La Chronique Agora

L’importance de la mégapolitique

Nos « ennemis » ne sont pas toujours de vrais ennemis. Les guerres ne valent pas toujours la peine d’être menées. Et les cours de la Bourse ne sont pas toujours à la hausse.

« L’analyse de la mégapolitique nous permet d’identifier les principaux modèles structurels qui se répètent à travers l’histoire. Les facteurs à l’origine des changements mégapolitiques sont la topographie, le climat, les microbes et la technologie. En tenant compte de la manière dont les différents facteurs influencent les incitations humaines, vous pouvez mieux identifier les implications du changement. Cette perspective vous permet de percevoir avec plus de clarté la montée et la chute des gouvernements, des économies, des cultures et de la violence. » –  Matthew Siu.

La « mégapolitique » est notre arme pas si secrète. Nous pensons qu’elle nous donne une longueur d’avance en nous aidant à comprendre les courants profonds de la politique et de l’économie.

Vous pourriez, par exemple, regarder le temps qu’il fait. Jour après jour, il change. Un jour, il fait plus chaud. Le lendemain, il pleut. On peut deviner ce qui va se passer au fil des jours. Mais il est très utile de savoir qu’il y a des saisons, des schémas qui se répètent. S’ils ne sont jamais exactement les mêmes, ils sont toujours présents et relativement fiables.

La mégapolitique n’est rien d’autre qu’une idée, mais elle est importante : les marchés sont rythmés par des saisons, et c’est la même chose pour la politique. Vous pouvez penser, par exemple, que « le gouvernement ne permettrait jamais que cela se produise »… ou que cela ne se produira pas parce que « personne ne le veut ».

Et pourtant, cela se produit quand même.

Les gens – surtout les gens intelligents – se trompent eux-mêmes. Régulièrement, ils surestiment leur capacité à comprendre ce qui se passe et leur aptitude à contrôler l’avenir et à corriger les erreurs de l’Histoire. Ils entreprennent de vastes programmes pour rendre le monde meilleur – les croisades, la première guerre mondiale, la révolution russe, le Grand Bond en avant – et finissent par rendre l’Histoire plus perverse que jamais.

Le problème vient de la nature même de la vie. Comme l’a dit Wallace Stevens, nous vivons dans un « vieux chaos du soleil ». Il y a un nombre infini de choses qui se passent et un nombre infini de façons de les regarder. Nous, les humains, ne disposons pas d’un temps infini ni d’une capacité cérébrale infinie. Nous classons donc les choses en catégories (un processus que Kant a décrit comme l' »impératif catégorique ») afin de les simplifier.

Le danger

Les proto-humains devaient prendre des décisions rapides pour survivre. S’ils voyaient un gros animal velu foncer dans leur direction, par exemple, ils n’avaient pas le temps de se demander de quel genre ou de quelle espèce il pouvait s’agir, s’il ne s’agissait pas d’une illusion d’optique causée par le soleil couchant ou d’une farce de l’un des membres de la tribu.

Ils devaient courir aussi vite que possible pour survivre. Nos ancêtres, les survivants, étaient ceux qui couraient, pas ceux qui s’interrogeaient trop longtemps.

Aujourd’hui, nous recevons des milliers de « messages » – publicités, avis, données, opinions, observations. Nous les parcourons sur nos écrans d’ordinateur, le plus rapidement possible, en sélectionnant ceux qui méritent notre attention. La plupart sont immédiatement ignorés. Certains sont remarqués et étudiés attentivement. Quelques-uns changent réellement nos idées ou notre comportement.

La plupart des gens sont occupés ; ils classent les choses dans des catégories très simples – bon ou mauvais, rouge ou bleu, ami ou ennemi. Les ennemis sont des personnes « mauvaises », c’est tout ce qu’il faut savoir.

Le monde de la finance peut lui aussi être réduit à la plus simple des dichotomies. Les prix montent ou descendent, pourquoi se compliquer la vie ?

Mais une simplification excessive peut entraîner de graves erreurs. Les « ennemis » ne sont pas toujours de vrais ennemis. Les guerres ne valent pas toujours la peine d’être menées. Et les cours de la Bourse ne sont pas toujours à la hausse.

Pour avoir une idée de ce qui se passe réellement, nous devons comprendre les saisons. Nous pouvons regarder par la fenêtre et voir le soleil percer les nuages… mais il est également utile de savoir que c’est le printemps.

Modèles naturels

Au sens le plus simpliste et le plus superficiel, les gens font leurs choix et essaient d’obtenir ce qu’ils veulent.

