La Chronique Agora

Initiales BB : bad banks ou biting bears…

** Les ours se sont refait les griffes mercredi en commençant à revendre un peu de papier alors que le CAC 40 refranchissait les 3 050 points. Ils ont pu tout à loisir lustrer leur pelage à grands coups de langue bleue ce jeudi — vu la saison, nous avons affaire à des ours polaires. Ils pousseront peut-être un grognement de satisfaction (ou d’intimidation) aujourd’hui si la Bourse de Paris rebascule sous les 3 000 points et le Nasdaq Composite sous les 1 500 points.

Hier soir, le S&P 500 a effacé tous ses gains du 28 janvier (la perte dépasse les 3%) ; nous serions fondé à croire que les ours passeront un week-end empreint de sérénité alors que les buffles se demanderont s’ils n’auraient pas mieux fait de battre en retraite dès que le Congrès US a donné son aval au plan de relance.

Il reste en effet à Nancy Pelosi, le chef de file de la nouvelle majorité qui soutient Barack Obama, à triompher des chausse-trappes des sénateurs républicains. Ils ne manqueront certainement pas d’amender le plan de relance de telle sorte qu’il perdrait l’essentiel de sa substance.

Les chefs de file de l’opposition ne manquent pas une occasion d’expliquer que le plan de relance ajoute du déficit au déficit. Ils ajoutent que le gouvernement fraîchement installé ne peut pas commencer par doubler le fardeau de dette qui pèse sur les épaules de chaque contribuable américain, sachant que, dans un premier temps, le lancement d’un "super-emprunt" de 1 500 milliards de dollars destiné à financer la création d’une super bad bank (l’équivalent de 100 CDR de la belle époque) capterait l’essentiel de l’épargne disponible non seulement aux Etats-Unis mais dans le monde entier.

Comme nous l’expliquions jeudi — et Georges Soros se montre encore plus pessimiste que nous — les pertes des banques américaines (2 500 milliards de dollars d’après le consensus des experts de Wall Street mais plus de 3 000 milliards de dollars selon le financier d’origine hongroise) s’élèvent à deux fois les liquidités inscrites à leur bilan. Elles sont donc techniquement en faillite… mais ce n’est pas un scoop puisque nous avions prédit cette issue (inexorable) dès le mois de février 2007 et la banqueroute de New Century.

Le gouvernement n’avait donc qu’une alternative : soit nationaliser les banques en perdition — comme l’a fait sans état d’âme Gordon Brown… soit créer une superstructure de "cantonnement des actifs pourris" afin de recapitaliser des banques redevenues saines, comme vient de le décider Barack Obama. Dans un cas comme dans l’autre, les établissements de crédit devraient se retrouver plus ou moins rapidement en mesure de prêter de l’argent… à ceux qui détiendront en guise d’épargne retraite un mille-feuille nauséabond de produits dérivés — dont personne ne connaît la valeur — et des créances en partie irrécouvrables qui, un jour ou l’autre, plomberont le patrimoine des contribuables américains.

Il n’existe qu’un moyen de diminuer leur degré de toxicité : ranimer un processus inflationniste auquel nous vous préparons depuis 18 mois en vous recommandant de profiter de chaque fléchissement des cours de l’or (exprimés en euros car en dollars, les écarts relatifs peuvent s’avérer trompeurs). Oui, chaque fois que les ours bousculent une pile de lingots, c’est autant de métal précieux qui tombe dans notre escarcelle, laquelle demeure toujours grande ouverte.

Et hier, l’or a pulvérisé — pour un détenteur d’euros — son record annuel sur le marché de Londres puisque l’once repasse la barre des 900 $ tandis que l’euro rechute de 1,6% à 1,2950 $.

** Nous n’allons pas vous cacher que la remontée du billet vert nous intrigue, sachant ce à quoi nous devons nous attendre sur le marché des changes à l’horizon 2010, quand le super bad bank fund géré par le FDIC aura été créé puis disséminé parmi les épargnants des Etats-Unis, voire du monde entier.

Le rebond du dollar — techniquement favorable à la Zone euro — n’a pu empêcher une consolidation qui était attendue au lendemain d’une flambée de 4% sur le Vieux Continent. Cette flambée apparaissait un peu excessive en regard de la toile de fond macro-économique et des prévisions de croissance pessimistes dévoilées par le FMI (largement détaillées dans notre précédente Chronique).

** La Bourse de Paris a fini par perdre 2,15% mais a préservé les 3 000 points, après une incursion jusque vers 2 985 points (-2,8%). Pas moins de 27 titres sur 30 ont terminé dans le rouge, dont plus de la moitié chutaient de 2,3% à 8,6%. Les volumes d’échanges ont été inférieurs de 30% à ceux de la veille : les prises de profit se sont matérialisées sur un large front mais sans réelle intensité.

Les investisseurs auraient donc digéré sans trop d’aigreur le plus mauvais chiffre jamais observé depuis la création de l’enquête sur les ventes de logements neufs en 1963 aux Etats Unis.

Ces dernières ont plongé de 14,7% au mois de décembre (à 331 000 unités) et de 37,8% sur un an. Le prix moyen s’est quant à lui effondré de 6% par rapport à novembre.

Les stocks de logements invendus s’élèvent à 13 mois de commercialisation, ce qui constitue un niveau d’engorgement historique. Il n’a jamais été aussi difficile de refinancer les logements achevés mais en attente d’un acquéreur.

Pour ne rien arranger, les commandes de biens durables ont chuté de 2,6% le mois dernier, selon le département du Commerce. Cette contraction est plus forte que prévu, après la baisse du mois de novembre, désormais estimée à -3,7% contre -1,5% annoncé initialement.

** Le nombre d’inscriptions hebdomadaires au chômage aux Etats-Unis a également progressé de 3 000 à 588 000. C’est plus que prévu et le nombre de demandeurs régulièrement indemnisés a grimpé de 159 000 à 4,78 millions.

En Allemagne, le marché du travail se dégrade également à une vitesse vertigineuse. Selon l’Office fédéral allemand du Travail, le nombre de demandeurs d’emploi a progressé de 0,9 points à 9,3% en janvier — près de 3 500 000 chômeurs avaient été recensés au mois de décembre. La barre psychologique des 10% devrait être largement dépassée bien avant la fin du premier trimestre 2009.

De plus, le sentiment économique a continué de se dégrader en janvier en Europe, mais à un rythme ralenti, à en croire l’indice ESI de la Commission européenne. Il a baissé de 3,3 points à 64,9 points dans l’Union européenne et de 1,5 point à 68,9 dans la Zone euro. L’indicateur du climat des affaires (BCI) dans la Zone euro a lui aussi décliné à -3,16 en janvier, contre -3,09 en décembre.

Cette journée de vendredi sera marquée par la publication d’une estimation préliminaire du PIB américain, de l’indice PMI de Chicago et de l’indice de confiance du Michigan. Cela va procurer aux ours trois opportunités de planter leurs crocs (comme de vrais biting bears) dans le gras des plus-values résiduelles — issues des 10% repris par les indices européens depuis jeudi dernier.

Philippe Béchade,
Paris

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