La Chronique Agora

L’inflation et l’avenir de la relance économique

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Nous avons fait en sorte de rendre la poursuite de l’inflationnisme impossible, nous avons tué la poule aux œufs d’or de l’argent magique.

Sebastian Mallaby, auteur et journaliste britannique, écrivait ceci le 11 juillet dernier, dans le magazine Foreign Affairs :

« Il y a deux ans, j’avais prédit dans Foreign Affairs que la récession du COVID-19, venant s’ajouter à la crise financière de 2008, conduirait les riches démocraties à redéfinir les limites extérieures de leur pouvoir monétaire et fiscal, inaugurant une ‘ère de l’argent magique’.

[…] Parce que les banques centrales avaient une longue histoire de maîtrise de l’inflation, la pénalité pour prodigalité ne se matérialiserait probablement pas ; des stimuli surdimensionnés pourraient coexister avec des prix stables.

Bien sûr, le succès de cette expérience dépendrait de la crédibilité continue des banques centrales dans la lutte contre l’inflation, au premier rang desquelles la Réserve fédérale.

Si la Fed perd son indépendance, l’âge de l’argent magique est terminé. »

Foreign Affairs, comme d’autres publications et think tanks, essaient de dépasser le petit débat imbécile sur la question que se posent les marchés ; montera, montera pas ? De combien ? Etc.

Les prix sont stables parce que…

L’auteur, ici Sebastian Mallaby, soutient que nous arrivons peut-être à « la fin de l’ère de l’argent magique ».

Je pense que c’est la question centrale.

Mallaby avance cette énormité :

« Parce que les banques centrales avaient une longue histoire de maîtrise de l’inflation, la pénalité pour prodigalité ne se matérialiserait probablement pas ; des stimuli surdimensionnés pourraient coexister avec des prix stables. »

Examinez cette phrase : c’est un tissu de conneries masqué par un vocabulaire et des formulations dignes de Molière ; il n’y a pas eu d’inflation, parce que la prodigalité monétaire a pu coexister avec des prix stables. Voilà pourquoi votre fille est muette, c’est parce qu’elle ne parle pas !

Si on le suit, ce serait parce que les banques centrales auraient eu une longue histoire de maîtrise de l’inflation que la création monétaire excessive n’a pas été punie !

Comment peut-on soutenir pareille idiotie qui ne résiste ni à l’analyse logique ni à l’analyse historique.

De temps à autre, les économistes devraient retourner à l’école et réapprendre à penser juste, logique. La dialectique et l’épistémologie des sciences leur éviterait d’assener des énormités.

Dans les prémices de Mallaby, le réel n’existe pas, tout vient du ciel. Ce qui existe, ce sont les opinions, les perceptions, la fameuse crédibilité. Il ne se rend pas compte que toutes ces catégories sont des produits : les opinions sont le produit de la réalité, ce que pensent les gens ne produit pas la réalité, le monde ne marche pas sur la tête, il marche sur les pieds.

Le culte du cargo et les incantations magiques, c’est dépassé depuis longtemps. Jerome Powell a eu beau proclamer que l’inflation était temporaire pour influencer les opinions, cela n’a nullement empêché la hausse des prix de durer, de s’amplifier, de s’enraciner et d‘atteindre les 9,1%.

Avec pareils raisonnements, si on ose les appeler ainsi, nous ne sommes pas près de nous éloigner de la zone de crise monétaire, financière et économique !

Le moment de la rupture

La crise dans laquelle nous nous trouvons est complexe, elle résulte de l’affrontement de forces de sens contraires qui produisent des résultantes délicates à analyser et à discerner. La crise vient de loin ; cela fait longtemps que l’on joue avec l’argent magique ! La preuve en est que cet argent magique a produit ses effets inflationnistes dans l’histoire, à la fois dans l’immobilier et dans les indices boursiers depuis des décennies.

Hélas, le monde est discontinu, un jour vous êtes vivant, le lendemain vous êtes mort.

La monnaie et le crédit surabondants sont acceptables et supportables jusqu’au jour n-1, mais, au jour n, elles cessent d’être innocentes. Le monde n’est pas extrapolable à l’infini, un jour les bonnes choses ont une fin, les repas gratuits se terminent et vient le temps de l’addition. Nous y sommes.

La crise dans laquelle nous nous enfonçons méthodiquement est une crise réelle, ce n’est pas une crise des perceptions ou des anticipations, c’est une crise dont l’origine se trouve dans nos systèmes économiques, sociaux et politiques, et maintenant géopolitiques.

C’est une crise terrible, effrayante de l’intelligence humaine. Une crise de notre façon de voir, de concevoir et donc d’organiser le monde. De la même façon que le névrosé et le psychotique élaborent des solutions aberrantes aux problèmes qu’ils rencontrent, notre monde moderne et post-moderne élabore des réponses absurdes aux questions qu’il rencontre. Notre pensée et le monde en collent plus ! L’une, notre pensée, ne reflète plus l’autre, le monde.

