La Chronique Agora

Immobilier : bonnes affaires en vue ?

immobilier, investissement, marché obligataire

La hausse des taux, de l’obligataire comme de l’inflation, conduit les investisseurs à réaliser des paris de plus en plus risqués… Ou à se tourner vers l’immobilier.

Les mauvaises séances s’enchaînent sur les marchés obligataires européens qui poursuivent la dégradation amorcée début février.

Les rendements des bons du Trésor de maturité 6 à 24 mois gravitent désormais entre 3,00 et 3,20% (c’est ce que vous rapporte désormais le « monétaire », mais c’est aussi la référence pour les découverts bancaires). Ces valeurs sont les plus élevées observées depuis début 2011, en pleine crise grecque.

Nos OAT de maturité 6, 7 et 8 ans affichent un peu moins de 3,10%… mais ces instruments sont peu traités : c’est trop long pour du crédit auto (60 à 72 mois), trop court pour du crédit immobilier (la duration la plus fréquente approche 27 ans).

L’inflation dépasse toujours l’obligataire

Les rendements se retendent vers 3,20% pour le « 10 ans », mais attention, là où cela devient très « chaud » pour les amateurs d’investissement immobilier, c’est sur les maturités encore plus longues : le « 15 ans » affiche 3,48%, le « 20 ans » 3,54%… et cela redescend un peu pour le « 25 ans », également à 3,48%.

Alors bien sûr, les banques se refinancent sur du court terme pour prêter à long terme, en prenant une marge… mais cette marge se réduit fortement depuis quatre semaines avec la montée des taux courts qui s’ajustent aux anticipations de resserrement du loyer de l’argent par la BCE. En l’espace de deux mois, le consensus est passé de 3,25% au maximum à 3,75% au minimum, suite à la lecture des dernières statistiques d’inflation.

En France, le taux remonte en effet à 6,2%, mais, en données harmonisées (respectant les normes européennes), c’est 7,2%, soit le pire score depuis 1985. Dans le détail, l’inflation alimentaire est par ailleurs passée en un an de 2,1% à 14,5%, et c’est loin d’être fini.

Mais 7,2% pour le chiffre général, cela reste moins qu’en Allemagne, qui atteint les 8,7% en données harmonisées (chiffre inchangé en février), où c’est le pire score depuis… 1984. Et notre inflation reste de 2,5% inférieure à celle de la zone euro qui bat des records depuis 43 ans.

Nos taux d’intérêt ne sont au plus haut, eux, que depuis 12 ans.

Autrement dit, même à 4%, le loyer de l’argent reste inférieur de 500 points à l’inflation moyenne dans les 10 premières économies de la zone euro.

Il reste donc très avantageux d’emprunter, à condition d’investir dans un actif qui résiste à l’inflation. C’était très facile quand les taux étaient à zéro, c’est un peu plus compliqué aujourd’hui.

Les investisseurs sont ainsi conduits à faire des paris de plus en plus risqués, comme surfer sur le « momentum » des actions (leur inertie haussière).

Point de bascule

L’autre option, c’est d’acheter des actifs qui s’apprécient sur le long terme, procurent un rendement égal ou supérieur aux taux d’intérêts et dont la revalorisation rattrape rapidement le montant des prêts restant à rembourser, puis au final l’inflation sous-jacente.

Or les prêts immobiliers à taux fixes sur 20 ans – et au-delà – se négocient depuis peu juste au-delà de 3% (il va devenir difficile d’obtenir moins de 3,25% d’ici mi-mars, alors que c’était 2,25% en début d’année).

Bien sûr, cela paraît cher en comparaison des 1,2% sur 20 ans de la mi-2021, mais, pour l’emprunteur qui ne présente aucun souci de solvabilité aux yeux de son banquier, cela reste une excellente affaire, si jamais l’inflation se maintenait durablement au-dessus des 5%.

Et même si ce n’était « que » 3,5% d’ici 2025, cela resterait encore une bonne affaire, avec un rendement locatif de 4% en région parisienne et de 6% en province.

Tout pourrait cependant basculer si les resserrements monétaires des banques centrales débouchaient sur une récession : avec une chute du chiffre d’affaires et des marges, beaucoup d’entreprises se retrouveraient à cours de cash (certaines ont épuisé toute leur trésorerie en rachats d’actions dans une obsession de profit immédiat pour les actionnaires, au premier rang desquels figurent justement les dirigeants).

L’immobilier se mettrait lui aussi à corriger, notamment l’immobilier commercial, avec des entreprises défaillantes, des enseignes tirant le rideau de fer (une bonne dizaine de marques historiques viennent de déposer le bilan en France, Go Sport, Les Galeries Lafayette et GAP étant les derniers en date).

Il n’y aurait rapidement plus d’intérêt non plus à acheter – à crédit – de l’immobilier à usage résidentiel, les prix se mettant à chuter bien plus vite que l’inflation ne se contracterait (la transition énergétique vers une économie décarbonée est synonyme de renchérissement structurel des coûts de l’énergie pour la prochaine décennie).

L’immobilier corrige déjà fortement en Suède et au Canada, le prix des logements recule depuis six mois consécutifs aux Etats-Unis, la décrue est bien amorcée en Allemagne et en Espagne… La France fait figure de dernier bastion, grâce aux garde-fous des taux fixes.

Et le CAC 40 fait également figure d’ultime bastion, avec des actions qui refusent de baisser depuis début février ou qui consolident tout au plus à 1 ou 2% de leurs sommets.

Pourtant, les gérants se sont trompés sur tout, notamment l’inflation transitoire, les prix dont le repli s’accélèrerait inexorablement en 2023, les banques centrales qui pivotent avant la fin de l’année… et puisqu’aucune de ces anticipations ne s’est vérifié ou ne se vérifiera, tout le monde se raccroche à ce dernier espoir d’un « soft landing », c’est-à-dire d’un ralentissement économique « moins pire que prévu ».

C’est un peu comme parier des sommes folles sur un athlète français dont les performances déclinent régulièrement, qui se déclare trop fatigué pour s’entrainer, en espérant qu’il figurera sur le podium parce qu’il porte un survêtement Louis Vuitton, un sac de sport Hermès et des baskets Gucci, et parce que son dernier chrono était un peu moins pire que les précédents (tout en restant à des années lumières des temps requis pour espérer aller en finale).

L’heure de la qualification (ou non) a sonné, bientôt moment de vérité : gare aux désillusions, gare aux athlètes surcotés !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile