La Chronique Agora

L’insécurité n’est-elle qu’un « sentiment », comme le pense Emmanuel Macron ?

Les statistiques en matière de sécurité sont éloquentes : la performance de l’Etat ne cesse de se dégrader, et elle est catastrophique en comparaison de nos voisins européens. Outre le coût humain, l’Institut pour la Justice évalue le coût des conséquences de la criminalité et de la délinquance entre 5% et 10% du PIB, soit entre 117 et 235 Mds€.

Plutôt que de traiter le problème, l’Etat brise les thermomètres les uns après les autres en espérant que la fièvre sera moins flagrante. Avec à sa tête des gouvernements qui se relaient dans la politique de l’autruche, la France devient une blague à l’international.

Heureusement, début février, le président de la République a déclaré vouloir « réinvestir » la sphère de la « sécurité ».

Et en même temps…

Emmanuel Macron veut assurer votre sécurité. En même temps, il estime qu’il n’y a pas de problème d’insécurité…

Voilà ce qu’a déclaré le chef de l’Etat devant les députés de sa majorité, réunis à l’Elysée début février :

« L’insécurité, c’est le sentiment d’insécurité. Il faut y aller, s’investir sur le terrain, faire bouger les choses, faire aboutir ce Livre blanc. »

Cette déclaration est à tel point lunaire que même Christophe Barbier a compris qu’il y a un problème.

A le lire, le président serait la seule personne de France à disposer d’un cerveau pour penser. Lui, comprend, sait, que l’insécurité n’est qu’un mythe. Les autres Français ne sont pourvus que de sens, lesquels leurs permettent tout au plus d’avoir de vagues impressions, les conduisant ainsi à se fourvoyer dans un « sentiment d’insécurité ». Tant pis pour les 2 812 270 « accident de la sécurité » plus ou moins tragiques et irréparables déclarés en 2019.

Notez que pour le président, il ne s’agit pas de déterminer les causes de l’insécurité et d’en tirer des conséquences, afin de mener une action politique en vue de résoudre le problème.

Non, il s’agit de « s’investir sur le terrain, faire bouger les choses » et produire un énième Livre blanc. Bref, il faut continuer de donner le change.

A l’attention de tous ceux pour qui il est urgent de ne rien changer car il n’y aurait pas de problème d’insécurité, je ne pense pas inutile de brosser un rapide tableau de la tournure que prend ce phénomène.

Laissons donc les sentiments de côté et voyons concrètement quelles sont les nouvelles plaies qui s’abattent chaque jour sur les Français.

De la violence gratuite à la violence par erreur, en passant par la violence ludique

Il est de bon ton de dénigrer les discours selon lequel « c’était mieux avant. » Mais s’il y a un domaine où les choses ont évolué dans un sens négatif, en tout cas en France, c’est bien sur le plan de la sécurité. Si dans un précédent billet j’employais le terme d’« ensauvagement » de la France, ce choix n’avait rien d’innocent.

Sur la violence gratuite : Adolescents hyper-violents, témoignages et Analyse, le livre de Maurice Berger publié novembre 2019 (éditions L’artilleur), est un témoignage éloquent du processus en cours au sein de notre société. Ce pédopsychiatre, psychanalyste et spécialiste des soins aux enfants et adolescents violents n’est pas le premier venu puisque travaillant depuis 40 ans sur le sujet, il est par ailleurs enseignant à l’Ecole nationale de la magistrature.

Sur le plan purement factuel, Maurice Berger explique aujourd’hui ceci :

« Toutes les deux minutes, une plainte est déposée en France pour des violences gratuites, c’est-à-dire des agressions physiques sans raison apparente pouvant aller jusqu’au meurtre, pour un simple regard, un simple refus de cigarette. »

« Pourquoi tu souris ? », « Pourquoi tu me regardes ? », « Donne-moi une clope ! »

Ce genre de phrases est le préambule typique à un déchaînement de violence. Chaque année, environ 200 000 personnes sont victimes d’une agression volontaire non crapuleuse, battues à mort pour une place de parking, frappées après être intervenues dans une bagarre en sortie de discothèque, rouées de coups pendant leur jogging ou pour un motif encore plus futile comme une simple expression faciale qui a déplu à l’agresseur.

La violence est à ce point répandue que vous risquez même de vous faire défoncer la tronche sans avoir la moindre idée de la cause de votre passage à tabac.

Mais il y a encore plus effrayant.

« Le péage à coups » : défoncer autrui pour s’amuser

Les motifs évoqués ci-dessus constituent des situations où la violence gratuite a été improvisée en réaction à un stimulus. Il n’est cependant par rare qu’elle soit un objectif en soi et que son exécution ait été planifiée.

Pour certains, l’ultra-violence est un passe-temps, une activité ludique, comme l’illustrent les affaires de « péage à coups ».

Comme le rapporte Ouest France :

« Six jeunes hommes ont été violemment agressés au petit matin du mercredi 15 janvier en sortant d’une discothèque de Poitiers (Vienne). Ils ont été roués de coups par un groupe d’une dizaine d’individus dans un déchaînement de violence surnommé ‘péage à coups’. C’est la troisième fois en moins d’un mois qu’une attaque de ce type se produit dans la ville, indique France Bleu Poitou. ‘Si vous voulez passer, il va falloir prendre des coups’, menacent selon la radio les agresseurs à leurs cibles, avant de les rouer de coups. »

Nous ne sommes pas encore arrivés au bout de notre voyage. J’aimerais vous soumettre un dernier exemple du caractère de plus en plus anodin que prend en France l’insécurité.

 Tué « par erreur »

J’aimerais qu’un jour, Emmanuel Macron rencontre les parents de Mathéo, et que le président essaye de leur expliquer que « l’insécurité, c’est le sentiment d’insécurité ».

Mathéo, c’est ce jeune homme de 19 ans qui a été tué à coups de couteaux à Amiens le 26 janvier. Son tort ? Avoir stationné dans une voiture immatriculée à Paris, alors qu’une « bande d’individus cherchaient à s’en prendre à des Parisiens », a expliqué le procureur de la République d’Amiens.

A vous de juger si le « sentiment d’insécurité » des Français ne repose que sur un grand malentendu, ou s’il est basé sur des preuves aussi glaçantes que tangibles.

Samedi prochain, nous poursuivrons notre périple sous une forme un peu différente. A l’attention de ceux qui douteraient encore que l’Etat a renoncé à nous protéger, je proposerai un tuto sécurité sur le thème : « Comment reconnaître une zone de non-droit ? »

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