux, et archi-faux ; au niveau global, rien n’est sécurisé, c’est une illusion, c’est impossible. Les illusions des individus sont démasquées au niveau des groupes, au niveau des classes entières d’opérateurs et d‘investisseurs.
Voilà le grand secret.
Il est impossible pour le marché au sens large de se protéger contre les pertes. Il n’y a tout simplement pas d’endroit où décharger des centaines de milliards de risques de marché.
Personne n’a les moyens d’absorber de telles pertes. Et, si un intervenant sur un marché couvre les risques sur le marché des produits dérivés, alors la couverture crée un risque de krach systémique.
Les risques remontent le courant des liquidités
Les banques centrales sont folles, car elles assurent ces risques en dernière analyse. Elles font, comme je ne cesse de l’expliquer, remonter tous les risques périphériques vers elles, vers le centre du système. Elles transforment la multitude de risque spécifiques et un colossal risque systémique, et elles font le contraire de la dissémination, puisqu’elles concentrent tout dans leur bilan !
Quand le marché s’effondre, les vendeurs de protection se retrouvent donc acheteurs de risque de marché ; ils sont obligés de vendre agressivement sur un marché qui s’effondre. Et c’est la fonction scélérate des QE : faire la contrepartie, offrir une contrepartie et des liquidités, garantir l’impossible monnaie-itude.
Le fait de prétendre acheter des papiers sans risques est une escroquerie, car on sait que le risque suprême est là. Il est contenu, masqué, enveloppé dans les fonds d’Etat, dans les dettes insolvables des gouvernements.
Les gouvernements n’apparaissent solvables que parce qu’ils forment un couple maudit avec les banques centrales, et que l’on fait le pari que les banques centrales accepteront d’émettre autant de monnaie qu’il le faudra pour garantir les dettes de l’Etat. Les gouvernements ne sont solvables que parce que le système inclut la destruction finale des monnaies.
C’est le non-su, le non-dit, le dissimulé-clef qui permet au système de durer.
De manière simpliste, ce qui fonctionne pour un individu a des conséquences très différentes s’il est adopté par le groupe.
C’est l’un des grands paradoxes de la pensée économique, c’est la différence entre les ménages et le groupe de ménages dans sa totalité.
Cette dynamique de la destruction s’est mise en branle fin septembre sur le marché britannique des Gilts. L’intervention agressive de la Banque d’Angleterre a contrecarré un effondrement du marché, mais, au cours du processus, des fragilités du marché ont été révélées. Et, même si elles sont réprimées, elles s’accumulent.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]