La Chronique Agora

Que nous apprennent les guerres ?

▪ Ce lundi aux Etats-Unis, on célébrait Memorial Day — une journée traditionnellement réservée au souvenir de ceux qui ont lutté dans les guerres américaines.

Le point de vue contrarien est traditionnaliste. Certaines relations de marché durent depuis de nombreuses années. La relation entre les prix et les bénéfices, par exemple. Il n’y a pas de loi disant que les PER ne peuvent être plus élevés… ou plus bas… à l’avenir. Mais la personne qui parie qu’ils seront substantiellement différents pendant une très longue période prend un gros risque. Elle parie que quelque chose de fondamental a changé… peut-être dans la valeur du capital, ou peut-être dans la nature de l’être humain. Peut-être que le capital vaudra plus à l’avenir que ces 100 dernières années. Et peut-être qu’il y aura vraiment un "Homme Nouveau" avec une attitude différente envers le temps et l’argent.

Mais les chances de voir quelque chose de vraiment nouveau sont minces. Entre les phases d’euphorie et de dépression, les choses tendent à revenir à la moyenne — c’est-à-dire là où elles étaient traditionnellement. Et la moyenne ne change pas fréquemment, ni rapidement.

Je compare les phases maniaques de l’histoire boursière aux phases maniaques de l’histoire politique

▪ La violence et la guerre — pourquoi ?
Je compare les phases maniaques de l’histoire boursière aux phases maniaques de l’histoire politique. Normalement, les gens vivent avec un peu de violence dans leur vie — des meurtres, des agressions, des émeutes. Et à l’occasion, une guerre se déclenche ; mais même ainsi, elles sont généralement contenues dans des limites "normales".

Les Indiens Yanomani pratiquent une forme de violence institutionnalisée durant laquelle ils se frappent avec des bâtons jusqu’à ce que l’un d’entre eux meure ou tombe inconscient.

Les villes-Etat grecques se rencontraient périodiquement pour un tournoi de lutte à mort quasiment ritualisé. Si elles avaient voulu détruire la ville ennemie, elles auraient pu attaquer de nuit, brûler les bâtiments et massacrer les habitants. A la place, elles se mettaient en formation sur un champ et avançaient l’une contre l’autre.

A certaines occasions, les armées attendaient patiemment que leurs ennemis se mettent en formation — avec un délai pour qu’une ville distante puisse ramener ses troupes. Attaquer l’ennemi avant qu’il soit prêt, ça ne se faisait pas. Même si l’on gagnait, ce n’était pas une victoire dont on pouvait profiter. Le déshonneur était, après tout, pire que la défaite. "Reviens avec ton bouclier", disaient les mères spartiates à leurs enfants, "ou couché dessus". Ne fuis pas, en d’autres termes.

Nous honorons ceux qui n’ont pas fui — ceux qui ont fait face à la folie de la guerre… qui ont fait ce qu’il fallait et avaient ce qu’il fallait quand c’était nécessaire.

Flamm Dee Harper a dû lutter pour hisser le drapeau américain dans le petit pré près de Montmorillon où il a atterri en catastrophe durant la Deuxième guerre mondiale. Le mécanisme était grippé et difficile. Il avait aussi du mal à comprendre — à comprendre la guerre. Il avait prouvé qu’il pouvait voler. Il savait se battre. Il était courageux.

C’est le "pourquoi" qui le faisait trébucher. Là, il ne pouvait plus vraiment tourner la manivelle. A quoi bon ? Quand la folie est passée — comme une bulle qui a éclaté — on regarde en arrière… et c’est une énigme. Pourquoi avait-il fait une chose pareille ? Que se passait-il ? Qu’est-ce que ça signifiait ?

Les soldats russes, à Stalingrad, avaient été exhortés à utiliser leur corps comme "du béton et des pierres " — à se sacrifier pour arrêter les Allemands. Bon nombre l’ont fait. Mais pourquoi ? Pour pouvoir être dirigés par des tyrans parlant le russe plutôt que l’allemand ?

▪ La liberté, alors ?
Le colonel Harper ne s’est pas arrêté sur cette question. Il a simplement dit que la guerre était "stupide". Puis il s’est rabattu sur les clichés familiers qui semblent fonctionner depuis des générations aux Etats-Unis. C’était un combat, a dit le vieux soldat, pour la liberté.

"Nous sommes", a déclaré Adolf Hitler lors d’un discours au Reichstag juste avant que la Luftwaffe commence à larguer des bombes sur Londres, "dans une lutte gigantesque pour la liberté et l’avenir de la nation allemande"…

Tout le monde lutte pour la liberté. Tandis que les Russes sont morts par millions pour sauver le régime de Staline, Harper et des millions d’Américains ont combattu pour la liberté de Roosevelt et des gouvernements suivants d’imposer des restrictions toujours plus importantes et des impôts toujours plus élevés.

Le sol américain n’a jamais été sérieusement menacé d’invasion. Mais chaque guerre pour la liberté a mené à moins de libertés pour les Américains. Pas nécessairement immédiatement, ni même par conséquence — mais telle a été la tendance générale.

Il y a une forme d’idiotie dans toutes les guerres des Etats-Unis — voire dans toutes les guerres tout court

Personne ne veut penser que leurs parents sont morts pour rien. Et il est impossible de savoir ce qui se serait passé si l’Histoire ne s’était pas déroulée ainsi. Mais il y a une forme d’idiotie dans toutes les guerres des Etats-Unis — voire dans toutes les guerres tout court.

En relisant l’histoire de la Première Guerre mondiale, aucun dessein utile n’apparaît clairement à l’envoi des troupes américaines. "La Fayette, nous voilà", a annoncé le général Pershing à son arrivée. On pouvait presque entendre La Fayette répondre depuis la tombe : "pourquoi ?"

Les combattants étaient au bord de l’épuisement lorsque les Etats-Unis sont entrés en guerre. Comme un flot d’argent frais dans un marché haussier fatigué, les troupes américaines ont renversé la tendance… forcé l’Allemagne à accepter la défaite… et aidé à créer une paix si étrange qu’une nouvelle guerre était presque inévitable.

Lorsque cette guerre inévitable — la Deuxième guerre mondiale — a commencé, elle a aussi commencé bizarrement. Après que les Britanniques ont été repoussés loin d’Europe et que la France a rendu les armes, les Britanniques sont repassés à l’attaque… sauf qu’ils ne s’en sont pas pris aux Allemands, mais aux Français ! Afin d’éviter que les navires tombent entre les mains allemandes, les Britanniques ont tiré sur la flotte française à Oran, en Afrique du Nord, et ont envoyé 1 200 marins français à la mort.

Et puis il y a eu la Corée et le Vietnam. A chacun de ces événements, la liberté était à nouveau en jeu. Les soldats ont fait leur devoir. Ils ont évité le "pourquoi". Ils ont combattu quand on leur a demandé… et sont morts de même — malgré que la guerre fût idiote.

Pascal disait à peu près ceci : nous comprenons plus que nous en savons. Les soldats devaient comprendre quelque chose que nous ne saurons jamais. Et ils ne peuvent plus rien nous en dire.

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