Face à l’addiction numérique qui gagne du terrain, les législateurs européens envisagent l’interdiction de certaines fonctions « addictives » des réseaux sociaux.
Il y a environ un an, le Parlement européen s’est à nouveau penché sur la question désormais courante de la dépendance des réseaux sociaux, affirmant que des fonctions telles que le « infinite scroll » et la lecture automatique des vidéos sont responsables de l’accaparement des utilisateurs par leurs applications.
En octobre de l’année dernière, le site Internet du Parlement indiquait :
« Alors que les réseaux sociaux peuvent affecter la société de manière positive (par exemple en augmentant l’efficacité, l’accessibilité, la connectivité), leur conception addictive peut causer des dommages physiques, psychologiques et matériels (perte de concentration et de capacité cognitive, épuisement professionnel, stress, dépression, limitation de l’activité physique). Les députés sont particulièrement inquiets de l’impact de la dépendance numérique sur les enfants et les adolescents, qui sont plus vulnérables à ces symptômes, et ils appellent à davantage de recherche et de réglementation dans ce domaine. »
Cet été, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a dit que son « coeur saignait » à propos des jeunes adultes qui s’automutilent à cause des abus en ligne et a promis de s’attaquer à la cyberintimidation et à la conception addictive des plateformes de réseaux sociaux.
Comme c’est souvent le cas, de nombreuses questions sont mélangées en un seul appel à l’action réglementaire.
La cyberintimidation, ou toute autre forme d’intimidation d’ailleurs, remonte à une époque antérieure à l’existence des smartphones et des réseaux sociaux. Toute personne ayant fréquenté l’école pourra en témoigner, même si nous n’avons jamais conclu que l’abandon de l’école était un remède efficace contre les abus commis dans ses murs. Dès que les jeunes adultes ont eu accès à la messagerie instantanée, bien avant que Facebook n’existe, ils se sont mis à colporter des ragots et à laisser des remarques haineuses, tout comme les adultes plus âgés qui font la même chose sur leur ordinateur au travail par le biais du courrier électronique ou autour de la machine à café de leur immeuble de bureaux.
Si l’objectif de la Commission et du Parlement est de mettre fin au harcèlement, ils auront besoin d’un plan plus ambitieux que de mettre fin aux fonctions de lecture automatique des vidéos sur Instagram.
Pour les besoins de la discussion, définissons les termes.
La lecture automatique fait référence au fait que les vidéos sur les plateformes de réseaux sociaux sont lues automatiquement en boucle sans que l’utilisateur n’en prenne l’initiative. Cette fonction existe sur X et peut être activée sur TikTok. Des plateformes telles qu’Instagram et YouTube ont mis fin à la lecture automatique des vidéos et demandent aux utilisateurs de faire défiler ou de cliquer sur la vidéo suivante. Le « infinite scroll » – parfois associé à des vidéos, mais pas uniquement – signifie que les utilisateurs peuvent essentiellement passer un temps infini sur la plateforme pour obtenir du nouveau contenu. En ce sens, il n’y a pas de « fin » à la quantité de contenu qu’ils peuvent voir (une réalité de l’internet dont on pourrait penser que les décideurs politiques sont désormais conscients).
Le facteur important à prendre en compte ici est que la demande de régulation de ces fonctionnalités se traduit essentiellement par la volonté de Meta et d’autres de voir les utilisateurs cesser d’utiliser leur plateforme au-delà d’un certain nombre de temps alloué.
Il s’agit là d’une demande très étrange à l’égard d’une entreprise. Imaginez la scène où l’on demande à IKEA de raccourcir le passage dans son magasin parce qu’il est conçu pour inciter les gens à acheter plus de meubles, où l’on demande à un centre commercial d’aligner les escaliers roulants de manière à ce que les gens quittent le magasin plus tôt, ou à une boîte de nuit de jouer de la musique moins bonne pour que les visiteurs partent plus tôt.
Depuis l’apparition des lieux commerciaux, les entreprises ont essayé de garder les clients dans leurs locaux et sur leurs sites web. De nombreuses chaînes de télévision sont à l’antenne depuis plusieurs décennies, avec de la publicité, des contenus en lecture automatique et des annonces de films à venir, dans le but de garder le public accroché. Demander à une entreprise de faire quelque chose qui n’est pas dans l’intérêt de son modèle économique est pour le moins étrange, et étant donné que les législateurs pensent à un temps qu’il est jugé approprié de passer en ligne, c’est dystopique au possible.
Pour les consommateurs, la législation sur le « infinite scroll » et la lecture automatique signifie une réduction du choix. Ceux qui ne veulent pas de lecture automatique des vidéos et qui souhaitent une limite au défilement peuvent activer les fonctions des applications qui leur permettent de le faire ou simplement cesser d’utiliser les applications en question. De la même manière que nos opérateurs téléphoniques ne coupent pas nos conversations téléphoniques parce qu’elles ont été jugées trop longues, et que nos téléviseurs ne s’arrêtent pas parce que nous en sommes à la troisième relecture de la cinquième saison de Dr House, nous n’avons pas non plus besoin de paternalistes qui nous disent combien de temps nous devrions passer sur Facebook.
Les préoccupations relatives à la santé mentale des jeunes adultes doivent être prises au sérieux, mais les règles en question ne s’attaqueraient pas à ce problème et ne le traitent pas sobrement. Certains problèmes sociaux sont difficiles à résoudre, et la réglementation des caractéristiques des réseaux sociaux n’est rien d’autre qu’une solution performative.