La Chronique Agora

Hausse du CAC 40 : la vérité est-elle ailleurs ?

Le CAC 40 à +1,2% au lendemain d’une dégradation de la France par Standard & Poor’s, avec une envolée totalement décorellée de la moindre actualité économique, qui se matérialise en un quart d’heure, à 90 minutes de la clôture, alors que Wall Street est fermé… Franchement, vous croyez que le marché a été spontanément saisi d’un sentiment d’allégresse ce lundi vers 16h ?

Les commentateurs ont été tellement bluffés par cette hausse sortie de nulle part qu’ils ont à peine tenté de l’expliquer, sinon par les habituelles élucubrations du type « le marché se réjouit de ce que la situation soit moins grave que si elle avait été pire ».

▪ L’Italie talonne la Grèce
Après tout la France s’en tire bien. S&P aurait pu se montrer plus sévère… Mais allez demander son avis au Trésor espagnol, ou italien. Rome voit ses émissions abaissées de deux crans et tutoyer la catégorie spéculative — il ne s’en faut plus que de trois crans pour que la dette italienne rejoigne la Grèce dans une spirale qui mène vers le néant.

Athènes se dirige vers un défaut de paiement (autrement dit la faillite) d’après le responsable européen de la notation des émissions obligataires européennes chez Standard & Poor’s.

C’est ce constat qui remplissait certains stratèges d’un réjouissant optimisme : « ce serait un tel désastre — le Fukushima systémique que nous avons maintes fois évoqué — que les gouvernements vont certainement tout faire pour l’éviter ».

Les ingénieurs de Tepco et le gouvernement japonais ont également tout fait pour que les réacteurs nippons, privés de système de refroidissement, ne nous jouent un remake de Tchernobyl autour du 15 mars 2011.

Cela n’a pas empêché trois cubes de béton sur quatre de se disloquer et de projeter des débris aussi haut que la tour des télécoms de Tokyo (qui mesure quelques mètres de plus que la Tour Eiffel, orgueil japonais oblige) et de diffuser des centaines de milliards de particules radioactives qui continuent de circuler furtivement au-dessus de nos têtes.

Fukushima, c’était il y a exactement dix mois et rien n’est encore réglé ; les médias ont juste cessé d’en parler afin de ne pas nous inquiéter. Cela fait maintenant deux ans et deux mois que les marchés espèrent que l’Eurozone va se montrer capable d’éviter que la crise grecque ne contamine l’ensemble du continent européen, et là non plus, rien n’est réglé.

▪ S&P met un carton jaune à l’Europe
Standard & Poor’s a décidé vendredi de dégrader neuf pays sur 17. De l’avis général, ce n’est qu’un avertissement destiné à remettre l’Europe dans la bonne direction.

Mais au fait… l’Italie, l’Espagne, le Portugal, Chypre, la Slovénie (pourtant si rigoureuse) en sont à combien de dégradations depuis décembre 2009 ?

Cela nous fait combien d’avertissements qui nous préparent une meilleure gouvernance et un retour de la confiance sur les marchés de taux ?

Et de quelle confiance parlons-nous ? Mi-décembre, la BCE a injecté dans le système bancaire 490 milliards d’euros de liquidités à trois ans. Un mois plus tard, nous découvrons que les banques ont placé (hasard ou coïncidence) exactement 490 milliards d’euros en overnight (dépôt à vue) à 0,25% auprès des guichets de la BCE, au lieu de se les prêter entre elles à 3% ou plus.

Alors pas de doute, les 0,9% de hausse du CAC 40 et les 1% sur l’Euro-Stoxx 50 sont incontestablement la preuve que la confiance est de retour. C’est juste que personne ne sait ni où ni quand (et ne compliquez pas tout en nous demandant comment !).

▪ CAC 40 : une hausse inexpliquée
Pour les chartistes en revanche, le CAC 40 peut indifféremment gagner ou perdre 50 points sans qu’ils y voient matière à se poser des questions métaphysiques. Tout est question de seuil graphique. Qu’un mouvement de cours n’ait aucun lien avec l’actualité n’entre aucunement en ligne de compte. Il faut le « suivre » et se fier aveuglément à la tendance jusqu’à ce que cette dernière s’essouffle.

Et le rally haussier du CAC 40 jusque vers 3 230 points (après sept heures de stagnation entre 3 180 et 3 200 points) s’est effectivement déclenché sur le débordement des 3 205 points vers 15h50. Cela a eu lieu sans aucun lien avec une quelconque rumeur ou dépêche, contrairement à vendredi dernier.

C’est un mouvement technique (fort probablement manipulatoire dans un marché désert). Il y a avait certainement plus de vendeurs que d’acheteurs suite à l’initiative de S&P, d’où la tentation pour quelques mains fortes de laminer le consensus baissier.

Dès que les vendeurs tenteront de se refaire à la hausse, ils se feront de nouveau déchirer. C’est devenu le fonctionnement ordinaire et implacable du CAC 40 au cours de ces périodes où les volumes s’effondrent et où les seules opportunités de gains, dans un marché sans direction, résultent de brefs contrepieds savamment orchestrés.

Mais quand les échanges sont aussi creux que ce lundi (1,9 milliard d’euros échangés), il est possible de faire coter à peu près n’importe quel niveau de cours dans la mesure où, si personne ne sait pourquoi le marché grimpe, chacun, par prudence, s’abstient de vendre.

La Bourse de Paris aurait pu montrer une certaine cohérence si elle avait salué vers midi le maintient du AAA de la France par Moody’s (qui étudie simplement la prolongation de la perspective « stable » avec un verdict d’ici fin mars, soit encore deux bons mois de répit)… Mais elle n’en a rien fait et le CAC 40 est retombé vers 3 190 points durant l’heure du déjeuner.

Si c’était la bonne nouvelle que les opérateurs attendaient, l’euro se serait redressé, ce qu’il n’a pas fait. Et comment expliquer par ailleurs que le succès de l’émission française (qui a soit disant euphorisé le CAC) ait laissé les cambistes aussi indifférents, à tel point que l’euro a continué de perdre du terrain et finissait la séance de lundi au plus bas, à 1,2660 $ ?

Notez au passage qu’il a fallu une bonne demi-heure pour que les opérateurs se mettent à considérer que l’adjudication de 8,5 milliards d’euros d’OAT d’une maturité maximum de 11 mois (des échéances sans intérêt dont les marchés se contrefichent d’ordinaire) constituait un signal encourageant. Une telle clairvoyance et tant de spontanéité font plaisir à voir !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile