La Chronique Agora

Il est temps de changer d'avis sur l'investissement en Afrique

▪ Comme le dit le vieil adage, le marché fait les opinions. Il est donc difficile de garder la vision qu’on a communément de l’Afrique — comme étant une partie du monde à éviter — face à tant de preuves du contraire. Quelques instantanés des semaines dernières devraient vous aider à porter un autre regard sur ce continent.

Cette année, les rachats d’entreprise ont atteint un record de 54 milliards de dollars en Afrique — sans compter l’offre initiale de Wal-Mart de quatre milliards de dollars pour Massmart, un distributeur africain. Ces derniers temps, on a également vu plusieurs fonds spécialisés sur l’Afrique gagner de l’argent.

Ces investissements ne sont pas de l’argent jeté par les fenêtres. Les gens qui en sont à l’origine ne sont pas stupides. Ils voient quelque chose : de la croissance et des opportunités.

Le FMI a récemment rehaussé son estimation de la croissance économique en Afrique sub-saharienne à 5% cette année et à 5,5% l’année prochaine. L’Afrique connaît un boom économique grâce à une Chine affamée de ressources mais également grâce à des économies qui se développent dans toute l’Asie et l’Amérique Latine. L’argent va là où il peut obtenir le meilleur rendement. Jusqu’ici, les investissements africains ont offert les rendements les plus élevés. Et, pour des biens similaires, les prix restent beaucoup moins élevés que dans les marchés développés.

Naturellement, l’Afrique est un immense continent composé de 54 pays — un groupe diversifié s’il en est. Vraiment, il est stupide de parler de l’Afrique comme s’il s’agissait d’un ensemble de pays semblables. Ce n’est pas le cas. Mais il y a des territoires et des régions, et de larges similitudes de pratiques.

En tous les cas, les opportunités dans cette vaste zone de 900 millions d’habitants sont difficiles à ignorer.

Récemment, j’ai assisté à New York à la Grant’s Fall Investment Conference. L’un des conférenciers parmi les plus intéressants était Francis Daniels, co-fondateur de l’Africa Opportunity Fund. Son exposé s’intitulait Réflexions d’un investisseur en Afrique.

Par la suite, nous avons déjeuné ensemble et j’ai pu en savoir un peu plus à propos de l’investissement en Afrique. Daniels est un homme simple, à la voix calme et posée. De nationalité ghanéenne, il a quitté son pays natal en 1982 pour étudier au Canada. Entre temps, il a été témoin de six coups d’Etat. Le premier était en 1966. "Il a eu l’énorme avantage de m’offrir des vacances scolaires inattendues", raconte-t-il. Mais à la suite de la sixième tentative, en 1982, sa vision avait changé. "J’étais fatigué des coups d’Etat et exaspéré par ce qui se passait en Afrique : des coups d’Etat perpétuels, une corruption endémique et des dirigeants médiocres".

Tout au long des quinze années de sa carrière, il a investi dans toutes les régions d’Afrique. Ses choix se sont portés sur beaucoup d’actions très bon marché qui plus tard lui ont rapporté plusieurs multiples de son investissement initial. Pour un investisseur suivant les principes de Graham et Dodd, l’Afrique est une corne d’abondance : des PER de deux ou trois avec 20% de taux de croissance ; des rendements de 30% sur la dette convertible ; toutes sortes de trésors cachés — comme de l’immobilier gratuit ou des plus-values latentes sur portefeuille — enfouis dans les tréfonds des bilans africains. L’Afrique, de plus, est riche de ressources naturelles inexploitées dont le monde entier a un besoin immense.

▪ Toutefois, l’Afrique est célèbre pour ses ressources. C’est pourquoi un investisseur doit trouver le moyen d’appliquer ces principes aux ressources naturelles — sinon une grosse part du gâteau lui passera sous le nez. Daniels y est parvenu et certains de ses meilleurs investissements proviennent des valeurs minières (Uramin, par exemple, producteur d’uranium en Namibie et en Afrique du Sud, a rapporté 1 000% en deux ans.)

L’une des valeurs préférées de Daniels est Zimplats, un producteur de platine et de palladium sur le Great Dyke au Zimbabwe. Elle est cotée à la bourse australienne sous le code ZIM.

Zimplats ne produit pas du platine et du palladium raffinés. L’entreprise fabrique plutôt un produit intermédiaire appelé matte, qu’il vend aux raffineurs d’Afrique du Sud. Impala Platinum est une entreprise sud africaine et deuxième plus grand producteur mondial de platine ; elle a conclu des contrats d’exploitation avec Zimplats. Elle possède également 87% des parts.

Daniels possède Zimplats depuis 2003 et a payé un prix moyen de 2,25 $. Aujourd’hui, l’action est à 12 $ mais Daniels sent qu’elle est encore trop bon marché. L’action se négocie avec un PER de 10. La valeur de l’entreprise est de 57 $ par once de réserves — comparé à 193 $ dans le reste du secteur.

Zimplats est également le producteur le moins cher au monde. Ses coûts sont de 325 $ par once alors que la moyenne du secteur est de 948 $ par once. Zimplats extrait à des profondeurs moyennes, à 50 mètres sous la surface, tandis que les Sud-Africains doivent aller au moins deux fois plus profond.

Zimplats extrait 350 000 onces par an et prévoit d’atteindre un million d’onces. Ses réserves prouvées et probables dureront 67 ans au rythme de la production actuelle. Elle possède environ six siècles de ressources — oui, vous avez bien lu, six siècles.

▪ Je terminerai avec quelques leçons données par Daniels tirées de ses 15 années d’investissement en Afrique car je pense qu’elles peuvent s’appliquer aux investisseurs dans le monde entier :

"Le temps macro est plus lent que le temps micro. Il a fallu quelques années pour que la logique hyper-inflationniste des politiques fiscales et monétaires au Zimbabwe s’achève en une hyper-inflation actuelle". Selon moi, nous assistons au même phénomène aux Etats-Unis. Alors qu’on sait clairement où mènent finalement les déficits et la planche à billets (c’est-à-dire à des taux d’inflation élevés), le marché a été lent à s’en rendre compte, comme le prouve le taux des T-Bonds à 10 ans, encore plus petit que la taille de mon chapeau.

"Les titres gouvernementaux sont plus risqués que les titres privés". Cette phrase semble moins surprenante aujourd’hui qu’elle n’aurait pu l’être il y trois ans. Mais un grand nombre de défauts de dettes souveraines (c’est-à-dire la Grèce et autres) montre que, comme le dit Daniels : "à long terme, des promesses fantastiques s’avèrent n’être que des promesses fantastiques".

"Le meilleur moyen de préserver la richesse réelle au Zimbabwe est de posséder les parts de capital d’entreprises qui gagnent des dollars non zimbabwéens". Si l’on applique cette phrase aux Etats-Unis, il faudrait posséder des entreprises qui gagnent leurs revenus dans les monnaies les plus fortes.

Elles ne sont pas nombreuses. Selon moi, Daniels montre qu’un investisseur intelligent peut très bien réussir en Afrique. Naturellement, vous pourriez vous contenter d’acheter son fonds, qui, alors que j’écris ces lignes, se négocie à 27% en dessous de la valeur des actifs sous-jacents. Je pense également que cela vaut la peine de réfléchir aux leçons de Daniels en Afrique, même si vous n’investirez jamais dans ce continent.

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