La Chronique Agora

Il y a toujours un coupable !

** "Suivez la tendance, continuez d’accompagner le marché à la baisse sans états d’âme — le marché n’en a certainement pas plus que vous — car les derniers investisseurs value ont déserté les marchés", affirment les spécialistes de l’analyse technique.

Tous les cadres des 70 dernières années ont volé en éclats vendredi soir à Wall Street et lundi en Asie et en Europe. Les marchés ont subi la pulvérisation des plus forts cumuls de baisse en une seule vague baissière. Ils ont aussi vu l’enfoncement de planchers vieux de 12 ans enfoncés — du jamais vu depuis la fin des années 70 — et le dépassement de 20% du plus long enchaînement de séances dans un unique mouvement de repli court terme à Paris. Mais les chartistes n’en démordent pas : tout ce qui précède ne fait que renforcer la pertinence de l’adage selon lequel "la tendance est votre amie", même si elle devient l’ennemi du reste de l’humanité.

Jusqu’à ce que l’amie change d’avis — et n’a pour ce faire besoin d’aucune justification, tout comme une amante capricieuse.

L’amie des chartistes se présente sous la forme d’une spirale baissière qui semble se propager inexorablement, dévastant secteur après secteur et pesant toujours plus fortement sur les valeurs "fragiles". Celles-ci enchaînent donc les plus bas historiques, à l’image d’Alcatel (dont la dette a été une nouvelle fois dégradée par Standard & Poors), Lafarge, Rhodia, Natixis, Dexia ou Eurotunnel.

** Le CAC 40 s’est replié mardi de 1,04% et clôturait très précisément au niveau du gap historique resté béant depuis le 13 mars 2003 à 2 554 points.

Le rapide revirement à la baisse de Wall Street a tué dans l’oeuf la tentative de rebond technique du début de la matinée (un peu au-dessus des 2 700 points) et du milieu de l’après-midi. La rechute a été causée par la seule statistique du jour, c’est-à-dire les promesses de ventes dans l’immobilier aux Etats-Unis.

L’indice a chuté de 7,7% à 80,4 au mois de janvier, selon les chiffres de l’Association des promoteurs immobiliers américains (NAR). C’est un nouveau plancher historique qui préfigure une poursuite de la crise du secteur immobilier d’ici la fin du premier semestre 2009.

Les chiffres des ventes des groupes automobiles se révèlent également catastrophiques avec une nouvelle chute de 53% des ventes de General Motors au mois de février, de 48% du groupe Ford, de 40% de Toyota, de 38% de Honda, de 35% de BMW, de 0,6% de Daimler et de 17,5% de Volkswagen… sans oublier les difficultés de trésorerie d’Opel, filiale de GM.

A la mi-séance, le Dow Jones tentait un rebond… mais il était trop tard pour soutenir les places européennes : elles en ont terminé au plus bas du jour, en repli de 1% en moyenne — sur le palier des 6 700 points (+0,2% à 6 775 points). Le S&P 500 restait quant à lui ancré dans le rouge et s’enfonçait irrémédiablement sous les 700 points.

Les planchers de fin octobre 1996 (ceux du 28 octobre pour être précis) n’enrayent pas la débâcle. L’indice phare se dirige potentiellement vers les 680 points, c’est-à-dire le zénith du 22 mai au 6 juin 1996.

Avec une incursion vers 1 313 points à 17h (heure française), le Nasdaq Composite (-0,15% au final) menaçait directement le plancher de clôture 2008 des 1 315 points du 20 novembre dernier. Le comblement du gap des 1 280 points du 12 mars 2003 pourrait également — tout comme pour le CAC 40 — survenir très rapidement.

Les indices américains poursuivaient leur glissade bien après la clôture officielle, sanctionnant le projet d’imposition des bénéfices réalisés hors Etats-Unis (et non rapatriés) de l’administration Obama. Projet qui ajoute de nouvelles bonnes raisons de se détourner des multinationales cotées sur le NYSE ou le Nasdaq.

** Paradoxalement, le dollar est reparti à la hausse (à 1,257 contre l’euro) malgré la déferlante de statistiques négatives concernant la conjoncture américaine. Il réagit aux prévisions de tensions au sein de la Zone euro, alors que la BCE s’apprête à réduire son taux directeur de 50 points jeudi prochain. Ce geste est déjà largement "pricé" mais il pourrait précéder un nouvel assouplissement d’ici fin juin.

Ce qui alimente notre hypothèse selon laquelle nous assistons à des liquidations de reliquats de portefeuilles d’actions aux Etats-Unis comme en Europe, c’est l’absence d’arbitrage au profit des bons du Trésor. Ils ont vu leur rendement se retendre hier de +0,02% sur l’échéance 2019 et de pas moins de +0,07% sur le T-Bond 2014 à 1,89%.

La sécurité ne semble plus nulle part, et même pas dans l’or qui se repliait de 1,5% à 913 $. Le métal précieux alignait ainsi une septième séance de consolidation consécutive !

Toutes les classes d’actifs qui se replient simultanément, sur l’ensemble de la planète, voilà un phénomène aussi rare qu’une tempête de neige — 30 centimètres tombés en quelques heures lundi — paralysant totalement une métropole de plusieurs dizaines de millions d’habitants comme Boston ou New York !

** Wall Street commence d’ailleurs à chercher un coupable, puisque les marchés ne sont, par définition, jamais coupables de rien. Ils se sont donc presque naturellement tournés vers la Maison Blanche. Si les erreurs du passé — et les excès commis sous l’administration républicaine, avec la complicité objective d’Alan Greenspan — tournent mal, c’est que la situation est mal gérée, que les solutions simples à des problèmes complexes (l’évidence même, tout coule de source) sont mal ficelées, et les explications de Timothy Geithner jugées peu convaincantes.

Le S&P 500 perd 20% depuis l’investiture du nouveau président et réalise la pire entame d’un mois de mars depuis les 150 dernières années, tandis que les investisseurs patinent sur des routes mal déneigées — mais que fait le gouvernement ? Les transports fonctionnaient normalement avant le 20 janvier 2009 –, c’est bien que Barack Obama y est pour quelque chose.

Beaucoup d’économistes justifient la perte de confiance des marchés par le cafouillage relatif au sauvetage du système financier. La meilleure solution aurait pu consister en une nationalisation temporaire et pleinement assumée des banques et des compagnies d’assurance en perdition — plutôt qu’une nationalisation rampante et masquée par de faux-semblants qui ne trompent personne.

Mais ces brillants esprits — qui ont dû séjourner un peu trop longtemps en France dans les années 80 — se trompent évidemment. La preuve, les nationalisations, cela ne marche pas : il n’est qu’à constater l’inefficacité des services municipaux en charge du déneigement sur la côte est !

Ah si seulement tous ces fonctionnaires oeuvraient au sein d’une entreprise privée, les caprices du ciel ne sauraient étouffer le poumon économique du pays.

Enfin quoi, il doit bien y avoir un moyen de reboucher une dépression ou de détourner un front neigeux : Bernard Madoff a bien réussi à détourner l’attention de la SEC pendant 20 ans, lui !

Mais à quelque chose malheur est bon : les automobiles ont en l’occurrence une très bonne raison de ne pas circuler, sans que la crise y soit pour rien !

Philippe Béchade,
Paris

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