La Chronique Agora

Immigration, conquête, réparations

L’Angleterre et l’Irlande ont été envahies à plusieurs reprises par les Norvégiens, les Danois et les Normands. La dernière de ces attaques, celle des Normands, a commencé avec l’arrivée du duc Guillaume à Pevensey, en Angleterre, en 1066.

Aujourd’hui, de manière détournée, nous allons continuer à nous intéresser à la richesse factice des Etats-Unis. Plus nous observons la situation, plus nous constatons un manque.

Dimanche, nous avons entamé notre migration annuelle. Tels des caribous en quête de pâturages arctiques, nous nous sommes dirigés vers la France pour l’été.

Le voyage consiste à conduire jusqu’au car-ferry à Rosslare, en Irlande, puis à descendre au Pays de Galles. Nous avons passé la nuit à Narberth et avons continué jusqu’à Londres hier. Nous allons passer la journée à Londres, avant de nous rendre demain à Calais, via le tunnel sous la Manche.

A nos yeux, les Anglais sont similaires aux Irlandais. Ils se ressemblent. Ils s’habillent de la même façon. La météo est la même. Ils conduisent du même côté de la route. Et ils partagent une histoire entremêlée, imprégnée de sang.

L’une des idées de politique publique les plus curieuses des Etats-Unis aujourd’hui consisterait à indemniser des groupes de personnes pour les préjudices subis par leurs ancêtres. Cela semble raisonnable, jusqu’à ce que l’on se rende compte que ces paiements de « réparation » doivent provenir de personnes en vie, qui n’ont pas participé à ces actes répréhensibles, et aller à d’autres personnes en vie, qui n’ont pas souffert de ces actes.

Un paiement pour ces « réparations » augmenterait le PIB, dans le cadre des dépenses publiques, mais réduirait en fait la richesse réelle, en prenant l’argent de ceux qui l’ont gagné pour le donner à ceux qui ne l’ont pas gagné.

Reste ensuite à décider quels groupes, historiquement, ont le plus souffert… et quels autres groupes, aujourd’hui, devraient payer pour cela.

D’horribles tourments

La Grande-Bretagne et l’Irlande semblent être des pays paisibles et agréables. Pourtant, tous deux ont connu d’horribles tourments.

Les deux îles étaient habitées par des peuples inconnus qui ont été « remplacés » par des envahisseurs celtes, 1 000 ans avant Jésus-Christ. La Grande-Bretagne a été conquise par les Romains au premier siècle de notre ère. Les tribus celtes se sont battues, notamment sous la conduite de la reine Boudica. Mais les Romains étaient mieux organisés et mieux approvisionnés. Les populations locales se sont soumises ou ont été tuées.

C’est la colonisation de la Grande-Bretagne qui a donné lieu à la célèbre remarque de l’historien romain Tacite : « Où ils ont fait un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix. » Une grande partie de la population indigène du sud de la Grande-Bretagne a été exterminée, de vastes zones de l’île retournant ainsi à leur état naturel.

L’Irlande n’a pas été envahie par les Romains. Au contraire, après le départ des Romains, des tribus irlandaises ont envahi l’ouest de la Grande-Bretagne. La tribu Scoti, par exemple, a donné son nom à l’Ecosse [NDLR : « Scotland » en anglais.]

Alors que les Irlandais venaient de l’ouest, les tribus germaniques (anglo-saxonnes) se sont installées (pacifiquement, semble-t-il) à l’est de la Grande-Bretagne. Les deux îles ont ensuite été envahies à plusieurs reprises par les Norvégiens, les Danois et les Normands. La dernière de ces attaques, celle des Normands, a commencé avec l’arrivée du duc Guillaume à Pevensey, en Angleterre, en 1066.

Cette fois encore, il s’agissait d’une conquête sanglante au cours de laquelle une grande partie de la population a été tuée ou est morte de faim. Les Normands étaient des combattants féroces et impitoyables, qui infligeaient souvent des tortures et des mutilations à leurs prisonniers. Mais à cet égard, ils n’étaient guère différents de leurs ennemis. Meurtres, désordres, massacres… tout cela en une journée de travail.

Les bogtrotters

Il fallut six ans de combats pour que Guillaume s’installe confortablement sur le trône d’Angleterre.

Une centaine d’années plus tard, les Anglo-Normands ont débarqué en Irlande. Cette fois, il a fallu 600 ans de massacres successifs, mais l’Irlande a finalement été soumise à l’Angleterre. L’invasion s’est ensuite poursuivie dans l’autre sens : des vagues d’immigrants irlandais affamés ont rapidement débarqué en Grande-Bretagne, à la recherche d’un emploi.

Les Anglais considéraient les Irlandais comme une race inférieure. Ils étaient vus comme sales, pauvres, sans foi ni loi ; ils les appelaient les « bogtrotters ».

Cette réputation est restée collée aux Irlandais lorsqu’ils sont arrivés aux Etats-Unis. Les « Irlandais sauvages » n’étaient pas faits pour s’entendre avec les gens honnêtes. Les travailleurs irlandais étaient considérés comme indisciplinés et difficiles, victimes de la pauvreté et de l’alcool. Souvent, ils ne parlaient même pas anglais.

Avant 1865, les esclaves noirs aux Etats-Unis avaient une forme de valeur en capital – environ 900 dollars (soit environ 30 000 dollars en monnaie d’aujourd’hui). Aucun propriétaire d’esclaves ne voulait que ses esclaves ne meurent. Ils faisaient donc appel aux Irlandais pour effectuer les travaux les plus risqués et les plus dangereux. Par exemple, en 1832, la ville de la Nouvelle-Orléans a entrepris de creuser un canal à travers les marécages infestés de moustiques, qui fut plus tard connu sous le nom de « New Basin Canal » (canal du nouveau bassin). Mary Helen Lagasse en parle :

« Les constructeurs du canal du Nouveau Bassin de la ville ont exprimé leur préférence pour la main-d’oeuvre irlandaise plutôt que pour les esclaves, car un Irlandais mort pouvait être remplacé en quelques minutes et sans frais, alors qu’un esclave mort entraînait la perte de plus d’un millier de dollars. »

Les travailleurs irlandais n’avaient pas de propriétaire. Ils n’avaient pas de valeur. Ils étaient donc « sacrifiables ». Huit mille immigrants irlandais sont morts de la malaria, du choléra et d’autres maladies en creusant le canal.

Aujourd’hui, la diaspora irlandaise est bien établie dans les deux pays, souvent à des postes de commandement. Aujourd’hui, les intérêts des Irlandais aux Etats-Unis et en Angleterre sont identiques à ceux du reste des électeurs. L’immigration est l’un des principaux sujets de discorde pour tous les électeurs, qu’ils soient américains, irlandais ou anglais. En général, ils ne la souhaitent pas.

Mais laissons les problèmes sociaux et politiques à d’autres. Bien que l’immigration joue également un rôle dans notre Histoire… Si les immigrés dopent le PIB et les chiffres de l’emploi, certains diront qu’ils peuvent aussi réduire la richesse réelle du citoyen moyen.

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