Nos outils intellectuels, nos modèles de pensée sont inadéquats, désadaptés et nous désadaptent encore plus de jours en jour. Nous sommes dans des engrenages de folie terrifiants.

Nous marchons sur la tête, nous marchons à côté de nos pompes, et le peuple dans sa sagesse le sait, lui ! On ne lui en compte pas, in fine ! C’est lui qui se tape le monde, qui le soutient sur ses épaules, il se le coltine, pendant que les pseudo élites s’envoient en l’air en se racontant des romans idiots et surtout faux.

Pourquoi l’argent magique ?

En définitive, avec des analyses aussi stupides que celle de Foreign Affairs, tout ce qui arrive est toujours la faute à pas de chance, la faute aux cygnes noirs. Bien entendu, ce n’est jamais la faute des dirigeants démiurges-apprentis-sorciers, qui pourtant se trompent sur tout. Jamais la faute aux élites, jamais la faute aux grands prêtres du système.

La première bonne question est de savoir pourquoi à un moment donné les pays occidentaux se sont lancés dans une ère de création monétaire ; pourquoi ils ont eu recours à l’argent magique. Quelle est la cause première de l’abandon historique de l’orthodoxie ?

Avez-vous entendu poser cette question ? Non !

C’est tombé du ciel. Un jour, quelqu’un a eu une idée, et puis, c’est parti, on est entrés dans l’ère de l’inflationnisme.

Ne pas comprendre pourquoi nous sommes entrés dans cette ère, pour résoudre quels problèmes et pourquoi à l’époque cela a été possible, c’est se condamner à inventer n’importe quoi par la suite. L’inflationnisme a une histoire, qui s’est déroulée selon une certaine logique. Il a pu se développer et durer pour des raisons particulières qu’il convient d’élucider.

L’inflationnisme ne date pas ni d’hier, ni d’avant-hier, et s’il a pu durer aussi longtemps, ce n’est pas sans raison : cela tient aux conditions qui lui ont donné naissance. Il n’est pas indifférent de savoir si l’inflationnisme a une origine monétaire, financière, économique, matérielle, productive etc.

Si nous sommes entrés dans cette ère de l’inflationnisme, c’est parce qu’il y avait nécessité de le faire. Le système n’est ni méchant ni pervers volontairement. Le système a succombé à la nécessité de l’inflationnisme parce qu’il a buté, il a rencontré des limites, limites que l’on appelle pour simplifier, limites à la croissance. Il a dû recourir à l’argent magique pour continuer malgré les problèmes qui se présentaient.

Tendance à la déflation

Le fond de la situation qui a conduit à l’inflationnisme et à l’argent magique, c’est la soi-disant tendance à la déflation. Soi-disant tendance à la déflation qui s’origine dans l’insuffisance de la demande et l’excès de capital. A un moment donné, le système s’est trouvé déséquilibré comme il l’avait été dans les années 1930, la dépression déflationniste de longue durée a menacé.

Une tendance à la baisse des prix s’est développée ; cette tendance dans un système surendetté a été jugée négative et dangereuse, les magiciens ont voulu la contrer par l’argent magique.

Cet argent magique n’a pas produit les effets escomptés et pendant longtemps il s’est neutralisé, dirigé vers la Bourse plutôt que vers l’économie réelle. Le pouvoir d’achat des consommateurs de biens et services n’a donc pas progressé et c’est ce qui explique que l’inflationnisme n’a pas produit ses conséquences habituelles sur les indices des prix des biens et des services. Tout cela n’a rien à voir ni avec l’habileté des banques centrales ni avec la crédibilité des banquiers centraux, au contraire, cela s’est fait malgré eux, à l’insu de leur plein gré !

En résumé, le système n’a pu continuer à être géré de façon honnête et orthodoxe parce qu’il s’est fracassé sur ses limites endogènes. Le système a dû recourir à la création de crédit excessif, de pouvoir d’achat tombé du ciel et finalement de fausse monnaie. Et il a répété l’opération plusieurs fois !

La crise sanitaire du Covid et le nouveau round de distribution d’argent magique – près de 20 000 milliards – qu’ils ont provoqué ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, précisément à ce moment-là, car les conditions anciennes avaient changé ; nous avions cessé d’être en état de surproduction, nous avions cassé les chaines de fabrication et d’approvisionnement.

Et qu’avons-nous fait pour y remédier ?

Nous avons créé de nouvelles pénuries fondamentales mais totalement artificielles, comme celle de l’énergie en déclarant des embargos et sanctions imbéciles.

Nous avons fait en sorte de rendre la poursuite de l’inflationnisme impossible, nous avons tué la poule aux œufs d’or de l’argent magique.

Toutes les bonnes choses ont une fin.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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