La Fed a abaissé ses taux mardi – mais ce n’est pas cela qui compte. Désormais, les marchés tournent sur les anticipations, les espoirs… et les illusions.
La Fed a modifié ses taux mardi pour quatre raisons évidentes :
– répondre aux demandes du public, des marchés et du pouvoir politique avec l’espoir de soutenir une relative confiance dans les pouvoirs des autorités monétaires ;
– empêcher les conditions financières de se resserrer, essayer de maintenir la liquidité et le crédit, soutenir la richesse fictive et empêcher les tuyaux de la plomberie de se boucher ;
– essayer de soutenir la demande, maintenir les échanges économiques, lutter contre la rétention et la frilosité ;
– s’opposer au renchérissement du dollar qui aurait pu intervenir si la situation américaine semblait meilleure relativement à la situation du reste du monde – la hausse du dollar-refuge aurait raréfié le dollar, désolvabilisé les débiteurs et bloqué les agents économiques étrangers endettés en dollars. C’est le troisième mandat de la Fed que celui d’empêcher le monde de s’écrouler par manque de dollars.
Pour ces quatre raisons, la Fed sera condamnée à baisser à nouveau les taux dans un avenir proche : la baisse appelle la baisse.
En effet ce n’est pas le niveau des taux qui importe : ils sont déjà très bas et sans effet réel. Ce qui compte c’est le mouvement de baisse et son anticipation. Ce qui est effectif et utile dans les baisses de taux, ce ne sont pas les baisses mais les mouvements de baisse et les espoirs de baisse.
On attend l’ouverture de la porte
Pour prendre une comparaison : l’important n’est pas qu’une porte soit ouverte, non –l’important, c’est l’attente de son mouvement d‘ouverture.
Les fonctions utiles se situent dans l’univers des anticipations et des perceptions, pas dans l’univers des réalités.
C’est ce qui arrive quand on a abandonné la gestion aux « esprits animaux » : ce sont eux qui prennent le contrôle, le réel passe au second plan.
La violence des mouvements boursiers exprime la vérité de ce que je dis. Il s’agit de mouvements liés aux esprits animaux, de sur-réactions – mais les sur-réactions, dans un monde transitif et réflexif d’auto-réalisation, sont déterminantes.
Il y a longtemps que je prétends que la Fed est « dans la seringue » et qu’elle a perdu le contrôle, au sens où elle s’est mise dans un engrenage. Je le dis depuis 2009.
Tout ce qu’elle fait est dicté. La Fed ne s’autorise en aucun cas à agir d’elle-même, elle obéit, elle est otage, ses actions sont dictées par la situation, par le mouvement qui a été lancé lors de la crise de 2008. Les excès demandent toujours plus d’excès… sauf à accepter le choc et le chaos, ce que la Fed ne peut statutairement accepter. C’est marche ou crève, et les élites ne se font jamais seppuku.
Où va-t-on ? Personne ne sait, c’est l’Aventure, le continent inexploré, sans mémoire, sans expérience, sans carte et sans boussole : on improvise au jour le jour. C’est le Titanic qui essaie d’optimiser au milieu des écueils.
Toute la conduite des affaires est fondée sur une approximation et sur une négation de la réalité : la réalité du monde est fractale, elle est faite de ruptures. Elle est, comme on dit en mathématiques, non dérivable.
Or toutes les théories des universitaires – les mercenaires des élites –, toutes ces théories postulent pour simplifier que tout est dérivable, qu’il n’y a jamais de discontinuité et que par conséquent, si on a pu traiter le choc N-1, on peut traiter le choc N et le choc N+1, et ainsi de suite.
En gros, la thèse qui va nous mener à la catastrophe c’est : le long terme n’existe pas, le monde n’est qu’une succession de courts termes que l’on peut toujours optimiser.
En passant, j’en profite pour vous indiquer que c’est ainsi que nous irons à la guerre, parce que quelqu’un aura fait un pas de trop, un pas qui provoquera une rupture, un pas qui provoquera une réaction non dérivable.
C’est un monde imaginaire que celui que nous habitons, un monde qui est dominé par l’illusion de puissance sans limite, l’illusion de continuité, sans effet de rupture, sans effet de stock, sans effet de tout ou rien.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]