Mais dans le monde plus profond de la mégapolitique, ce qu’ils veulent n’a rien à voir avec cela. La mégapolitique décrit les courants profonds de l’Histoire, comme le Gulf Stream, un immense fleuve sous-marin. En surface, il n’est même pas visible. Mais sous les vagues, il transporte de l’eau chaude à travers l’Atlantique et rend l’Europe du Nord habitable.

C’est un schéma naturel. Il nous influence, mais nous n’avons aucune influence sur lui.

La mégapolitique reconnaît que « des évènements ont lieu », qu’on le veuille ou non. Qui veut mourir, par exemple ? Pourtant, tout le monde meurt.

Et qui pourrait imaginer que l’empire américain sera mis à genoux ? Cela arrivera aussi.

La mégapolitique nous encourage à regarder au-delà des slogans et des platitudes que nous tenons pour acquis. Le Titanic était considéré comme insubmersible… jusqu’à ce qu’il coule. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent que la Fed « ne permettrait pas » la matérialisation d’une récession majeure, d’une inflation galopante ou d’un marché baissier de longue durée. Mais la Fed peut-elle vraiment empêcher ces corrections naturelles ? Probablement pas.

Nous croyons que « tous les hommes sont créés égaux », et que nous devrions « faire aux autres ce que nous voudrions qu’ils nous fassent ».

Mais lorsque le pouvoir change radicalement, l’égalité des droits disparaît. Imaginez une invasion par une race d’extraterrestres disposant d’une technologie largement supérieure. Ils pourraient traiter les humains comme nous traitons le bétail ou les serpents.

Même parmi les humains, d’énormes disparités de pouvoir conduisent à des relations qui ne sont en aucun cas « égales ». C’est ce qui s’est passé aux XVIIIe et XIXe siècles, lorsque les Européens avaient un tel avantage en termes de puissance de feu sur les populations indigènes d’Afrique, d’Asie du Sud-Est, d’Australie et des Amériques qu’ils ont pu coloniser de vastes étendues de territoire. Les populations locales avaient peut-être des « droits », mais uniquement ceux que les conquérants choisissaient de leur accorder.

La mégapolitique met en évidence les schémas et les réalités auxquels peu de gens veulent penser. Elle nous incite à nous méfier de « ce que tout le monde sait » et à être sceptiques quant à « ce que tout le monde croit ». La guerre en Ukraine a-t-elle vraiment un sens ? La Fed peut-elle vraiment savoir de quels taux d’intérêt les Etats-Unis ont besoin ? La démocratie américaine fonctionne-t-elle vraiment comme le croient les électeurs ?

Nous avons plus de questions que de réponses. Mais le simple fait de les poser nous donne un avantage sur la plupart des investisseurs.

Questions

Comment, quand et pourquoi un grand empire meurt-il ?

L’empire américain/anglo-occidental semble avoir atteint son apogée vers 1999. Depuis lors, malgré des records en termes nominaux, les actions et les obligations américaines ont perdu du terrain en termes réels, mesurés en or. Cela s’est produit dans un contexte d’endettement galopant – de 5 000 à 35 000 milliards de dollars pour la seule dette publique, qui était censée « stimuler » la croissance.

Et que se passe-t-il sur les marchés ? Outre les tendances observées au fil des jours, des semaines et des mois, il existe des tendances « primaires » qui peuvent prendre des décennies à se manifester. Il semble qu’un tournant majeur ait été atteint entre l’été 2020, lorsque les rendements obligataires américains ont atteint leur niveau le plus bas, et la fin de l’année 2021, lorsque les actions américaines ont atteint leur plus haut niveau historique.

Où en est-on aujourd’hui ? Ce n’est pas en consultant CNN ou Bloomberg que nous le saurons. Peut-être que les schémas de tendance primaire nous le diront.

Et qu’en est-il de l’inflation et des cycles d’endettement ? Que nous réserve un pays dont la dette est près de quatre fois supérieure au PIB ? Et que réserve une démocratie dans laquelle la plupart des électeurs ne veulent aucun des candidats et où les questions les plus importantes sont tranchées par des personnes influencées par les grandes fortunes ?

Peu de gens voudront approfondir ces questions. Les bons contre les méchants, nous contre eux, les rouges contre les bleus – cela suffit à la plupart d’entre nous.

Mais dans les années difficiles qui s’annoncent, une analyse superficielle de la situation pourrait s’avérer désastreuse.

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