La Chronique Agora

L’instabilité des marchés n’est rien à côté de l’instabilité des politiques publiques

Face à l’instabilité boursière, certains pensent qu’il est nécessaire de réguler les marchés : mais qu’en est-il de la stabilité des régulateurs ?

Un argument séduisant (du moins à première vue) contre les marchés réside dans l’idée selon laquelle ils seraient tellement imprévisibles et naturellement instables qu’il est légitime que l’Etat en assure la surveillance et intervienne pour en limiter les excès. Il y a beaucoup d’ironie dans cette position, pour une raison que je vais vous révéler.

L’économiste John Maynard Keynes (1883-1946) est probablement le plus célèbre partisan de cette position. Il est à l’origine de l’expression « les esprits animaux », qui décrit le comportement irrationnel et impulsif des intervenants sur le marché, basé sur des anticipations arbitraires et qui ne peut qu’entraîner de l’instabilité.

Une idée qui semble logique…

L’idée en elle-même peut sembler logique. Il est difficile pour les intellectuels, qui adorent ruminer des idées et élaborer des plans prometteurs, d’imaginer qu’une société pourrait fonctionner harmonieusement sans un système de planification centralisé.

La vérité, c’est que les économies de marché sont en fait des économies planifiées – mais il n’y a simplement pas de planification centralisée. Sur un marché, de nombreux individus imaginent leurs propres plans à petite échelle afin de transformer leurs idées les plus brillantes en nouvelles entreprises, associations caritatives, et autres organisations, dans le but d’impacter autant de gens que possible.

Les plans qui rencontrent le succès à petite échelle au départ attirent davantage de ressources et se développent progressivement pour avoir un impact de plus en plus grand. D’autres planificateurs s’en servent comme exemple et adaptent leurs propres plans à la lumière de leurs succès. En parallèle, les plans qui s’avèrent inadaptés échouent à se développer.

… Mais l’auto-régulation existe bel et bien

Cela signifie que, laissés à eux-mêmes, les marchés possèdent leurs propres mécanismes d’auto-régulation, que Keynes semble avoir négligés dans son analyse.

Bien que certains entrepreneurs, investisseurs et consommateurs puissent en effet prendre des décisions malavisées ou irrationnelles et commettre des erreurs (guidés par leurs instincts animaux), il en existera également toujours d’autres qui connaîtront le succès.

Le mécanisme des pertes et profits permet à long terme d’allouer le capital disponible vers les producteurs qui réussissent à prévoir correctement ce que les consommateurs (vous et moi) désirent plutôt que vers ceux qui utilisent mal leur capital. Ce mécanisme permet de limiter l’étendue des dommages causés par de mauvais décideurs.

Lorsque certaines personnes échouent, ces échecs n’auront que des conséquences limitées sur un petit nombre d’individus. On ne peut pas en dire autant des échecs des Etats, qui peuvent affecter la société tout entière.

Encore plus instables

A présent, voici le plus ironique. Même si on admettait que l’hypothèse de Keynes selon laquelle les marchés sont naturellement instables soit correcte, comment la perspective d’une intervention systématique du gouvernement dans l’économie pourrait avoir pour autre conséquence que de rendre les marchés encore plus instables et ainsi de faire en sorte qu’il soit plus difficile pour les « planificateurs à petite échelle » de prendre des décisions à long terme ?

Sur une période de 20 ans, le gouvernement pourrait changer au moins cinq fois. Chaque nouvelle administration peut décider de changer radicalement la forme d’intervention de l’Etat dans l’économie, en fonction de sa philosophie politique sous-jacente.

De nouveaux plans peuvent être imposés ou annulés à tout moment. Le gouvernement peut augmenter ou réduire les taxes arbitrairement, ou encore augmenter ou réduire les dépenses. Il peut imposer de nouveaux tarifs douaniers, accorder des subventions, mettre en place de nouvelles réglementations et ou les supprimer.

Les banques centrales instituées par les Etats (telles que la banque d’Angleterre ou la Fed) peuvent faire varier à la hausse ou à la baisse les taux d’intérêt ; augmenter la masse monétaire ou la réduire.

Sans parler des décideurs eux-mêmes

Par ailleurs, qu’est-ce qui garantit que ces décideurs supposés calmes et vertueux soient eux-mêmes immunisés contre l’influence de leurs instincts animaux ? Ne sont-ils pas également influencés par leurs émotions, sans parler de leurs électeurs et des donateurs qu’ils doivent satisfaire ?

Oui, quand le spectre du gouvernement qui plane au-dessus de l’économie peut rapidement et de façon imprévisible se métamorphoser à tout moment et de multiples manières, cela ne peut qu’aggraver le problème que les keynésiens cherchent à résoudre.

L’économiste Robert Higgs appelle ce phénomène un « régime d’incertitude ». Il s’agit dans d’une situation dans laquelle les investisseurs craignent qu’il soit difficile, voire impossible, d’anticiper dans quelle mesure les décisions prises par les gouvernements futurs pourraient altérer les « règles du jeu ». Par conséquent, les investisseurs développent une aversion à la prise de risque (de façon similaire à ce que craignait Keynes), non pas en raison d’un manque d’intervention de l’Etat — mais au contraire par crainte d’une telle intervention !

Les investisseurs privés « jouent leur peau ». La poursuite de leur propre intérêt devrait les motiver à limiter les risques qu’ils prennent à titre personnel, et à étudier l’ensemble des informations disponibles pour prendre les meilleures décisions possibles. En revanche, les agents publics dépensent nécessairement l’argent gagné par les autres et pour le compte d’autres individus.

Les personnes les mieux placées pour prendre de bonnes décisions en matière financière ne travaillent probablement pas pour l’Etat. Ils sont généralement dans le secteur privé, à imaginer des « plans à petite échelle » afin de lancer une nouvelle entreprise ou un nouveau produit qui pourrait un jour se diffuser à l’échelle mondiale, de la même manière que le téléphone mobile est maintenant disponible aux populations les plus pauvres d’Afrique.

Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

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