La Chronique Agora

Ils ne savent pas où ils vont !

Avec des hausses de taux d’intérêt d’un demi-point presque certaines en juin et juillet, les responsables de la Réserve fédérale déplacent l’attention sur la question de l’impact de leurs politiques sur les marchés financiers et l’économie.

Au début du cycle de resserrement, Powell a déclaré que l’objectif était de « ramener les taux à des niveaux plus neutres aussi rapidement que possible ». En mai, cependant, il est revenu sur le concept de taux neutre – un niveau qui ne ralentit ni n’accélère la croissance – avertissant que la discussion reposait sur une « sorte de fausse précision ».

Ce que j’ai toujours souligné, puisque le taux neutre est une construction plus ou moins bidon, un outil de communication plus qu’un concept scientifique. C’est un « truc imaginé » !

La question de la neutralité est « hors sujet » dès lors que l’on ne sait déjà pas comment les mouvements de taux fonctionnent dans l’économie, comment ils se transmettent et surtout comment ils affectent la marche des affaires.

Aveu d’ignorance

Ceci est reconnu même par Powell, qui a déclaré récemment : « Vous savez, vous allez augmenter les taux, et vous allez en quelque sorte vous demander comment cela affecte l’économie par le biais des conditions financières. »

C’est un aveu d’ignorance qui fait s’écrouler toute la construction pseudo intellectuelle et qui la démasque pour ce qu’elle est : de la com !

Il faut faire semblant de fixer un objectif pour faire croire que l’on sait où l’on va. Et il en va de même pour cet autre concept fumeux, celui des conditions financières.

Les conditions financières sont mesurées par des modèles fabriqués par les économistes de banques, car pour eux tout doit être mesuré et chiffré ; sinon, ils ne touchent pas de salaires. Mais ces modèles ne correspondent à rien, et ne permettent aucune prévision sérieuse, puisque les conditions financières reposent en grande partie sur la psychologie, sur l’appétit pour le risque, sur la peur de perdre de l’argent, sur la fameuse et magique volatilité, etc.

C’est toujours le même problème que l’on oublie : tout ce qui est financier dépend des humeurs ! Comme par exemple la tarte à la crème de la masse monétaire, sans intérêt pratique dès lors que la vitesse de circulation de la monnaie peut varier… et que l’on ne sait pas comment.

Ce fut la grande surprise des années qui ont suivi la grande crise financière : plus on créait de pseudo-monnaie morte, moins on s’en servait, plus la vitesse de circulation ralentissait. La collègue de Milton, Anna Schwartz, avait prévu l’hyperinflation après les mesures monétaires prises au moment de la GFC ! Elle s’est ridiculisée, on ne l’a plus jamais entendue.

Tout cela c’est le refuge de nos ignorances diafoiriques.

Quel impact sur l’immobilier et le crédit ?

Les autorités veulent refroidir la demande en resserrant les conditions financières. Elles croient qu’en créant un appauvrissement, un contre-effet de richesse, elles y parviendront. Elles ne savent pas comment la hausse des taux combinée à un bilan en baisse comprimera la Bourse et le Logement, et donc quelle sera l’incidence sur les dépenses. Il est difficile dans ses conditions de fixer ou d’expliquer un objectif de conditions financières !

« Nous considérons certainement les conditions financières comme un guide clé pour déterminer le degré de resserrement politique nécessaire », a déclaré David Page, responsable de la recherche macroéconomique chez AXA Investment Managers. « Mais il n’y a pas de métrique standard. L’équilibre précis relève bien plus de l’art que de la science. »

Powell a utilisé l’expression « conditions financières » plus d’une douzaine de fois lors de sa conférence de presse après la réunion du comité directeur de la Fed en mai, notant que les responsables « doivent regarder autour d’eux et qu’il faudra continuer à resserrer, si nous ne constatons pas que les conditions financières se sont suffisamment resserrées ».

Il veut clairement signaler un objectif, mais le but est difficile à définir pour les autorités, car certains marchés se resserrent rapidement tandis que d’autres sont à la traîne !

Les taux hypothécaires sur 30 ans, par exemple, ont atteint un sommet récent de 5,6%, selon le site Bankrate, soit environ 200 points de base au-dessus de ceux de janvier. Cela représente près de 400 $ en versements mensuels supplémentaires sur un prêt de 300 000 $, et le coût supplémentaire ralentit les ventes de maisons.

Mais, pour une entreprise qui finance ses stocks sur du papier commercial à 90 jours à environ 1,5% – alors que l’indicateur d’inflation préféré de la Fed est de 6,3% – les conditions peuvent encore sembler très bon marché et faciles.

Un resserrement brutal et agressif

Les économistes de Deutsche Bank utilisent un cadre de conditions financières pour évaluer le nombre de tours de vis monétaires supplémentaires dont la Fed aurait besoin pour ramener la pression sur les prix à 2%.

« Il faudrait un resserrement brutal et agressif des conditions financières à partir de maintenant pour rapprocher l’inflation de la stabilité des prix », selon son économiste en chef américain, Matthew Luzzetti.

La façon dont la réduction du bilan de 8 900 Mds$ de la Fed interagit avec les marchés et le risque est un autre mystère. Hussman démontre qu’aucun lien organique entre ce bilan et les marchés n’est connu : tout repose sur une croyance !

Julia Coronado, co-fondatrice de MacroPolicy Perspectives LLC, affirme pourtant : « Nous avons besoin de disposer d’un cadre autour du bilan et des conditions financières, et ils ont mis du temps à en développer un. »

Pour elle, le défi est que « pour une trajectoire donnée de resserrement quantitatif, l’impact varie car il dépend du niveau de risque dans le monde ».

Le gouverneur de la Fed Christopher Waller a récemment déclaré à un auditoire de Francfort que le retrait annuel prévu de 1 000 Mds$ dans les avoirs de la banque centrale en bons du Trésor et en titres adossés à des créances hypothécaires équivaut probablement à une augmentation de 25 points de base par an. Mais il a averti que ce n’était qu’un jugement approximatif.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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