La Chronique Agora

L’impossible croissance occidentale

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Si le moteur de la croissance mondiale ne sera plus l’Occident à l’avenir, les grands pays d’Asie ne seront pas les seuls à gagner en puissance économique.

Depuis les débuts de la révolution industrielle, l’Occident a été le moteur de la croissance mondiale. Si le pourquoi de cette surperformance a été largement débattu sans qu’une cause principale ne se dégage (prépondérance de la science sur la religion, climat et géographie favorables, rôle de la démographie et même des guerres ont été évoqués), le fait est que la hausse du niveau de vie occidental est sans commune mesure avec celle observée dans les pays émergents.

Les investisseurs ont donc une tendance naturelle à favoriser les placements qui les exposent à la hausse du PIB occidental.

Le biais de proximité, qui consiste à toujours préférer ce qui est connu et proche à ce qui est inconnu et lointain, fait le reste. En 2021, les Français n’ont investi que 13 Mds€ à l’étranger – un chiffre à comparer aux 19 Mds€ placés sur les livrets réglementés tricolores, aux 18 Mds€ placés en assurance-vie, et aux 166 Mds€ globalement épargnés par les ménages.

Or, les prochaines décennies pourraient connaître une rupture de tendance forte. Selon une étude de Goldman Sachs, l’Occident qui était la locomotive de la croissance mondiale devrait céder sa place aux pays émergents. Cela signifie que, pour les investisseurs, une diversification hors de nos frontières sera inévitable pour faire fructifier au mieux son épargne et protéger son patrimoine.

De la démographie… mais pas que

Il est de notoriété publique que la démographie des économies développées (en Occident comme au Japon) marque le pas. La baisse de la fécondité des ménages oblige ces pays à recourir fortement à l’immigration sous peine de voir leur population baisser inexorablement.

L’évolution de la richesse nationale étant liée à la productivité par tête (généralement mesurée par le PIB par habitant) et la population totale, une lecture de premier niveau inciterait à concentrer ses investissements sur les zones à forte croissance démographique.

Or, la réalité est plus complexe : les zones dont la croissance démographique est la plus dynamique se trouvent en Afrique, là où les prévisions de croissance sont très contrastées.

A contrario, la population chinoise a décru en 2022 (de 850 000 habitants), une première depuis les années 1960. Le point d’inflexion a été atteint bien plus tôt que prévu : le World Population Prospects tablait sur un pic de population de 1,464 milliard d’habitants en 2030, tandis que l’ONU prévoyait 1,5 milliard de Chinois en 2040. Malgré la fin de la politique de l’enfant unique, la population de l’empire du Milieu semble avoir débuté sa décrue… mais le pays fait encore preuve, bon an mal an, d’une croissance à faire pâlir d’envie les pays d’Europe.

Pour établir leurs prévisions, les analystes de Goldman Sachs ont donc pris en compte non seulement la démographie des différentes zones géographiques, mais aussi le potentiel d’amélioration du tissu économique (libéralisation et possibilités de privatisation), d’arrivée d’une classe moyenne (capacité de formation) et d’amélioration du taux de participation à l’emploi (accès au marché du travail des femmes).

Cet exercice prospectif, étant multi-factoriel, est évidemment basé sur quantités d’hypothèses et de biais qui rendent les chiffres absolus peu fiables. Mais leur évolution est riche d’enseignements pour évaluer le retard que vont prendre les économies occidentales dans les prochaines décennies.

Evolution des grandes économies d’ici 2075, avec les PIB en milliers de milliards de dollars : les poids relatifs vont être bouleversés par rapport aux années 2000. Infographie: Goldman Sachs

Les investissements rentables loin de nos frontières

Après une indiscutable suprématie européenne et nord-américaine sur la période 1970-2020, Goldman Sachs voit une inversion de la tendance sur la période 2025-2075, sur laquelle les émergents devraient être la locomotive de la croissance mondiale.

L’évolution des économies est un indicateur imparfait de la santé des actions, mais il le mérite de représenter le « potentiel d’investissement » offert par chaque zone. Un investisseur particulier qui place ses économies dans un ETF géographique (Europe, France, Monde, Chine, Inde, etc.) peut en effet espérer obtenir, sur le long terme, une croissance de son épargne équivalente à celle des valorisations boursières des entreprises cotées sur place.

Les conclusions de Goldman Sachs sont sans appel : investir de manière géographique sur la France, l’Europe, ou simplement l’Occident, est le plus sûr moyen de manquer des gains dans les 50 prochaines années. L’économie française, au 7e rang mondial actuellement, devrait s’effondrer au 15e rang d’ici 2075, passant derrière les Philippines et même la Russie. Même la légendaire Wall Street, dont les places de marché regroupent aujourd’hui plus de 40% des valeurs mondiales, devrait voir sa part s’éroder à 22% de la capitalisation globale.

Les grands gagnants seraient les émergents, qui verraient leur poids doubler. Celui-ci passerait de 27% actuellement à 55% de la valeur boursière mondiale. La première place du podium se jouera entre la Chine et l’Inde.

L’empire du Milieu pourra se baser sur une économie dynamique et structurée qui lui assurera, malgré la baisse de population indiscutable à cet horizon, une croissance significative.

Ces futurs géants qu’on oublie

L’Inde, de son côté, n’est qu’à quelques réformes-clés de connaître un boom économique tel que celui qu’a connu la Chine ces 20 dernières années. Avec une population qui devrait s’approcher des 1,7 milliard d’habitants d’ici quelques décennies (contre 1 milliard pour la Chine au même moment), la plus grande des démocraties devrait voir son PIB s’approcher de celui de l’empire du Milieu, et sa Bourse évoluer en conséquence.

Bombay devrait alors représenter 12% de la capitalisation mondiale, à l’instar des places chinoises (Shanghai, Shenzhen, Hong Kong).

L’Indonésie devrait connaître elle-aussi une croissance fulgurante qui lui offrira la place de quatrième économie mondiale.

Bien qu’absent du radar de nombre d’investisseurs, le Nigeria devrait remonter en cinquième position, dépassant l’Allemagne, la Russie, et le Japon. Aux côtés du Pakistan et de l’Egypte, il s’agit de l’un des rares outsiders qui devrait connaître une forte progression après 2050 – une hypothèse qui se base toutefois sur la tenue de nombreuses réformes politiques et une bonne gestion des ressources locales.

Evolution prévue des capitalisations boursières par zone géographique. Infographie : Goldman Sachs

Pour les particuliers qui souhaitent investir aujourd’hui sur un horizon de temps long (plus de 20 ans), il est nécessaire de garder à l’esprit l’érosion relative que subiront les économies occidentales par rapport au reste de la planète d’ici 2050.

Une exposition aux marchés émergents ou, a minima, à l’économie mondiale, est impérative sous peine de voir son patrimoine libellé en euros perdre progressivement de la valeur à mesure que le Vieux Continent représentera une part toujours plus ténue du PIB mondial.

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